2 Juillet 2009
La personne qui ouvrit la porte à Ania avait tout l’air de la femme parfaite. Un mètre soixante, les cheveux lisses et noirs, courts à l’arrière et une longue mèche à l’avant, de grands yeux verts et la peau pale. Si elles n’avaient pas le même visage rectangulaire et un nez aquilin identique, personne n’aurait pu deviner qu’elles puissent être de la même famille.
Moro l’accueillie avec un sourire qu’Ania aurait volontiers qualifié de forcé.
« Bonsoir Ania, entre donc. »
Ania entra et fut accueilli par un garçon brun plus grand qu’elle.
« Salut tata. Dit-il en lui faisant la bise.
– Salut Franck. Dis donc, tu as bien grandi depuis la dernière fois. Ça doit faire quoi… 6 mois ?
– 2 ans. Lui répondit Moro
– Ah… tant que ça ?»
Un silence s’installa, dans lequel Ania ne savait plus où se mettre. Elle commença à retirer sa veste pour l’accrocher au porte manteau, quand un homme sortit du salon. C’était le mari de sa sœur.
« Bonsoir Ania, dit-il en se postant derrière Franck.
– Bonsoir Max »
A les voir l’un à côté de l’autre, on ne pouvait qu’être sûr qu’il s’agissait bien d’un père et son fils. Ils se ressemblaient trait pour trait : les cheveux bruns en bataille, les yeux marrons, le visage rond.
Ania n’avait jamais pu comprendre pourquoi sa sœur s’était mariée avec ce grand dadais, mais tant qu’elle était heureuse, ça lui allait.
Après quelque secondes, Moro fit un signe à son mari, ce qui sonna la fin de ce moment de gène.
« Allez viens Franck, dit Max à son fils en tapant sur ses épaules, il me semble que tu avais des devoirs à faire non ? On va laisser maman et tata discuter.
– Oh non ! On la voit jamais, je peux pas rester un peu ? Demanda le garçon, dépité.
– Vas d’abord faire tes devoirs, dit Moro d’un air sérieux, et après, on verra. »
Sur ces ordres, Franck obtempéra, non sans se plaindre en montant les escaliers, devant son père. Moro l’ignora et invita Ania à entrer dans le salon-salle à manger. C’était la pièce la plus propre et rangée qu’Ania n’eut jamais vu. Digne d’une femme parfaite, évidemment.
« Il a bien grandit, dit Ania pour la forme. Ça lui fait quel âge déjà ?
– Quatorze ans cette année. Il est vrai que tu n’as jamais trop suivi ces choses-là, tu as dû rater la moitié de ses anniversaires. »
Sale traite ! Comme si elle avait le temps d’y penser avec son travail. Elle détestait ses manières de bourges, mais ne répondit pas.
« Allez, assis toi. » dit Moro en désignant le coin salon.
Ania s’installa sur le canapé en cuir marron, à côté d’une grande cheminée en brique.
« Tu veux un verre ? Lui proposa sa sœur en se dirigeant vers un grand meuble aux portes vitrées. Whisky, rhum ?
– Non merci, ça ira. »
Moro sorti un verre et se servit une bonne dose de whisky.
« Très bien, dit-elle en revenant s’asseoir sur le fauteuil d’à côté, tu m’excuseras, mais moi je vais en avoir besoin vu de qui m’attends. » Elle but son verre cul sec et respira un bon coup. « Vas-y, explique-moi. »
« Donc, commença Moro en posant la lettre sur la table, tu es en train de me dire que notre sœur, disparue depuis 18 ans, nous a envoyé une lettre, à nous quatre, dans laquelle elle demande à nous revoir ? »
Ania hocha la tête.
« Et qu’en plus d’être allée se paumer je sais pas où, du côté de Lyon, elle a aussi réussi à faire deux gamins qu’elle veut nous présenter ?
– Il semblerait oui… » Il est vrai que cette histoire lui paraissait dingue à elle aussi.
« Putain ! Elle se fout de notre gueule celle-là ! »
Ania la regarda, choquée. Sa sœur, miss “bien-sous-tout-les-rapports”, avait outrageusement dit une insulte. Ça n’avait plus été le cas depuis que son fils était né. Peut-être même plus.
« De toute façon, repris Moro, Christianne n’a jamais rien fait de rationnel. Comment, dans son état, a-t-elle pu penser à faire des enfants ? Dire qu’elle s’est barrée et n’a pas donnée de nouvelles pendant 18 ans. Elle n’est peut-être même pas au courant pour maman et Karine. Et maintenant elle revient comme une fleur, comme si elle n’avait rien fait de mal ? »
Moro semblait fulminer. D’une certaine manière, Ania la comprenait. Cette situation devait être difficile à gérer pour elle.
