Je vis à 200 à l’heure et conduis à vive allure. Je m’agite et me heurte dans la panique. Ici, le temps passe vite ! On a 10 ans, puis 20, puis 30 en une fraction de secondes. La recherche du profit vampirise les esprits sains et la soif de liberté penche vers l’ivresse. Alors je m’envole vers ma terre ancestrale loin des artifices parisiens et des mauvaises bananes.
« Bonne nuit », j’ai chantonné l’air de rien, alors que je mourrais d’envie de revoir le monde. Je voulais l’embrasser, le serrer fort contre ma poitrine. Ce monde rieur qui demeurait derrière ce vieux portail bleu rouillé, las, immobile comme les traits crispés de son visage. Je rêvais de me lancer, de saisir fermement la poignée et d’ouvrir cette cloison qui m’emprisonnait . Ah satanées barrières! Mamie ne voulait pas en entendre parler de ce monde. Elle préférait se laisser bercer par les aléas de la vie qui l’enlisaient. Les « problèmes » l’avaient fait devenir autre.
J’en voulais à mon père qui m’ avait demandé une semaine plus tôt avec des yeux rieurs : « Tu veux aller au Cameroun cet été ? Je te prends les billets si tu veux. » J’avais dit « ok ». Au fond, c’est vrai, je voulais revisiter la terre de mes ancêtres mais à quel prix. Je me souviens, une éclaircie avait luit dans mes yeux. Aujourd’hui, je m’en mordait les lèvres. Pourquoi ne pas avoir répondu « NON ! », tout simplement ? Grossière erreur. J’ avais oublié la rigueur et même l’ennui qui transpirait dans cette maison vivante seulement les jours de regroupement familial. J’étais littéralement enfermée, loin de la vérité, épargnée du tumulte de Douala.
Des larmes chaudes et sincères ont dévalé le long de mes joues:
« Pourquoi tu pleures ?
– Papi est mort. Il me baladait, lui !
– Chut ! Il est mort depuis… Il fallait pleurer avant. »
J’ai pensé: « C’est vrai! ». Bonjour désillusion ! Paralysée par l’angoisse des jours à venir, j’écoutais, lassée, le grésillement du téléviseur qui rythmait toutes mes journées, même les jours de grand soleil. Mes tantes discutaient en duala sur la véranda., dialecte dont j’ avais oublié jusqu’à l’existence. En 10 ans, on en oublie des choses, pas vrai ? Oui , il s’était écoulé 10 longues années avant que je ne repointe mon nez au Cameroun.
Le pays nous impose son tempo lento. Alors on ralentit faute de pouvoir respirer sous la chaleur écrasante. Embourbée dans les embouteillages du soir au matin, Douala nous plonge dans l’attente des rendez-vous manqués. Si une tante inconnue ou un vieil oncle passe me voir enfin, alors je discute.
Un top grenadine à la main, je me surprends souvent à rêvasser sur le divan centenaire des plages de Kribi. Comme cette fois, où j’avais réussi à passer outre les craintes de mémé pour aller danser dans un bar de nuit avec mon cousin Aubin. Je me souviens, le dj en pleine session avait envoyé la meilleure punch line sur la CAN : « Au moins quand les Lions indomptables jouent, on peut être sûr d’une chose, c’est de jamais rien gagné ! ». J’avais ri.
Les étés au Cameroun sont lents. Les réveils ensoleillés sont le prologue d’après-midis où la chaleur sourde nous dissuade de pointer le bout de notre nez dehors. A quoi bon sortir finalement quand aujourd’hui et demain se rejoignent?
Très beau récit sur la manière de vivre au ralenti dans la chaleur étouffante de Douala. Bravo !
Le récit prends même de la lenteur au fur et mesure de la lecture. Bravo.