Il faisait encore une nuit car les journées étaient courtes à cette époque de l’ année. Il
avait fêté Noël la semaine précédente avec sa femme, ses deux fils et leurs épouses.
Mais aujourd’hui allait être une dure journée. Il n’avait pas bien dormi parce que son esprit
était traversé par plein d’idées, d’impressions, d’envies de révolte. Il alla dans la salle de
bain et sortit son nécessaire de rasage.
Il commença par affûter son sabre sur le morceau de cuir déjà usagé. Ses mouvements
étaient automatiques. Il fonctionnait comme un robot. Sa tête était ailleurs. Il prit ensuite le
savon à barbe, mit de l’eau dans la soucoupe et avec le blaireau mélangea l’ensemble
pour faire une belle mousse. Il en enduit copieusement son visage et son cou. Là, il
marqua un temps d’arrêt, et sortit du cycle infernal de ses pensées. Il prit le sabre bien
affûté, et commença son rasage par la joue gauche.
Il n’en croyait pas ses yeux : ce qu’il voyait dans la glace le stupéfiait et le ramenait avec
force dans la réalité, en dehors des rêves et des supputations. La peau qui apparaissait
derrière le sabre était entièrement marron, d’une couleur de terre. Pour vérifier qu’il avait
toute sa raison, il remit de la mousse sur la zone déjà rasée et repassa le sabre. Cette
fois, la peau qu’il voyait était verte. Il avait lu, il y a quelques temps, une nouvelle
fantastique sur les Martiens. Il crut qu’il avait muté.
Soudain la sonnette de son vieux réveil résonna dans le silence de la campagne
environnante. Il fallait se lever. La journée serait rude, il faudrait tenir bon devant le
notaire, aller jusqu’au bout de sa décision de punir ses fils.