« Tu vas y aller ? demanda Moro.
– Oui je pense. Quand j’ai lu la lettre, j’ai eu une impression désagréable. Un peu comme celle qui tu as eu à l’époque… Je préfère aller vérifier.
– Alors je viens avec toi. » Ania releva les yeux, surprise. « Après tout, ça reste ma sœur. Et pour peu que ses enfants soient comme elle, on pourra les enfermer tous les trois. »
Ania se dit qu’elle y allait fort, mais elle ne refusait pas son soutien. Elle ne savait pas à quoi s’attendre si jamais ça se passait mal.
« Bon, tu vas rester ici ce soir et on partira demain. Ça ne servirait à rien d’arriver en plein milieu de la nuit n’est-ce pas ? »
Ania hocha la tête et se releva, prenant la lettre avec elle.
« Tu m’excuseras, mais je suis crevée, j’ai pas arrêté ces derniers jours. Je vais aller me coucher.
– Oui bien sûr, je vais t’accompagner à ta chambre, dit Moro en se levant à son tour.
– Non, inutile. Je connais le chemin. J’ai vécu pendant trois ans ici je te rappelle. On se voit demain. »
Elle laissa sa sœur, et monta à l’étage.
Elle alla directement dans la chambre qui avait été la sienne quand elle était venue vivre ici, à 17 ans, jusqu’à ses 20 ans. Elle n’y avait apporté aucune décoration, accroché aucun poster, tout était resté blanc et rien n’avait bougé depuis son départ. Elle retrouva dans le bureau tout un tas de cahier et de note de ses années d’études. Dès qu’elle avait eu sa licence 3, elle avait directement passé le concours pour rentrer dans la police. Major de sa promo, elle était devenue officier à 21 ans.
Elle enleva ses chaussures puis son pantalon et se coucha en t-shirt et culotte. Elle ne portait pas de soutien-gorge, cela ne lui servait à rien au quotidien. Il n’y avait que Moro qui en avait besoin.
Son ventre gronda. Elle avait encore oublié de manger, et maintenant, elle regrettait. Elle décida de l’ignorer et ferma les yeux.
3 Juillet 2009
A nouveau, elle fut réveillée en sursaut, mais cette fois ci par Franck. Le garnement, sûrement envoyé par sa mère, était venu dans sa chambre pour la sortir de son sommeil bien profond. Elle émergea, se rappelant même pas s’être endormie.
« Tata, dit-il de sa voix trainarde en la secouant légèrement, il est huit heures et demie, faut que tu te lèves, le petit déjeuner est prêt. »
Elle ouvrit un œil en grognant.
« D’accord, d’accord, dis à ta mère que j’arrive, je dois me doucher d’abord. Tenta-t-elle en priant pour que ça fonctionne.
– Ok. » Puis juste avant de sortir : « Au fait tata, je pourrais monter sur ta moto bientôt ? »
Ania ouvrit les yeux, complètement réveillée. Non mais il déconnait ?
« Ouais, peut-être, on verra. Laisse-moi maintenant, s’il te plait ! »
Il n’insista pas et sortie en claquant la porte. Ouf, enfin tranquille ! Foutu ado, quelle idée !
Elle se leva, et son ventre gargouilla plus fort que jamais. Elle était littéralement en train de mourir de faim, mais elle ne pouvait pas se permettre de descendre dans cet état. Elle se dirigea vers la douche et voulu fermer à clé. Elle se rappela en voyant la poignée sans serrure que Moro avait banni tous les types de fermeture, autre que sa porte d’entrée, de sa maison. « On a passé beaucoup trop de temps à devoir s’enfermer, alors maintenant, c’est fini » lui avait dit sa sœur quand elle avait posé la question. Tant pis, de toute façon, tout le monde était en bas.
Elle se déshabilla et pris quelque secondes pour se regarder dans le miroir. Ses longues boucles noires étaient plus emmêlées que jamais, son visage était pale et émacié, mettant en avant les trois longues cicatrices roses sur sa joue. Elle avait encore perdu du poids. Ce boulot allait finir par la rendre anorexique, c’était sûr.
Une fois lavée, alors qu’elle s’apprêtait à prendre une serviette dans l’armoire, sa sœur entra sans prendre la peine de s’annoncer.
« Mais ça va pas ! hurla Ania en attrapant la première chose qui lui tomba sous la main pour s’en couvrir. Prévient la prochaine fois !
– Oh ça va, ce n’est pas comme si je ne te faisais pas prendre ton bain pas quand tu étais bébé, tu sais ?
