TROIS — MAËLLE
Lorsque le nouveau est entré dans la classe de mathématique, j’ai tout de suite vu qu’il avait quelque chose d’étrange, de différent. Il paraissait plus mature mais en même temps très fragile comme s’il avait été brisé puis réparé avec de la colle forte. Il était grand, pas très large mais on se doutait qu’il faisait régulièrement du sport. Tout chez lui était sombre : ses cheveux châtains, ses yeux verts remplis de souffrance, son expression maussade et fermé, et ses vêtements.
Je savais qu’il allait s’asseoir à côté de moi, on avait passé une heure à désigner quelqu’un, et finalement je m’étais portée volontaire. Je n’aimais pas du tout mon ancien voisin qui mâchait un chewing-gum et faisait des bruits bizarres, alors un nouveau, même s’il avait eu des « problèmes », ne pouvait pas être pire.
Je ne m’étais pas trompé, il n’a pas sorti un mot de toute l’heure après s’être présenté.
Sa présentation, elle-même, était étrange et je trouvai qu’elle le représentait plutôt bien : discret mais précis.
Il était vraiment bizarre. Il n’a pas écouté un mot du cours, il était plongé dans ses pensées. Je me demandais à quoi il pouvait bien penser avec cet air de souffrance perpétuelle. Je n’ai pas réussi à suivre le cours car il me perturbait, je savais qu’il avait remarqué que je le regardais à la dérobé mais il ne réagissait pas.
À la récréation, il s’était mis dans le coin le plus à l’écart de la cour et il triturait un truc dans ses mains. La conversation de mes amies portait évidemment sur lui mais je n’écoutais que d’une oreille.
– Il est vraiment bizarre, remarqua Léane, ma meilleure amie.
– Ça c’est sûr. Vous pensez qu’il a eu quoi comme problèmes ? demanda Laurine.
– Je ne sais pas, mais ça doit être grave, dit Sophie.
– Peut-être qu’il a eu des ennuis avec la police, suggéra Louise.
Et ce fut ainsi pendant les quinze minutes de la pause. Et je parierais que le sujet était le même pour tous les 3e. Et lui, il était là, dans son coin, sans se douter qu’il était devenu la bête de foire du collège.
C’est pendant la pause de la cantine qu’il me surprit. Il était toujours dans son coin à triturer je ne sais quoi, quand Samuel et sa bande vinrent le déranger. Il se leva et ils échangèrent des mots, qui ne devaient pas être des courtoisies. Puis Samuel dit quelque chose qui fit réagir Alexandre, même à l’autre bout de la cour, j’ai senti qu’il s’était raidi comme s’il se préparait à combattre. Je ne voyais pas très bien car ils étaient cachés par des arbres, mais il me sembla que Samuel posa sa main sur Alexandre et, là, sans prévenir, Alexandre le frappa violemment à la tête et Sam tomba par terre en criant. Charles, un surveillant, vint voir se qui se passait et il appela trois de ses collègues. À trois il transportèrent le nouveau vers le bâtiment de la direction, pendant que le dernier emmenait Samuel à l’infirmerie. Alexandre semblait effrayé, manifestement, il savait qu’il avait fait une grosse bêtise et qu’il risquait de se faire virer.
La cloche sonna. Et personne d’autre que les copains de Samuel et moi n’avait vu ce qui s’était passé.
En cours de SVT, j’étais tendue. J’essayais de comprendre pourquoi Alexandre avait eu une telle réaction. Je me repassais la scène et j’avais l’impression, qu’en fait, il avait perdu le contrôle, qu’il avait littéralement pété les plombs.
Un quart d’heure après le début du cours, quelqu’un toqua à la porte. Alexandre entra.
– Désolé pour le retard.
Il tendit un mot d’excuse au professeur. Celui-ci le regarda de travers.
– Mmm… Va t’asseoir au fond.
Il se dirigea vers la double table vide derrière la mienne. Et en passant devant moi, je remarquai qu’il était beaucoup plus tendu que ce matin. Et je vis aussi qu’il triturais un objet en métal dans sa main, c’était un casse-tête chinois. Alors c’était ça qu’il faisait pendant la récréation, il faisait un casse-tête ! Soit c’était vraiment un intello, soit il avait de drôles d’occupations.
À la fin des cours, je rentrai avec Léane. Dès que nous nous fûmes suffisamment éloignés du collège, elle me dit :
– T’as vu ce qui c’est passé pendant la pause, ce midi ?
Apparemment, elle aussi avait remarqué l’effarouché. Je me contentai de hocher la tête.
– C’est vraiment un dur le nouveau. Comment il s’appelle déjà ?
– Alexandre.
– Ah oui, c’est ça, Alexandre. Eh bien, tu n’as pas de chance d’être à côté de lui en maths. Pourquoi tu t’es portée volontaire au fait.
– Je ne pense pas qu’il soit méchant. Samuel l’avait provoqué.
– Peut-être, mais enfin quand-même, tu as vu le coup de boule qu’il lui a mis. On aurait dit qu’il prenait plaisir à lui faire mal.
Elle avait raison, une telle réaction était excessive mais je ne voulais pas le croire. Je ne savais pas pourquoi mais je ne voulais pas croire qu’Alexandre était un mauvais garçon.
– Tu sais bien qu’il a eu des problèmes, peut-être que ça l’a rendu violent, répliquai-je.
– C’est pas une raison !
J’étais arrivé chez moi et je ne répondis pas.