De temps à autre il m’arrive de sortir fumer une cigarette le soir sur mon balcon, je m’assois sur le vieux tabouret en bois froid et peu confortable qui y traîne
et je regarde le ciel, cinq petites minutes, le temps de quelques pensées éphémères qui partent en fumée avec elle. Hier soir était l’un de ceux-là, et peut-être que j’étais d’humeur rêveuse, plus qu’à mon habitude, ou peut-être que le confinement a plus d’impact sur ma santé mentale
que je ne l’imagine, toujours est-il que je me suis surpris à avoir un petit sourire mélancolique vis-à-vis de cette petite demoiselle, qui voyait toute son existence brûler dans le laps de temps qu’il me fallait à moi pour prendre une pause dans la mienne.
Cette allégorie de la vie et de la mort qui venait de s’exposer à moi m’a fait pas mal cogiter et je suis resté là, nocturne, à fixer non plus le ciel
comme toile à ma réflexion mais les restes brasillants de ce petit amas de tabac inerte que je venais de personnifier, et qui le temps de cinq petites minutes, venait de m’apporter plus de poésie et de questionnements que je n’en avais jamais demandé au ciel éternel qui nous dominait.
Me voilà, le cadavre éteint de ma cigarette entre les doigts, avec deux choses en tête, l’idée de la mort et l’esthétisme qui venait de s’en dégager devant mes yeux.
C’est alors que m’est revenue une vérité aujourd’hui totalement admise dans notre société moderne: “La mort fait vendre”.
La mort.
C’est un fait elle nous entoure, elle va même au-delà de ça, elle définit qui nous sommes depuis des millénaires. La quasi totalité de nos actions sont régies par le simple fait de son fatalisme et se résument en trois questions:
-“Que faire pour ne pas mourir ?”
-“Pour quelles raisons suis-je prêt à mourir ?”
-“Qu’y a t-il après la mort ?”.
Vous avez ici la sainte trinité du sens de la vie, la graine fertile que l’Humanité cultive depuis des milliers d’années, notre vaisseau mère idéologique,
le Big-bang de la conscience humaine, l’origine de notre civilisation, bref, toute notre Histoire découle de ces trois questions:
la cueillette, la chasse, la grande migration, la maîtrise des éléments, l’art, la pornographie, les mathématiques, la science, la philosophie, l’éthique, la morale,
la notion d’amour, la pornographie, la religion, la guerre, la politique, le commerce, l’élevage en batterie, la conquête de l’espace, internet, Donald Trump, la pornographie,
moi assis devant mon PC la main dans le caleçon qui tente de vous parler de choses existentielles et futiles à la fois, l’Humanité…
Entre temps, et comme nous sommes de petites bêtes complexes et torturées, nous avons trouvé le temps de poser d’autres problèmes sur le tableau, sortes de “mentions honorables” des questionnements humains dont voici le début d’un échantillon:
-“Quel est le sens de la vie ?”
-“Peut-on dissocier le corps et l’esprit ?”
-“Y a t-il de la vie ailleurs dans l’univers ?”
-“Que se passerait-il si on faisais s’accoupler ce loup avec ce chacal ?”
-“Et si on montais notre banque privée avec un taux d’intérêt sur les prêts financiers ?”
-“Des pastèques carrées ce serait pas plus facile à ranger ?”
-“Tu crois que ça ennuierais les gens si on stockait toutes leurs données personnelles dans des bases informatiques et qu’on les revendaient aux multinationales et aux gouvernements ?”
-“Et si on développait un androïd super-intelligent pour répondre à toutes ces questions à notre place ? Puis on l’appellerait…Jamy ?”
Parmi d’autres voici ma petite pref’ et celle qui nous intéresse aujourd’hui:
“Comment rendre la mort divertissante et lucrative ?”
Comme je vous l’ai exposé plus haut, tout découle du fatalisme de la mort et si l’on devait parler d’elle en terme journalistique elle serait le foutu marronnier originel,
l’Yggdrasil du marron qui a planté les graines de tous les autres jusqu’alors et jusqu’à la fin des temps.
Enfin vous l’avez compris, y’a de quoi faire avec la mort, et on a pas manqué d’imagination quand il a fallu se faire du blé dessus.
Pour aborder le sujet j’ai décidé de vous raconter une histoire, à la manière d’Homère ou Jean de la Fontaine…ou de père Castor, c’est selon.
