Nous avons tous eu notre bac de français. Comme toujours, Vincent en tête, les lettres sont clairement sa tasse de thé. Alors pour fêter ça, on décide de se perdre tous ensemble en ville.
A peine une heure plus tôt, arrivés à la gare, nous avons pris le métro pour nous rendre jusqu’au centre ville, là où se trouve le lycée. Nous vivons dans un petit village à la lisière de la campagne, là où tous se connaissaient, où hormis des maisons, des jardins, deux trois petits commerces de premières nécessités, une bibliothèque, que je fréquente régulièrement, tenue par un gentil petit monsieur, le centre équestre où mon père travaille, une église, ainsi qu’une école maternelle et primaire, sans oublier la mairie, il n’y a rien. Cela fait donc bientôt 6 ans que le centre ville ne nous fait plus du tout peur mais nous sommes toujours plutôt impressionnés, quand on sort du village, en constatant toutes les petites nouveautés. Un nouveau gratte-ciel en construction, des hommes habillés toujours en costumes, avec une malette, un nouveau magasin qui ouvre ses portes. Des choses dont nous ne sommes pas habitués puisque nous sommes pratiquement des campagnards.
Nous venons de finir notre année de première, ainsi, nous avons passé les épreuves anticipés de français, il y a deux semaines.
Globalement, cela s’est bien passé pour nous tous, mais nous sommes forcément angoissés par les résultats.
Pour pallier à ça, durant le trajet du village à la gare du centre ville, on n’a pas cessé de faire les guignols. Et avant de sortir de la gare, alors que nous sommes tous assis sur un banc à côté des portes, Hermine et Maximilien, eux, plongés dans une conversation portant sur les BD avengers, alors que Vincent, a côté de moi, continuait de lire son livre, nous attendons Charlotte qui, dans une cabine téléphonique, passe un coup de fil à sa mère. Comme nous étions plus au moins tranquilles, je tapote l’épaule de mon meilleur ami.
– Tu avais quelque chose à me dire ? je lui chuchote à l’oreille.
– Pas maintenant, répond Vincent sans me regarder
– C’est le moment idéal, j’opine.
– Oui, mais on sait pas quand Charlotte arrive. Et les deux autres pourraient entendre.
– Je connais Maxi’ et Hermine, et quand ils se mettent à discuter, rien au monde ne peut les interrompre.
– S’il te plaît, n’insiste pas.
Je ne trouve rien à répondre et soupire.
– Tu me stress, je te jure. Tu n’as pas à me faire ça.
À son tour, il ne répond rien et le silence rétorque à notre place. Je pose ma tête sur son épaule et ferme les yeux. Qu’est ce que ça me fatigue de ne rien faire ! Je reste ainsi un bon moment, profitant de ce petit moment de calme.
– T’as vraiment aucun respect à me prendre pour un coussin, lâche Vincent, amusé.
– Un coussin, ça ne parle pas, je rétorque. Alors chut.
Il eut un rire amusé et balance sa tête en arrière. Je sens bizarrement le regard de Hermine ou de Maximilien sur nous.
– On dirait un vieux couple, dit mon ami, en gloussant.
On sursaute tout les deux en entendant cette phrase. Ce n’était clairement la première fois qu’on avait le droit à ce genre de remarque mais, cela a le don de m’énerver… pour me faire rire plus tard.
– Oh ta gueule, lui répondit Vincent, à ma place.
Le ton qu’il avait employé nous fit tellement rire que nous n’avons même pas remarqué que Charlotte était revenue.
– J’ai loupé quoi encore ?
Et elle ne met pas longtemps à se mettre rire avec nous, même sans connaître la raison.
C’est un peu comme qui dirait une tradition.
Après ça, nous avons rejoint le lycée pour voir les résultats. Comme nous avions eu de bons résultats, les vacances peuvent officiellement commencer. Ainsi, ensemble nous sommes allés nous promener en ville. C’est une chose que l’on fait rarement, comme on vit loin du centre mais dès qu’on le fait, c’est forcément pour une grande occasion.
Nous y sommes restés toute la journée et vers 18h, on a décidé qu’il était temps de rentrer chez nous.
Rentrés à notre petit village, à la lisière de la campagne, chacun de nous avons pris notre chemin pour rentrer. Vincent m’a raccompagné jusqu’à devant chez moi et au moment ou je tent ma joue pour une bise d’aurevoir, il lance :
– Elza, il faut qu’on parle.
– Tu as évité le sujet toute la journée. Tu m’as évité moi, en plus, j’en avais conscience. Pourquoi ?
– Elza…
– Vas-y, je suis toute ouïe.
