Je vois ces tourbillons, maintenant j’ai l’habitude, je peux les pénétrer je ne sais pas comment, mais quand je veux entrer, je sens s’accélérer les battements de mon sang. J’en approche certains, je ne peux y aller, les parois restent dures et d’autres comme des passoires, on ne peux y rester.
Je commence à comprendre que le haut en couleur, plus ils virent vers le vif me sont impénétrables, ceux qui tirent vers le sombre me sont plus accessibles.
Je n’ai pas l’impression de voler, juste de m’étirer comme un fil qui me tient à mon corps que je sens et qui bat la chamade.
Je vais tenter dans un de ceux ou je peux accéder, et après plusieurs essais.
Tous est gris, j’ai déjà vu ça, je fais un peu d’effort pour colorier le sombre, et je déroule une scène comme dans un cinéma en «3 D », je suis sur le bord d’un écran, je regarde.
Une course de motos, je vois un circuit, j’entends les bruits des moteurs, plus exactement les sons que j’y adapte, je suis dans une action et je vois de loin une de ces machines poursuivies par plusieurs autres, le tout centré par une caméra invisible.
Comme un œil extérieur, je tente de m’approcher, pas de pilote sur la moto c’est assez étrange, car je distingue très bien les autres conducteurs qui poursuivent. D’un seul coup, la machine fait une embardée, tout s’arrête, je me trouve au milieu d’autres tourbillons le mien a disparu, le film a disparu. Quelle drôle de sensation, ce n’est même pas progressif, c’est instantané, sons et lumières éteints. Qu’a cela ne tienne, je me cherche une autre entrée, un autre film, mon drôle de rêve me déconcerte et m’amuse, je sens mon corps qui souffle en arrière, et je suis là, dans un immense show, il n’y a qu’à demander les chaînes.
Celui-là à coté pourquoi pas, il se laisse pénétrer. Une grande salle de spectacle, on dirait un concert, des gens les bras levés, certains une flamme au bout, ce sont des briquets, des milliers de lucioles qui balancent vers une scène. Je met le son, je n’aime pas, on dirait du Rock et des guitares aiguës, je ne laisse que les couleurs finalement. Je vois des musiciens au loin sur une estrade, quatre ou cinq, je distingue mal à cause de fumées qui stagnent tout autour, je n’ai jamais vu de vrai concert je n’ai pas encore l’âge, ça me fait rire, j’ai l’impression de parler à voix haute dans le silence que j’ai provoqué, je vais m’avancer un peu.
« Je t’emmerde, c’est moi le leader du groupe. »
La voix à raisonné d’un coup dans la salle que je croyais éteinte. Je suis stoppé dans mon élan, je regarde partout, au plus loin c’est sombre, le néant, au plus prés cinq musiciens, mais plus exactement, une des guitares sans support qui pointe vers moi.
Je devine que quelqu’un doit la tenir, mais il n’y a personne, et tout s’éteint d’un coup. Je m’attend à être encore éjecté, et cette voix que j’ai entendu avec force, d’un seul coup la scène change.
J’en suis encore avec ces paroles qui résonnent, comme si on s’adressait à moi.
Je n’ai pas le temps de rester sur ma réflexion, un bureau deux chaises de part et d’autre, dont l’une occupée par un personnage étrange. Ça va vite, très vite, je m’adapte à cette nouvelle vision, J’entends une discussion mais je ne vois qu’un des protagonistes.
Je lis sur son visage l’exagération d’un sourire carnassier, si c’est un film d’horreur je crois que je vais sortir, je n’aime pas du tout ça. Je reste sur le bord, j’attends encore un peu, poussé par la curiosité, j’écoute sans bouger cette fois-ci.
« Trente pour cent, c’est une bonne offre. Tu ne te rends pas compte, j’organise tout, je fais tout, tu n’as plus qu’à jouer. »
« Cinquante pour cent, pas en dessous, sinon je change de producteur. »
La voix de tout à l’heure, je reconnais la voix, je sens mon corps de chair qui se hérisse. Le son semble venir de la place inoccupée, parce que le seul que je vois regarde la chaise vide.
Je me fais encore plus petit, et si cela est, je ne respire plus.
« Tu es bon c’est vrai, mais j’ai beaucoup de frais, on peut trouver un accord. »
Je fixe la seule personne visible, je me demande avec qui il discute et je ne comprends rien, je vais zapper la chaîne. On dirait qu’il me regarde maintenant, je me sens mal à l’aise, je crois que je vais partir.
Je commence à me retirer de ce tourbillon et juste à ce moment, j’entends un dernier échange :
« Qui est tu pour me parler comme ça ? Un musicien légèrement doué que j’ai croisé dans la rue, les affaires c’est mon domaine, pas le tien, si tu veux changer, change.»
« Je suis Michel Malard, le meilleur guitariste que tu n’as jamais eu. »
Je suis dehors, le tourbillon est là, j’ai un semblant d’idée qui me tourne dans la tête mais je n’arrive pas à mettre une forme.
Mon corps halète plus loin, je sens qu’il a soif, je sens qu’il a faim. Le cordon nous relie et je veux continuer, comprendre ce que je fais, le repas sera servi dans quelques heures, ça ne doit pas faire plus de cinq minutes que je navigue ainsi, j’ai du temps. Je m’étire plus loin encore, des centaines, des milliers de tourbillons, j’ai le choix, celui-là pourquoi pas.
Nouveau lieu, nouvelle scène, on dirait un bar-tabac. Je suis allé quelques fois avec maman pour valider des bulletins de loto.
« Si on est riche un jour, j’arrête de travailler et on achète une île. »
Ouais, bof, la plage je suis d’accord, mais pour le reste, si je n’ai pas de potes, je vais me faire chier.
Je suis en train de penser à ça, quand l’écran à côté de la caisse s’illumine d’un gros titre « Vous avez gagné le gros lot. »
Le plan change d’un coup, je n’ai pas bougé, je suis en face d’un très grande maison avec une piscine en forme de cœur dans laquelle nage un beau jeune homme musclé, d’après ce que j’en juge.
Je tente de contrôler mon rire, car on dirait la maison de Barbie, comme dans les pubs à la télévision. L’éphèbe sort de l’eau, et s’approche d’un fauteuil de bain à côté. Il prend une boisson avec la paille qui dépasse et la tend dans le vide. Le verre se promène tout seul et se vide devant la chaise longue. Je crois que je fronce les sourcils, mon corps physique ou celui-là, j’ai l’impression de comprendre quelque chose. L’homme est en train d’ôter son maillot de bain et se tourne vers l’eau, le verre se pose tout seul sur une table attenante, j’entends distinctement deux jaillissement d’eau, mais il est seul sur le rebord. Je reste toujours loin, je vois qu’il tend sa bouche comme pour faire un baiser, ses bras sont en dessous mais ses épaules remuent et tout son corps ondule. Je viens enfin de saisir ce qu’il fait, Beurk.
« Je t’aime ma choupinette. »
C’est trop pour moi, je ne peux pas m’en empêcher, j’imagine un bouchon, comme dans une baignoire et je tire dessus, une voix de fille résonne :
« Non, non, pourquoi ? »
Merde, je reconnais la voix, on dirait une de celles qui m’apporte les repas.