Un jour j’ai eu douze ans, et j’ai rêvé de toi. 2/4

5 mins

« Bonjour jeune homme, comme allons nous ce matin ? Vous avez droit à deux pilules. »
La douceur d’une tornade venait faire son effet matinal en amenant le petit déjeuner.
« Bonjour, je me sens fatigué, comme si j’avais mal dormi. »
Je suis tout étonné qu’elle ait attendu ma réponse, elle est toujours là à me regarder.
« Vous savez, ce que vous m’avez dit hier soir sur ce bruit de souris, m’a encore travaillé ce matin. Nous sommes dans le service des soins continus, et tout ce qui est anormal, doit être signalé sur la main courante pour le personnel qui va prendre la suite. Je vais en parler à ma responsable avant de partir, je serais plus rassurée comme je ne reprends que demain.  Je vous souhaite une bonne journée. »
Le temps de poser le plateau sur la table roulante, de l’approcher du lit, elle est déjà repartie. Je regarde mon petit déjeuner avec pitié, le bol de céréales matinales n’existe pas ici. Un jus de fruit, un petit pot de confiture avec un carré de beurre, un petit pain et une tasse de chocolat, vivement que je rentre à la maison. J’ai trop faim, j’en suis à lécher le pot de confiture et grignoter les miettes de pain qui sont tombées. Je suis tellement concentré à rechercher le moindre bout de nourriture, que j’ai failli en oublier les pilules. Chose faite, mais un peu dures a passer sans liquides. Justement, en y repensant, je n’ai rien eu hier soir ; il est possible que ce soit à cause de ça que je me sente un peu fatigué. En y réfléchissant, j’ai vécu une drôle de nuit, peuplée de couleurs, de bruits et de formes. J’en ai un souvenir précis mais indéfini, je n’arrive pas trouver assez de mots pour décrire. Je ferme les yeux pour tenter de rattraper mon rêve, je le sens défiler dans ma tête par petits bouts que je tente de saisir. Je me surprends à parler à haute voix, pour tester si le mot que j’ai pensé, sonne bien quand je le prononce. Je me met à sourire, parce que si quelqu’un entre maintenant, il va me prendre pour un fou. Je suis toujours assis sur le dossier relevé du lit, et je reprends le fil de mes idées.

Des teintes bleutées, orangées ou rougeâtres, coloraient des cercles concentriques qui flottaient dans les airs. Je ne suis pas vraiment sûr des couleurs, parce que tout était sombre, mais je connaissais le résultat, comme si je peignais un tableau. J’ai l’impression de deviner, plus exactement de savoir la couleur adaptée à ces formes sombres. À bien y penser, on aurait dit ces tornades que l’on voit à la télévision, parce que je ne distinguais que le côté ouvert, qui se tordait en tous sens, alors que la pointe se trouvait au-delà de ma vue. Il y avait aussi des bourdonnements, des tas de bourdonnements, ou des crissements, je ne sais pas vraiment dire, comme le bruit que j’ai entendu hier soir, de très aigu à très grave, un peu comme une note de musique qui varie. Chose étrange, ça ne faisait pas de bruit, mais je pouvais l’entendre. Toutes les teintes étaient semblables de différences, tous les sons étaient identiques dans les variations,  mais chaque tornade était unique de vie propre, je le sentais, je ne savais pas pourquoi. Je me souviens avoir essayé d’imiter les bruits que j’entendais, mais avec quoi ? Je me souviens d’avoir tenté de toucher les tornades, mais avec quoi ?
Il faut que j’arrête de me souvenir, je n’arrive pas à comprendre ce que j’ai rêvé, s’il y a quelque chose à comprendre d’abord. Je ne me souviens pas avoir déjà rêvé, quelques pensées très vite oubliées sans doute, mais si ça se passe ainsi, c’est trop compliqué pour moi. Si jamais je vois un des Docteurs, je lui demanderais pour les médicaments, je lui dirais juste que j’entends des bruits quand je m’endors, sinon il va me prendre pour un fou, si je lui explique. Maman ne passe que ce soir, ça va me sembler long, il faudra que je lui dise de m’apporter de quoi manger la prochaine fois, j’ai encore faim.

