Bas les pattes. (Chapitre 1.5)

3 mins

La thérapeute attend quelques instants, puis voyant sa patiente submergée par la colère et la tristesse, elle s’approche d’elle et se saisit de sa main. Silencieuse, elle accompagne la détresse qui s’exprime par le corps de Gwendoline, qui peine à respirer, comme asphyxiée par ses paroles douloureuses.  

Tout en continuant à laisser couler le trop plein de larmes qui déborde, des images apparaissent dans l’esprit de la patiente. Cela lui rappelle cette époque maudite où elle était tombée enceinte d’un autre tocard du même genre que Jérémy, un certain Stéphane, qui l’avait laissé tomber dès l’annonce de sa grossesse, l’obligeant à avorter à contre cœur. Elle avait été contrainte de subir un IVG douloureux physiquement et psychologiquement, alors que Stéphane, dont elle était encore très éprise, s’en était sorti sans aucune égratignure. Elle n’avait digéré cette injustice.

A l’évocation de ses souvenirs pénibles, ses larmes redoublent, intarissables.

Véronique garde toujours sa main entre les siennes, chaudes et rassurantes et l’encourage à respirer et à lâcher ce lourd fardeau qui l’accable.

Lorsque son souffle redevient plus fluide et sa gorge moins sensible, Gwendoline reprend son récit, essuyant ses larmes avec le mouchoir tendu par sa thérapeute :

– Quelques jours après le début de notre relation, avec Jérémy, je me suis retrouvée avec une mycose vaginale, moi qui n’y suis jamais sujette. Et pourtant, avec mon métier, on pourrait penser que cela arrive souvent. Mais pas du tout. Cela ne m’était pas arrivé depuis très longtemps… J’ai tout de suite penser à Jérémy et à son manque d’hygiène. Je vous en ai déjà parlé, vous vous souvenez ?

– Oui, je me souviens très bien. Il ne se lavait pas les dents, ajoute-elle pour confirmer ses dires.

– Exactement ! Rien que ça, ça aurait dû me faire fuir ! Pensez-vous ! Quand j’ai découvert cette mycose, j’ai tout de suite su que c’était de sa faute. Je m’en suis rendue compte car lorsque je dormais chez lui, il venait se coucher après avoir ramassé sa chienne dans le garage, sans passer par la salle de bain. Vous voyez le tableau ?

Gwendoline agite ses deux mains comme pour mieux imager ses propos. En y ajoutant une moue de dégoût.

– Les mains qui caressaient mes zones intimes et délicates depuis des jours étaient les mêmes que celles qui papouillaient la bestiole faisant des aller-retours dehors. J’enrageais de me retrouver avec mon intimité en feux et ravagée par le manque de propreté de celui en qui je pensais pouvoir avoir confiance. J’ai essayé de relativiser, de dédramatiser la chose, mais cela m’a mis hors de moi de devoir me soigner, à base d’ovule et de crème antifongique deux fois par jour, alors que Jérémy, le vrai responsable, n’avait souffert d’aucun désagrément, lui.

Comme tant d’autres avant lui, Jérémy s’était permis de la toucher sans aucune précaution et cela l’avait rendu dingue.

– Une fois encore, j’ai payé pour les fautes des hommes, reprit-elle toujours très énervée. Je trinque toujours pour le bon plaisir de ses messieurs. A cause de leur irresponsabilité. De leur inconscience. De leur insouciance… Et la liste de leurs défauts est longue !

– Qui a été inconscient, insouciant, irresponsable, avec vous auparavant, Gwendoline ?

– Tous ! Sans exception ! Mon père qui a fait des enfants mais ne s’en ai pas correctement occupé. Mon oncle qui n’a pas trouvé bon de s’habiller lorsque j’étais une petite fille ! Mon frère, qui s’est tué dans un accident de voiture après une soirée arrosée. Et puis tous les autres… Le mec qui m’a mis enceinte lorsque j’avais vingt-et-un ans, avant de me larguer comme une merde une fois que j’avais avorté. Puis celui qui m’a mise enceinte à trente-quatre ans, avant, je vous le donne en mille, de me larguer comme une merde. Le père de ma fille qui est retombé dans l’héroïne juste après notre mariage. Guillaume, mon meilleur ami, qui s’est suicidé ! L’histoire se répète sans cesse, même si c’est de différentes façons. Tous, tous m’ont abandonné d’une manière ou d’une autre, Véronique.

– Tous ces hommes vous ont abîmée Gwen, vous avez raison. Ils vous ont trahie, ont trahi votre confiance et se sont montrés insouciants, inconscients et irresponsables vis-à-vis de vous-même, alors que vous aviez placé votre confiance en eux… aveuglément.

– Oui, aveuglément, c’est bien le terme…

– Aujourd’hui, les choses ont changé et vous êtes en capacité de discerner ce qui vous fait du bien de ce qui ne vous en fait pas… avec les hommes comme avec le reste d’ailleurs. Vous avez les ressources nécessaires en vous et les outils pour vous aider à vous protéger et à prendre soin de vous. Notamment, en choisissant les bonnes personnes pour vous. Celles qui vous traiteront avec respect, douceur et délicatesse.

– Vous avez raison. J’en suis capable désormais, affirme-elle en reniflant.

– Vous en êtes capable, Gwen, soyez-en sûre. Moi, j’en suis sûre en tout cas. Toutes ces prises de conscience que vous avez eues récemment grâce à votre histoire avec Jérémy vont vous permettre d’attirer un homme mature et responsable, qui saura répondre à vos attentes et se montrer respectueux envers vous.

– Oui, c’est exactement ce que je veux. Je n’ai jamais connu cela. Ce serait vraiment merveilleux, Véronique. A bientôt quarante ans, il serait temps que ça arrive, non ?

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