Histoire que voici…
Il était une fois, quatre titans qui surplombaient et dirigeaient le monde des humains.
Chacun avait son royaume avec ses lois propres, et chaque royaume avait ses adeptes. En effet les humains vouaient un culte aux titans, en échange,
ces derniers donnaient un sens à leurs vies.
Il y avait comme frontière entre les royaumes une immense forêt habitée uniquement par des animaux et quelques ermites, et il arrivait souvent que
certains humains migrent vers un autre royaume, cela ne dérangeait point les titans qui s’échangeaient volontiers leurs adeptes, ils n’étaient pas dans une logique de conflit et la ressource humaine était conséquente et s’équilibrait d’elle-même.
Le premier royaume se trouvait dans des marais brumeux et son titan se nommait Tabac.
Tabac était le titan de l’esthétisme et de la mélancolie. Il était poète, sensuel et volage, aussi, ses adeptes étaient plongés dans un brouillard constant
qu’ils avaient eux-mêmes créé à force de consommation de cigarettes, une de leurs inventions. Tabac trouvait le nom très esthétique.
L’épais cocon de fumée qui les enveloppait était propice à la rêverie et au spleen, de ce fait les habitants des marais avaient une imagination débordante et étaient d’une nature douce et calme, quoi qu’un peu torturés.
On doit notamment aux adeptes de Tabac la création des Arts.
Le second royaume était sous l’influence d’Alcool et comptait plusieurs îles luxuriantes.
Alcool était le titan de la fête et de la luxure. Et bien qu’il fut bruyant, vantard et séducteur, soit son contraire, il s’entendait plutôt bien avec Tabac, ils se complétaient.
Ses adeptes étaient de grands enfants et donc totalement irresponsables. Leur mémoire leur jouait des tours et ils avaient une réelle tendance à toujours tout laisser en bordel.
Mais ils avaient de l’humour et du cœur, et il faisait bon vivre sur les îles d’Alcool, on y vivait “à la cool”.
Tabac lui avait proposé ce nom pour le mode de vie de ses fidèles.
Le troisième royaume se nichait haut dans les montagnes, Médecine veillait sur lui.
Médecine était le titan de l’amour et du savoir. Il était curieux de nature, altruiste et défendait farouchement des valeurs de justice qu’il avait lui-même élaboré.
Il avait la communauté de fidèles la plus avancée technologiquement, du moins c’est ce qu’il aimait croire. La vie était dure dans les montagnes, aussi l’entraide était de mise chez ses habitants.
Malgré la rudesse de leur habitat ils étaient tous en excellente santé et leur espérance de vie dépassait de loin celle des habitants des autres royaumes.
Le dernier royaume était un gigantesque désert et était dirigé par Guerre.
Guerre était le titan du conflit et du combat, il était cruel, colérique et orgueilleux et il prenait un malin plaisir à observer les humains de son royaume s’entre tuer en son nom,
jour après jour et pour n’importe quelle raison.
Les adeptes de Guerre étaient sauvages mais loin d’être idiots, et au grand dam de Médecine ce sont eux qui ont développés les technologies les plus avancées du monde des humains. Guerre adorait les humains, il n’avait encore jamais eu d’adeptes aussi inventifs dans leur façon de faire, ce qu’il appelait de tout son orgueil, “la guerre”.
Armes blanches, de jet, à feu, bactériologiques, nucléaires, chimiques, instruments de torture, rituels sacrificiels et d’autres toutes aussi inventives…
Le spectacle qu’ils offraient à Guerre chaque jour était des plus divertissant, et il se renouvelait sans cesse !
À vrai dire il existait un cinquième titan, un titan nomade, sans royaume ni adeptes. Il était très discret et l’on disait de lui qu’il était partout et nulle part à la fois.
Mort était le titan originel, il représentait l’ordre et le chaos.
Et bien qu’il n’avait rien en commun avec Guerre, Médecine, Alcool et Tabac, il se trouve que tous découlaient de lui, il était leur “père”.
Il était également à l’origine des humains et d’une infinité d’autres choses, qui vont de l’atome aux étoiles.
Mort était taciturne, impassible, stoïque, presque absent, mais c’était irréfutable…il était là.
Il avait une manière de fonctionner qui ne se basait pas sur l’accumulation de fidèles, du moins pas exactement, Mort se nourrissait de la vie des humains.
