Chapitre 1 Partie 2

7 mins

    Il ne fallut que sept heures à Cyraxon et ces corbeaux pour franchir les soixante-huit kilomètres qui séparaient le village de Bois-Rouge de celui de Prech-Alpanne. L’inquisiteur, aux portes du village, leva le regard sur les pendus accrochés aux arbres. Trois corps séchés et mutilés, probablement par les pierres lancées par des enfants qui ne savent que faire de leur temps. Les carcasses arboraient comme ornements des mots gravés sur de faibles planches: des mots tels que «pillard» ou «bandit». Ces décorations étaient coutume chez les hommes. Cyraxon considérait même l’idée qu’il se donne justice eux-mêmes comme un signe de civilisation. Certes, ils vivaient en victime mais, au moins, ils pouvaient avoir l’audace de se défendre.

    L’inquisiteur et ses trois guides franchirent l’entrée du village. Malgré la lumière du jour, le froid glacial de la saison pouvait se faire sentir. Ils marchèrent jusqu’au centre du village composé seulement d’une vingtaine de maisons, dont une auberge, une forge et une église. Plusieurs camps de bûcherons devaient, eux aussi, se trouver dans les parages. Les terres de Barillon n’étaient qu’un champ forestier et glacial au nord du continent de Dustrian.

    Cyraxon stoppa sa marche, un regard froid sur le corbeau le plus près suffit à lui rappeler son rôle. Tel un chien bien dressé, il indiqua le chemin. Ce fut à l’auberge du chat tordu que le groupe de personnages masqués arrêta le pas. D’un geste de la main, l’inquisiteur indiqua à ses subordonnés de rester à l’entrée.

    Lorsque l’on est un distributeur de la mort, une paranoïa se développe dans l’esprit. Cette paranoïa poussait Cyraxon, mais aussi les autres inquisiteurs en général, à ne jamais baisser la garde.

    La main de cuir aux doigts d’acier poussa la grande porte. Celle-ci s’ouvrit sur une pièce où les cris de joie et de colère se mélangeaient. Un endroit où les mouvements venaient de toutes parts. Il ne suffit que d’un coup d’œil à l’inquisiteur pour faire l’inventaire de la pièce:

    En face de lui, deux hommes débattaient ardemment, voire violemment, sur un sujet probablement inutile.

    À gauche, la serveuse servait une botte de bière à un être déjà ivre mort qui pleurait sur le comptoir.

    Au fond, un oiseau attaché se débattait pour éviter les couteaux lancés par cinq imbéciles ricaneurs.

    Finalement, caché derrière la porte qu’il venait d’ouvrir, deux adolescents se dévoraient le visage et ne tarderaient pas à gagner une chambre.

    Il fit un pas, un pas qui créa un silence instantané dans la pièce. Tous les regards se tournèrent vers ce grand personnage en cuir noir, masqué et surarmé. Le poids des regards étaient d’une légèreté pour cet homme qui combattait ce qu’eux, pauvres faiblards d’humains, craignaient.

La serveuse approcha de lui et, sans donner signe de méfiance (ni même de respect), dit:

– T’es Cyraxon, c’est ça? Moi c’est Mellianne. Ton confrère, le beau «noireau», m’a dit que tu ne serais pas très loquace. Pour cette raison, je n’attendrai pas de réponse de ta part. L’inquisiteur est en haut et il s’est pris une chambre, mais il veut que personne ne le dérange… Tu vois ce que j’veux dire? Il m’a dit de te dire de l’attendre en bas.

    Le manque de respect de cette femme l’insulta. Comment osait-elle parler à un homme de son rang de cette façon. Il pouvait aisément la châtier (de plus, il en avait le droit) pour cet affront… Mais bon, elle n’en valait pas la peine. Un doute persistait tout de même: comment croire que son ami Deramien était bien là et qu’il ne s’agissait pas d’un piège?

– Ah ouais, il m’a dit que tu risquais de ne pas me croire, ajouta-t-elle en mettant sa main dans son corset pour en sortir un pétale bleu, il m’a dit que ça suffirait à te faire comprendre que tout est en règle… Aller, j’te sers quoi?

    Cyraxon prit le pétale et signifia de le laisser seul. Elle tourna les talons pour rejoindre son bar. L’inquisiteur alla s’asseoir à une table au coin de la pièce. Il déposa l’immense épée qu’il arborait dans son dos à ses côtés. De cet endroit, il avait vue sur toute la pièce. Attentif à tous ses bougres qui avaient repris leur train-train normal, il fixait les sorties et l’escalier qui menait aux chambres. Comment tous ces êtres pouvaient-ils vivre dans un tel endroit, au milieu de têtes d’animaux tenues aux murs et de taches grasses qui décoraient le sol? Cyraxon perçait du regard chaque individu de la pièce. Pourquoi ces hommes, de même race que lui, n’étaient -ils pas capables d’atteindre sa puissance? Il avait réussi avec les mêmes handicaps qu’eux. Pourquoi, alors, son rôle était-il de les protéger? Ce questionnement ne créa que du mépris. Froidement fixe sur sa chaise, il les jugea, de la serveuse irrespectueuse au gros barbu qui criait, un oiseau mort en main. Même les deux enfants qui le dévisageaient de l’autre côté de la pièce, eux aussi, ne méritaient que son mépris. D’ailleurs, pourquoi des enfants étaient-ils à un pareil endroit? Qu’est-ce que leurs irresponsables de parents en diraient?

    Ces enfants, un garçon et une fille, tous deux roux, le dévisageaient plus qu’il en était accoutumé. Ces deux petits êtres aux regards lourds et intenses, Cyraxon sentait qu’il pouvait s’agir d’un danger. Il déposa sa main gauche sur le manche de son épée et dissimula sa droite dans son dos, pistolet déjà en main.