– Sauf que je suis plus un bébé…
– Oui, oui, j’ai compris. Je t’ai apporté quelques vêtements pour te changer. Je doute que tu avais prévue de dormir ici, sinon Yana n’aurait pas appelé, n’est-ce pas ? »
Merde, Yana ! Elle avait complètement oublié de la prévenir. Généralement, elle prenait au moins la peine de lui dire si elle s’absentait pendant plusieurs jours. Elle ne répondit pas à Moro et se contenta de prendre les vêtements qu’elle lui tendait.
– Ça risque d’être un peu grand, ce sont des affaires que je ne mets plus. Tu pourras les garder…
Ania pris le haut et le regarda de plus près : un débardeur bleu avec une étoile en paillettes dessinée dessus. Sérieusement ?
– Ouais, dit Moro en voyant le regard d’Ania sur le haut, c’était une sombre époque pour moi. C’est ce que j’ai de plus petit. Sauf si tu veux que je te donne une robe ?
– C’est bon, répondit immédiatement Ania, merci. Tu peux y aller, je descends.
Sur ces mots, Moro quitta la pièce, et Ania attendit de l’entendre descendre les escaliers pour enlever la serviette. Elle y jeta un œil et vit qu’elle était à l’effigie du groupe Linkin Park. Au moins, ce gamin n’est pas totalement irrécupérable.
En mettant les vêtements de sa sœur, Ania eu l’impression de ressembler à un clown. Le jean, censé être un slim, était au moins deux fois trop large pour ses jambes et elle avait dû serrer la ceinture au maximum pour qu’il tienne sur ses hanches. Elle nageait complétement dans le débardeur, qui, au moins, cachait un minimum son semblant de poitrine. Elle se trouvait ridicule mais sentait enfin le propre, et elle avait réussi à se coiffer à peu près.
En arrivant à l’entrée de la cuisine, elle vit que Moro était en train de parler avec son fils :
« Mon chéri, maman va s’absenter pendant quelques jours avec tante Ania. C’est papa qui va s’occuper de toi en attendant. Tu seras sage, promis ? »
Le garçon dégagea la main affectueuse que sa mère avait passée dans ses cheveux.
« Ça va, c’est bon, j’ai compris. »
Moro se redressa, calme, et aperçu Ania qui rentrait dans la pièce.
« Ah, te voilà. Finalement les vêtements ne te vont pas si mal. Viens t’asseoir, tu dois avoir faim. »
Ania ne répondit pas, pour éviter d’être malpolie, mais n’en pensant pas moins. Elle fit un signe de tête à Max en guise de bonjour et s’installa à sa droite. Son ventre criait tellement famine qu’elle n’attendit pas l’autorisation pour se servir.
« Bon, dit Max en se levant, on va y aller mon grand, il ne faudrait pas arriver en retard. On se tiens au courant ma chérie ? »
Le gamin se leva en trainant des pieds, suivi de son père.
« Faites bon voyage, ajouta Max en embrassant sa femme. C’est toujours un plaisir de te voir Ania »
Après un « salut » de Franck, ils partirent enfin.
« Nous y voilà, commença Moro en débarrassant la table. Fini de déjeuner, on décolle juste après. Il ne faudrait pas arriver trop tard si on veut fêter l’anniversaire de la petite. On pourra peut-être même s’arrêter pour lui acheter un cadeau. »
Ania tilta. Elle ne s’était pas rendue compte de la date. Ça tombait plutôt bien finalement.
« Et ton travail ? demanda-t-elle à sa sœur.
– Oui, je l’ai ai déjà prévenus. Yana me remplacera sur les cours, le temps que je revienne. Je pense qu’elle sera une bonne prof, je l’ai bien formée. »
Elle acquiesça. Moro était enseignante en sciences dans une prestigieuse école. Grâce à elle, Yana avait pu décrocher un poste d’assistante à ses côtés, lui permettant de suivre une formation pour devenir professeure.
« Et toi ? Lui retourna Moro. Je présume que tu fais un peu comme tu veux de tes horaires. C’est l’avantage d’être haut placée.
– Oui… J’ai enchainée près de cinq jours d’affilés. Du coup j’ai un peu de temps de récupération.
– Parfait alors. »
Une fois le déjeuner fini, elles décidèrent de partie en voiture ensemble. C’était Moro qui conduisait, et Ania ne se révéla pas très bavarde, comme à son habitude. Elles arrivèrent sur place à 14h.
Mais le spectacle qui les attendait ne fut pas aussi réjouissant que prévu.
« Putain… dit Moro en laissant tomber la peluche, qu’elles venaient d’acheter, au sol. C’est pas possible, on est reparties 18 ans en arrière ou quoi ? »