Il passait donc, inlassablement, dans chacun des royaumes et récoltait les vies qu’il estimait bonnes à prendre.
Les quatre frères ne faisaient pas cas de la situation, c’était là l’ordre établi des choses et à vrai dire Mort ne leur laissait pas le vraiment le choix.
C’était même au-delà de ça, car en plus d’avoir donné aux humains une durée de vie limitée dans le temps, il insuffla en chacun de ses fils un poison qui lui était propre, nocif pour l’Humanité.
Tabac, de sa fumée fine et dansante intoxiquait leurs corps et poussait les esprits les plus faibles au suicide. Alcool, fort d’un cœur trop grand provoquait des crises cardiaques et favorisait les maladies sexuellement transmissibles.
Et bien que Médecine n’eut jamais vu se développer aucun symptôme suspect chez ses fidèles et jouissait d’une société relativement peu nombreuse mais saine, Guerre de son côté, par la rage destructrice qui émanait de lui faisait largement le travail pour deux.
C’était là la vie à la fois ordonnée et chaotique que Mort avait engendré, un écosystème sain qui s’auto-régulait et dont il avait juste à cueillir les fruits, encore et encore.
Des millions d’années passèrent de cette façon.
Puis un jour, à la surprise de tous, un nouveau titan émergea.
Mort n’y était pour rien, et pour peu qu’il eut été capable de surprise il aurait métaphoriquement haussé un sourcil.
Mais c’était un fait, un sixième titan était là, gigantesque qui plus est, surplombant le monde et remettant en cause par la même occasion tout l’équilibre du système instauré par Mort.
Qu’allait-il en faire ? Pouvait-il seulement en faire quelque chose ? Il n’était pas de lui, ses lois et son caractère lui étaient inconnus. Plus important, où allait-il le mettre ? Il restait bien la forêt mais elle était le jardin du monde, servait de frontière, de réserve naturelle et devait rester vierge de toute trace humaine.
Il devait en savoir plus, aussi, pour la première fois depuis leur création il sollicita ses quatre fils pour collecter des informations.
Mais ils comprirent tous les cinq au même instant, les humains venaient de créer leur propre titan…impensable !
Qui aurait cru que de si petites choses étaient capable de créer une forme de vie indépendante aussi massive, pouvant chambouler jusqu’à l’ordre naturel même des choses de ce monde.
Mort, il le savait…il avait déjà eu à faire à un cas similaire auparavant.
Il y a quelques milliers d’années dans le royaume de Guerre, il avait noté que les combats incessants avaient fait se développer un rapport très spécial à la mort chez les habitants du désert, qui donnèrent naissance à un début de forme de vie autonome, un embryon de titan. Ils l’appelaient Religion et il devait devenir le titan de la déité et du culte de l’après mort.
Mais Mort y vit une attaque à sa propre nature, il trouvait dangereux pour l’équilibre du monde que l’Humanité commence à le personnifier, lui ou une icône le représentant.
Il ne devait en aucun cas être mis sur le devant de la scène sous une forme incarnée, le risque étant qu’un jour, l’Humanité finisse par soit se jeter à lui, soit à vouloir le défier.
Pour le reste, Mort se moquait bien que l’on crie partout qu’il y avait quelque chose après lui, en bien ou en mal d’ailleurs.
Seulement il ne pouvait pas enlever la vie à Religion, c’était une création humaine et ce n’était donc pas à lui de la détruire mais bien à eux.
Alors il pris l’embryon, et tout comme à ses fils lui insuffla un poison qui allait l’empêcher de se développer plus qu’il ne l’était déjà, puis il le rejeta sur le monde.
Le nouveau venu avait lui aussi un nom, ils l’avaient appelé Économie et il était le titan de l’échange et de l’avarice.
Et si il était si imposant, c’est parce-que la totalité de l’espèce humaine s’était mise à lui vouer un culte au même moment, tous les humains des quatre royaumes s’étaient accordés à croire en lui et n’avaient désormais non plus une, mais deux croyances simultanées.
Les titans déjà en place étaient bien obligés de l’accepter, après tout il était légitime puisqu’il il réunissait plus d’adeptes que n’importe lequel de ses frères.
Restait à connaître sa personnalité et ses motivations, et c’était très simple.
Économie voulait absolument TOUT, telle était sa nature.
Non content d’avoir la totalité des humains sous son contrôle, il voulait également les marais, les îles, les montagnes ainsi que le grand désert, sans oublier le jardin du monde, la forêt.