J’entends quelqu’un frapper à la porte, j’ai le temps de répondre, donc ce n’est pas l’infirmière.
« Bonjour Stéphane, vous allez bien ce matin ? »
C’est le Docteur Moreau, dans sa blouse de chimiste. Comme c’est le premier que j’ai vu à mon réveil, j’ai toujours gardé ce souvenir.
« Bonjour Docteur, je me sens un peu fatigué, et, je ne sais pas si c’est à vous que je dois demander ça. »
« Dites-moi, je suis là pour ça. »
« J’ai faim, il n’y avait pas grand-chose dans le petit déjeuner, jamais je ne tiendrais jusqu’à midi.»
Il se met à rire d’un seul coup et se penche vers moi, comme s’il voulait me faire une confidence.
« Je vais vous dire quelque chose, mais ne le répétez surtout pas ; jamais je ne viendrais manger dans une clinique, tout est calculé au gramme près pour qu’on ne grossisse pas, et comme vous le voyez, j’ai réussi à éviter jusque maintenant. »
Il semble content de sa blague, moi j’ai trouvé complètement idiot.
« Mise à part ça, je demanderais à l’infirmière en sortant. Vous avez des douleurs, mal quelque part ? J’ai lu que vous entendiez des bruits hier soir, expliquez-moi. »
Je ne vais rien lui raconter, ou alors le plus simple possible, sinon il va me prendre pour un fou.
« Quand j’ai voulu m’endormir, j’entendais des bruits, comme des craquements ou des grincements. J’ai appelé l’infirmière, parce que je croyais qu’il y avait une souris, et ce matin, je me suis réveillé fatigué. »

Il est en train de noter quelque chose sur un bloc-notes qu’il a apporté.
« Bien, bien. Vous avez remarqué que vous n’avez plus de traitement le soir. Cela était destiné, entre autre, à ce que vous dormiez bien et profondément. Il est fort possible que vous êtes en train de reprendre votre rythme normal de sommeil. Le moindre bruit est amplifié dans le silence de votre chambre. Vous allez vous y habituer. Des douleurs à la nuque sinon ? »
« Non, Docteur, rien. C’est juste un peu dur de tourner la tête, mais avec les pansements, je crois que c’est normal. »
Il continue à écrire sur son bloc, pourtant, je n’ai rien dit d’anormal.
« Bien, bien. Vous m’avez parlé de fatigue tout à l’heure, vous vous êtes réveillé cette nuit, ou alors réveillé tôt ? »
« Non, non, je crois que j’ai bien dormi, mais j’ai l’impression de me fatiguer à rester coucher. Je n’ai pas l’habitude. »
Et hop, deux lignes de plus, enfin je crois, sur son carnet.
« L’inaction sans doute, l’inaction. À votre âge, c’est une fatigue inversée. Bien, bien. Je viendrais vous voir prochainement avec un module de test mobile. Ne vous inquiétez pas, ce sera juste pour vérifier votre vision et votre ouïe. Tant que votre blessure à la nuque ne se sera pas résorbée, vous êtes obligé de limiter vos mouvements. »
« Je pourrais bouger quand ? j’en ai marre de rester enfermé. »
Il était en train de réfléchir, tout en tournant les pages de son carnet.
« Je pense que d’ici une à deux semaines, on va vous enlever le plâtre. Déjà, vous pourrez commencer à vous déplacer avec des béquilles et faire des exercices. On devrait alléger votre pansement à la nuque dans le même temps, vous voyez, tout arrive. Bon, sur ce, je continue. N’hésitez pas à me demander si vous avez un souci. Au revoir jeune homme. »
Le temps d’écrire quelque chose sur la feuille au pied du lit, il a déjà tourné les talons, c’est quoi cette clinique ou tout le monde est pressé, je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir. J’ai attendu toute la matinée que l’on m’apporte un peu a grignoter, il m’avait oublié.

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