    Ce fut au moment de faire le pas pour voir ce que ces petits êtres pouvaient cacher qu’un pétale bleu tomba devant lui. Il tourna la tête. Un Elfe, fleur en main, aux cheveux noirs et à la voix profonde et nasillarde, se tenait à ses côtés. C’était Deramien, le seul Elfe, à sa connaissance, à se teindre les cheveux. Ce collègue inquisiteur prit place à la table, dos à la foule, arborant son sourire fier:

– Salut, mon frère, le voyage a été bon et tes pas légers.

Cyraxon, voyant l’imprudence de son ami, lui fit vite la remarque:

– Tu devrais être à mes côtés, il pourrait te surprendre.

– Ah, mon bon ami, vois-tu donc des ennemis partout! Personne n’oserait s’en prendre à l’inquisition. Ces bougres sont trop conscients du pouvoir que nous portons en nous… Eh bien, que je porte, et de la longueur de ta lame.

    Le masqué avait l’habitude de ces blagues sur son humanité. Par ce fait, il n’avait pas le droit à ce qui crée la puissance des membres de l’ordre: les marques sacrées. C’était la raison principale de son surarmement. Cyraxon, sans faire plus attention à ce commentaire, alla directement au point:

– Tu m’as dit qu’une sorcière se trouvait dans le village?

Deramien, un pichet d’eau en main, s’exprima à son ami au masque:

– Tu devrais te détendre, l’ami, tu me sembles tendu… Plus qu’à l’accoutumé. Si tu le souhaites, il y a toujours la fille dans ma chambre. Elle est un peu faiblarde, mais pas besoin de talent pour en obtenir du plaisir. Tu n’as qu’à monter, elle ne te dira pas non… Elles ne disent jamais non aux membres de l’ordre. Tu peux garder le masque, ça alimente l’imaginaire de ces petites salopes humaines.

    Cyraxon fusilla son ami du regard, regard dont l’Elfe perçu le poids. Du même coup, le masqué vit un homme marcher à pas lourds en leur direction.

– D’accord, je comprends, pas de plaisir pour toi. (Il prit une grande lampée de son eau.) C’est étrange, ton espérance de vie est moindre que la mienne, pourtant tu ne cesses de repousser les bonheurs de la vie… Ouf…

    Le corbeau au bec doré leva son index de métal pour signifier la présence de l’ivrogne qui s’approchait d’eux.

    Ivrogne dont l’énorme main se posa sur l’épaule de Deramien. C’est avec la voix grave d’un homme trop courageux qu’il cria à l’Elfe:

– Hey, toi! C’est ma fille que tu vends à ton monstre en cuir? Et que tu traites de salope!?

Une gorgée d’eau de plus pour l’inquisiteur.

– Oui, avec grand plaisir et, si tu as de la chance, tu vas être grand-père. J’ai semé une graine en son ventre. Un bâtard va grandir et il aura un père de prestige, plus que quiconque de sa famille, donc un peu de respect.

– Tu crois que tu me fais peur, stupide Elfe faiblard!

– En plus d’être Elfe, je suis inquisiteur. Donc oui, tu me dois la peur à chaque pas que je pose.

    L’homme rouge de colère lâcha un cri pour accompagner l’élancement de son poing. Cri coupé par la tige de la rose bleue tenue par Deramien. En un éclair, la fleur avait pris la forme d’une épée dont la tige verte recouverte de pointes s’était logée dans le crâne du bûcheron barbu. La foule cria et le corps du colosse porteur de bois tomba. Deramien se dressa. De sa vois nasillarde et ivre (de sa consommation abusive d’eau), il lança:

– Veuillez pardonner votre ami, il s’en est pris à un membre de l’ordre. Comme je puis en témoigner, je n’ai fait que me défendre. (Une autre grande gorgée d’eau.) Il est probable que la sorcière ait envoûté ce pauvre individu, j’en suis fort navré. Pour cette raison, je vais ordonner à mes corbeaux de prier les Cinq. Qu’ils soient sages lors de son jugement.

    Il prit un médaillon arborant une étoile à cinq branches qu’il plaça dans la main du mort. Un sifflement, puis les trois corbeaux se mirent à genoux aux côtés du corps pour chuchoter de mystérieuses paroles en ancien parler. Ce n’était pas la première mort d’un père trop intrépide dont Cyraxon était témoin. D’aussi loin qu’il le connaissait (toute sa vie), le masqué ne comprenait toujours pas pourquoi son elfe d’ami utilisait l’argument de la fécondation pour effrayer ces pauvres hommes. Les voir mourir pitoyablement, quelle sottise! Toutes les bonnes gens dont l’éducation avait été plus loin que la coupe du bois savent qu’Elfes et humains ne peuvent procréer.

L’Elfe, dans le silence de la pièce, reprit place pour discuter avec son collègue:

– Vois-tu, Cyraxon, une rumeur a couru jusqu’à nous. J’ai réussi à la débusquée, mais la maligne veut un jugement. Telle demande demande défenseur, et je sais que tu sauras la défendre. Tu le fais si bien. Si tu en ressens le besoin, passe au sous-sol de la grande maison jaune. Je l’y ai attachée à une colonne. Nous la jugerons demain avant le lever de soleil.

    Cyraxon prit un instant pour réfléchir, puis accepta. Être défenseur n’est pas une tâche à prendre à la légère, mais il l’avait déjà fait et connaissait ce rôle. Ce fut dans cette objectif qu’il se leva, empoigna son épée, puis sortit en contournant le corps gisant au sol. Cyraxon tourna les yeux vers son ami:

– Est-elle défendable?

L’Elfe, sourire aux lèvres et joues rougies par l’ivresse:

– À toi de voir, mon ami…

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