Mais pour se faire il devait d’abord s’occuper des titans, et il savait déjà exactement comment il allait procéder.
Tout partait de Religion, l’Embryon que Mort rejeta sur le monde,
le premier titan créé de l’esprit humain.
Économie connaissait mieux les humains que n’importe lequel des autres titans, après tout, il en était issu.
L’Humanité avait trois questions existentielles, qui inconsciemment étaient toutes sans exception liées à Mort, leur créateur.
“Que faire pour ne pas mourir ?”; “Pour quelles raisons suis-je prêt à mourir ?” et “Qu’y a-t-il après la mort ?”.
Ces trois questions représentaient leur zone de contrôle, Économie le savait parfaitement, aussi, il reprit Religion au monde et l’avala sans aucune autre forme de politesse.
Économie tout-puissant était né…
Ce que Guerre ne savait pas lui, comme beaucoup d’autres choses, c’est qu’il avait un lien très étroit avec Religion.
À eux deux ils représentaient l’apogée extrême des trois
questionnements humains, la croisée des chemins de leur trinité existentielle, là où son éclat brillait de mille feux.
Économie avait tout prévu, en se servant de Guerre et de Religion il se préparait à devenir le titan des titans, le point G du cerveau humain, l’aboutissement de milliers d’années de réflexion.
C’est ainsi qu’une période sombre du monde débuta, elle sera plus tard connue sous le nom de “Sainte guerre économique”.
Le plan d’Économie était de faire se propager le peuple de Guerre dans les royaumes d’Alcool et de Tabac pour y instaurer des conflits, mais il devait garder celui de Médecine intact, il en aurait besoin le moment venu.
Le premier acte était lancé, au nom d’Économie tout-puissant la horde sauvage de Guerre envahit les marais, pillant ses ressources et tuant tous ceux qui ne soumettaient pas,
exactement comme elle avait l’habitude de le faire à longueur de temps.
Les survivants tentaient de fuir et une grande partie alla s’abriter sur les îles d’Alcool pour échapper au génocide, mais leur repos fut bref, et il en était reparti de plus belle avec les massacres et les pillages sur les îles autrefois tranquilles d’Alcool.
Les deux titans regardèrent impuissants leurs fidèles se faire massacrer sous leurs yeux, fuyants et pleurants toutes les larmes de leurs petits corps de chair.
Pendant ce temps-là, Mort s’attela à son travail habituel et se mis à récolter les innombrables vies qui devaient l’être. Il n’avait aucun jugement sur ce qui était en train de se passer, les lois de l’ordre et du chaos étaient respectées et il savait qu’aucun changement majeur n’allait s’opérer des suites de ce qui n’était à ses yeux, qu’un pic d’activité parmi tant d’autres.
Et en effet en y regardant de plus près, le brassage ethnique qui s’opérait avec les peuples de Guerre, Alcool et Tabac semblait sur le long terme s’équilibrer, tout était rentré dans l’ordre…en apparence tout du moins.
Mort apprendra bien plus tard qu’il s’était complètement fourvoyé sur la nature des humains qu’il avait créé.
Le dernier royaume en paix, celui de Médecine, vit alors débarquer par bateaux une vague de réfugiés composés d’habitants des îles et des marais.
En temps normal le royaume de Médecine aurait accueilli et soigné tout le monde, ses habitants connaissaient les moments difficiles et ils ne refusaient jamais l’aide à qui que ce soit.
Mais c’était sans compter sur l’influence qu’Économie avait désormais sur eux, les bateaux furent rejetés en masse et certains furent même détruits, ce qui en soit revenait absolument au même.
Seuls les plus fortunés et quelques chanceux arrivèrent à destination et tout le reste fut récolté par Mort.
Le deuxième et dernier acte pouvait commencer.
Pour pallier aux guerres qui faisaient désormais rage dans tous les royaumes et aux symptômes qui semblaient y sévir, le peuple de Médecine, qui lui n’en subissait aucune séquelle, décida de vendre ses services aux plus offrants.
Cela fonctionna à merveille, aussi, pour rendre le procédé plus efficace tous décidèrent d’ouvrir définitivement leurs frontières et d’instaurer un libre échange entre les royaumes.
Pour se faire il a fallu sacrifier des parcelles de forêts, ne serait-ce que pour rendre la communication plus fluide, et c’est ainsi que la machine se mit en route.