– Ca faisait longtemps que je voulais te dire ça. Je tiens énormément à toi, tu sais. Je n’ai pas envie de te perdre et je veux continuer à rester à tes côtés aussi longtemps que je le pourrai.
– Merde… me dit pas que tu déménage ?
– Non, c’est juste que… je tiens à toi.
– Moi aussi, Vincent, je t’aime beaucoup, t’es mon meilleur ami.
Je lui fais un sourire, pour le rassurer.
– Mais moi, je t’aime et je suis amoureux de toi.
Il avait prononcé cette dernière phrase et détournant les yeux. Et moi non plus, je n’ose plus le regarder. Est ce que j’avais bien entendu ce que j’ai entendu ou j’ai simplement rêvé ? Autrement, ce n’est pas possible. Le bordel commençait à se former dans ma tête malgré moi. C’est pas bon. Vraiment pas bon. Voila la situation dans laquelle j’étais ; incapable de dire ou faire quoi que ce soit.
– Je t’aime, reprit Vincent.
– Oui, j’ai entendu, je réponds, au vif.
– Alors.. ?
– Alors quoi ?
– Je voudrais que tu sois ma petite amie, à présent.
– Ta petite amie ?
– Oui.
Je ne trouve rien à dire parce que dans ma tête, la réponse était déjà toute faite : non. Non, voilà, c’était impossible pour moi d’envisager rien que l’idée de me mettre en couple avec lui. Vincent est mon meilleur ami depuis l’enfance, j’ai tout partagé avec lui, absolument tout, sauf les amours, bien sûr, il est comme mon frère, en somme. Et puis, on parle de mes sentiments ? Je ne suis pas, et au final, je n’ai encore jamais été attirée par lui.
– Non, non, je refuse Vincent, je bégaye.
Je le vois, et je le sens même, qu’il se crispe.
– C’est prévisible… lance Vincent.
Il s’apprête à s’en aller aussi rapidement que je comprends que je suis probablement en train de le perdre. Mais je me suis souvenue quel effet ça fait de traîner et rester amie avec une personne qu’on a aimé, profondément. Alors, l’option de le laisser s’en aller, endurer la souffrance à sa manière me paraît être la solution la plus douce.
– Attends, pars pas. Je… je suis désolée.
– Tu es désolée, mais je le suis encore plus.
– Je suis sérieuse ! Tu te souviens de… de…
– Je m’en rappelle.
– Dis quelque chose, Vincent. Je m’en veux de ne pas t’aimer. Je n’ai pas envie de faire du mal, tu le sais…
Après m’avoir toisé un petit moment, il soupire et revient vers moi.
– L’amour, comme beaucoup de choses, ça se cultive.
– Dis pas ça ! Tu sais que c’est pas possible.
– Alors salut.
Il fourre ses mains dans ses poches mais ne s’en va pas. Il reste longtemps à me regarder, ses yeux remplis de doute. Finalement, il se décide mais revient sur ses pas pour approcher dangereusement son visage du mien. Au dernier moment, je tourne la tête et ses lèvres atterrissent sur ma joues. Il relève la tête, l’air déçu, avant de s’en aller, définitivement sans rien dire.
C’était la fin ?
Maintenant ?
Sérieusement ?
C’est impossible.
Ce soir, beaucoup trop fatiguée pour réfléchir et je décide de rentrer chez moi, boire un coup et m’endormir. Mais avant de faire demi tour jusqu’à ma porte, je remarque un type dans le trottoir opposé. Je connaissais presque tout le monde ici, du moins, tout les visages et ce mec ne me dit absolument rien. Sûrement un nouveau venu. Bref, toujours est-il que ce qui me perturbe le plus , c’est que j’ai l’impression que le jeune homme, à qui je donne la vingtaine bien entamée, ne semble pas m’avoir quitté des yeux depuis un moment. Il était assis sur un banc et avait le regard perdu… dans ma direction. M’enfin, peut être qu’au final, c’est juste mon imagination.
Y a de ces types bizarres…
Après avoir poussé un ultime soupire, je rentre chez moi. Papa n’est pas encore rentré et pour être honnête, ça me rassure. Il ne va pas m’assaillir de questions, comprendre qu’il se passe quelque chose, et par dessus tout, téléphoner ma tante Lise, pour flatter mon égo de petite bachelière en français, sous mes yeux. Parce que, merde, je suis sûrement en train de perdre mon meilleur ami.
Dans le passé, j’ai perdu une amie pour à peu près les même motifs, l’amour et ses règles tirés par les cheveux, alors mon meilleur ami…
Après avoir bu un verre de jus et grignoter quelque chose, je m’étale dans mon lit dans l’espoir de trouver vite le sommeil.
Ça y est, Elza, les vacances peuvent officiellement commencer.
Les années lycée! Jolie suite, bravo.