Voilà que chaque royaume commença à s’échanger les ressources qui lui étaient propres, celui de Guerre fournissait du pétrole issu de son désert, celui d’Alcool extrayait les minerais rares des fonds marins et l’on trouvait chez Tabac des plantes et du gaz indispensable aux nouvelles énergies, quant au peuple de Médecine qui vivait dans un environnement assez pauvre en matières premières, il s’occupait de redistribuer celles des autres sous forme de traitements curatifs et de nouvelles technologies.
Il fallait le reconnaître, dans ses détails le système fonctionnait et l’Humanité connu un âge d’Or.
Mais ce fut de courte durée, l’influence qu’Économie tout-puissant avait sur les humains était sans limite, tout comme son avidité.
Entre les royaumes les échanges se voulaient de plus en plus fréquents et intenses, les manières de produire de la nourriture bousculaient tous les rythmes naturels propres aux plantes et aux animaux, quant aux moyens de communication, ils avaient atteints des sommets, si bien que les humains pouvaient désormais interagir entre eux instantanément, en masses et à distance.
L’Humanité avait accès à absolument tout, tout de suite, tout le temps, et elle n’allait pas s’arrêter là…
Pendant que “l’ère économique” battait son plein, les humains voyaient leur espérance de vie augmenter ainsi donc que leurs besoins, et sur les deux plans ils avaient une voracité infinie.
Si il y a une chose dont Économie n’avait pas conscience, tout comme les humains, c’est que le monde dont il(s) avai(en)t la charge était une chose finie au sens propre, et il l’était également bientôt au figuré.
Car si Mort avait donné à l’humain un système de reproduction somme toute rapide, il n’en était pas de même pour toutes les choses de ce monde et certaines demandaient plus de temps et d’attention que d’autres.
Il avait calculé celui des humains en tenant compte de leur capacité d’évolution face au monde tel qu’il leur était tangible, et de certaines autres variables.
Le seul X inconnu qu’il posa dans l’équation, résultante de sa part chaotique, le fut dans leur rapport à un ensemble plus grand que leur propre civilisation.
Et c’est précisément sur ce X que l’Humanité creusa sa propre tombe.
Car en effet, petit à petit, suivant le rythme de la croissance économique, le centre du monde s’amenuisait, la forêt était en train de mourir dans l’indifférence générale, et le monde avec elle.
Si le jeu du profit se voulait infini, les façons d’en faire, elles, s’étaient codifiées et elles tenaient à ce moment sur deux points essentiels:
Créer un besoin, puis créer son manque.
Même si dans ce grand carrousel les autres royaumes avaient le beau rôle avec les matières premières, celui de Médecine n’était pas en reste, en effet si une guerre se déclarait c’est lui qui fournissait les armes, et si une pathologie apparaissait, c’est encore lui qui fournissait le remède.
Bien sûr tout le système était lié et une guerre n’arrivait jamais par accident, certaines maladies non plus d’ailleurs.
Tabac avait donné à ce système le nom de “Symptôme de l’Ouroboros” dit “du serpent qui se mord la queue”, et il ne croyait pas si bien dire…
Bientôt, les quatre royaumes autrefois indépendants et avec leur culture propre se confondirent en un seul grand état totalitaire, gouverné par une oligarchie ayant la mainmise sur l’ensemble des trésors naturels des différents royaumes désormais sous-jacents, trésors appartenants autrefois à l’ensemble de l’Humanité.
Cette inégalité de droits et de pouvoirs dans la société humaine amena quelques mouvements révolutionnaires à voir le jour au cours de cette période, mais des technologies permettant un contrôle à la fois vertical et horizontal des populations firent en sorte que l’ordre établi vint à bout de ces soulèvements aussi vite qu’ils se déclaraient.
Toujours est-il qu’Économie avait désormais son propre “Royaumonde”.
Vint alors un troisième acte que personne n’avait anticipé, ni Économie, ni les humains, ni même Mort.
Alors que la forêt avait passée le point de non-retour et qu’elle n’était désormais plus qu’un bosquet pris au piège sur un continent de terre sèche, que la vie animale avait quittée depuis longtemps, et que la température du monde avait globalement augmentée de manière alarmante, si bien que la végétation restante commençait à s’embraser d’elle-même, autrement dit que le “Royaumonde” d’Économie était en perdition.
Pour la première fois depuis la création du monde et dans l’unique but de le sauver, les quatre titans, Guerre, Médecine, Alcool et Tabac décidèrent ensemble dans un élan fraternel de manifester leur présence et d’abattre avec frénésie toute leur rage sur l’Humanité.
Tabac lâcha une horde d’insectes et asphyxia le monde sous un nuage de maladies fulgurantes, Alcool souleva les océans et déchaîna des tempêtes, Médecine qui, de tout son amour, ne put se résoudre à abattre solennellement ceux qui jadis le vénéraient, assécha les cultures et les rivières, les faisant mourir dans la lenteur et l’agonie.
Quant à Guerre il s’en donna à cœur joie ! Faisant trembler la terre jusqu’en son centre, se déchirer le sol sous leurs pieds et faisant exploser les montagnes pour qu’elles y crache un feu ardent de leur sommet.
Ils étaient à eux quatre l’orchestre de l’ultime Requiem en l’honneur de l’Humanité, et leur public était aux premières loges de cette éloge funèbre.
Économie regardait tout son empire se faire réduire en poussière par des forces qui le dépassait totalement, il compris alors à quel point il avait été naïf et ignorant, tel le petit frère qu’il était.
Si les titans existaient, c’était en réalité pour libérer l’Humanité de sa peur intrinsèque de la mort, ils lui donnaient ainsi, via des enseignements propres à leur nature, la force créative de comprendre le monde et ainsi de s’adapter à lui avec harmonie et de différentes façons.
Économie avait entreprit tout le contraire, ne libérant pas mais asservissant l’Humanité au profit d’idéaux arbitraires et le tout au détriment de la santé du monde.
À tout vouloir il ne lui restait désormais plus rien, pire encore, pour mettre fin à ses folies matérialistes ses quatre frères, gardiens du monde, venaient de sacrifier leur existence.
Et en effet, les titans le savaient pertinemment, la fin de l’Humanité signifiait également leur fin à eux, leur force vitale venait de la croyance que les humains avaient en eux et cette croyance venait de s’éteindre avec la race humaine.
Cette vérité valait aussi pour Économie, plus que pour n’importe quel autre titan à-vrai-dire. Les cinq frères se regardèrent alors une dernière fois avant de se tourner vers le monde où Mort les attendait, stoïque et taciturne comme à son habitude, c’est ainsi que la Sainte guerre économique prit fin, et avec elle l’âge des humains et des titans.
Sa dernière récolte terminée Mort regarda le monde, il était ravagé de toute part, la terre était ouverte jusqu’en son cœur, les océans s’étaient asséchés, les montagnes s’étaient effondrées et une odeur putride le recouvrait entièrement.
Et pourtant, pour la deuxième fois de toute l’Histoire de l’Humanité, Mort s’il en eu été capable aurait haussé un sourcil de surprise.
En plein centre du monde, comme entouré d’un bouclier divin et bravant l’Apocalypse, un arbre se trouvait là, seul, immortel face à la mort tel un ange perdu en plein cœur de l’enfer.
Cette image insuffla en Mort quelque chose d’étrange, un éclair, comme un picotement qui parcourait tout son être infini, une émotion…était-ce dû au fait qu’il avait absorbé ceux qui jadis furent les gardiens du monde, ses propres fils ? Toujours est-il que face à ce doux brasillement de vie qui éclairait l’accablante obscurité de la fin du monde, Mort fut pris d’amour, de joie, de rage et de mélancolie.
Déstabilisé par cette expérience et en l’honneur de ses fils et de leur sacrifice ultime, il fit un dernier geste envers le monde.
Mort prit le dernier arbre du monde et il insuffla en lui l’énergie de toutes les vies qu’il venait de prendre, celles de ses quatre fils, des humains et même celle d’Économie, puis il le reposa et enfin libéré de ses émotions reprit son cours originel.
Reconnecté au monde l’arbre se mit alors à grandir, encore et encore et encore, jusqu’à bientôt entièrement le recouvrir de son imposant ramage et de son apaisant feuillage.
Quant à l’énergie infinie qui découlait de ses racines, telle une ode à la vie, elle fut la panacée qui régénéra le monde en un jardin luxuriant et prospère.
L’arbre-Monde était né, et bientôt ses fruits allaient donner naissance aux deux premiers humains qui allaient l’habiter.
Enfin, vous connaissez la suite…
Lýsir