A l’approche du club, mon excitation s’était transformée en appréhension. Je commençais à craindre la réaction de mes amis et surtout celle de Syvanna. Vanessa sentit mon corps fébrile et me décocha une tape sur l’épaule pour me remotiver. Nous accédâmes au camp par la terrasse. Moïse et Fred attisaient le feu pour le repas d’aujourd’hui. Au comptoir, Edouard et Cindy pelaient et découpaient des pommes de terre cultivées dans notre potager par Karl. Juste à côté, Tania et Syvanna dosaient les portions d’eau potable quotidiennes et individuelles dans des canettes reconditionnées. Romain nous accueilli et agrippa aussitôt le baluchon que portait Vanessa, impatient de découvrir son contenu. Une grimace déçue recueillait le maigre contenu du sac.
« Désolé, nous nous sommes par attardés à la collecte.
— Et pourquoi ça ? interrogea Romain.
— Nous avons été accaparé par une grande nouvelle.
— Et quelle est-elle ?
— Faut que nous réunissions tout le monde pour que je vous l’annonce.
Pressé de savoir, Romain sortit sur la terrasse et héla Karl au potager. Le groupe se rassembla autour du feu.
— Le poste de communication du camp a reçu un appel radio ce matin. Il provenait d’un militaire basé à Paris.
Des murmures parcoururent l’assemblée.
— Nous sommes arrivés en cours de conversation et j’ai pu lui parler. Ça été très constructif.
Je racontai mon échange avec l’émetteur, puis mon incartade avec l’avocat et mon interlude avec le responsable de la sécurité.
— Donc, il y a de la vie à la capitale, conclut Edouard.
— Très étonnant la nature des dégâts causés par la catastrophe, se déconcerta Romain.
— Des extraaaa-terrestres, fredonna Karl.
— Arrête Karl ! je dirais plutôt ; une nouvelle arme de destruction massive « propre », émit Fab.
— « Propre » ? Elle est plutôt terrifiante ton arme, s’alarma Tania.
— Fascinante ! continua Vanessa.
J’attendis le retour du silence pour faire part de ma décision.
— Comme je vous l’avais annoncé au début, je vais me rendre à Paris, seul ou avec des personnes volontaires.
— J’ai déjà fait part de ma volonté de l’accompagner, prévint Vanessa.
Romain souffla tellement fort de dépit qu’il déforma la flamme du feu central.
— Ce n’est pas vrai Mic, tu remets ça sur la table.
— Je ne remets rien du tout. Cela avait été acté dès le départ.
— Mais nous pensions que le temps allait de ramener à la raison, insista Edouard.
— Tu vas nous laisser seuls. Tu vas briser l’unité du groupe, se plaignit Tania.
— Vanessa, tu ne peux pas partir, intervint Karl. Nous avons besoin de tes capacités physiques et mentales pour protéger notre campement.
Syvanna assise à côté de moi me saisit les mains, le regard désespéré.
— Tu ne peux pas partir maintenant Mic… Nous avons besoin de tout le monde pour assurer la survie de notre équipe.
— Syv’, je ne peux plus rester ici à tourner en rond. Ce message radio est le signal pour moi, pour non pas partir, comme vous dite, mais pour explorer la capitale, pour apporter des réponses à cette catastrophe et construire un lendemain meilleur. Je compte bien revenir ici avec ces réponses.
— Tu ne trouveras aucune réponse, je le crains, anticipa Moïse.
— Tu es bien pessimiste mon ami. Je ne force personne à m’accompagner. Je vous dis juste que je dois le faire.
Romain se leva furieux.
— Fais comme tu veux, casse-toi si ça te chante !
Il quitta le cercle pour se calmer aux abords des terrains de tennis.
— Nous partons dans deux jours… Je suis obligé de vous demander ; qui veut venir.
Un silence s’installa, mes amis se consultèrent du regard. Edouard secoua négativement la tête aussitôt. Fab adressa un clin d’œil à Fred pour valider leurs participations. Karl observa Cindy qui ne semblait pas enclin à partir et se résolu à rester. Les yeux de Syvanna firent des allers-retours incessant entre Tania et moi, puis elle baissa la tête.
— Désolé, je ne peux pas venir avec toi. Ma sœur a besoin de moi et le voyage me semble aussi dangereux qu’inutile.
Bien que je m’attendais à cette réponse, son refus me piqua le cœur. Me séparer d’elle, même temporairement, me meurtrit au plus profond de moi. Cette sensation n’était pas dû uniquement à une absence momentanée. Elle s’accrut au fait que cette séparation pouvait être définitive. Tellement de dangers pouvaient se dresser face à nous. La mort pouvait nous cueillir à n’importe quel moment pendant ce voyage ; accidents, agressions, assassinats, nouvelles attaques du ciel, contaminations, infections, maladies…
— Fred et moi, on part avec vous annonça Fabrice.
J’accueillis cette nouvelle avec un sourire très discret aux commissures des lèvres. Je vis Karl en plein doute et voulus dissiper tout de suite son incertitude.
— Karl, c’est bien que tu restes. Tu es l’homme fort de la communauté. Tu es son pilier pour sa sécurité et son travail quotidien. Tu es primordial à la survie et à l’évolution du camp.
Karl sourit, gêné en détournant le regard.
— Continuez à prendre soin les uns des autres.
Les deux jours suivants furent consacrés à l’organisation et la composition de nos paquetages. Ensemble, nous avons passé de longues heures sur la carte de la région parisienne que j’avais dégrafé du calendrier de la poste. Nous avions tracé précisément notre parcours en envisageant des options de contournements selon le profil de la route ; ponts effondrés, crevasses infranchissables, portions de route inondées, gravats insurmontables barrant des voies. J’aurais souhaité obtenir l’aide de Romain qui était un expert en cartographie, mais il usait de toutes les opportunités pour m’ignorer royalement. Notre matériel se composait ; d’un duvet, d’une gourde remplie d’eau, d’une gamelle, de couverts, d’une paire de chaussettes, d’un slip et d’un maillot de corps de rechanges chacun, de trois briquets chargés, d’une tente Quechua 2”, de deux savons, de cinq bouteilles d’eau potable, d’un couteau de chasse, le piolet qui servirait plus d’arme que d’outil d’escalade, d’une lampe à pétrole, d’une vingtaine de boites de conserve, de deux serviettes qui ressemblaient plus à des torchons, de trois mètres de corde, d’une paire de ciseaux, d’une petite bouteille d’alcool pour désinfecter, d’une pile de rectangles de tissu découpé propre lavé dans de l’eau bouillante qui servirait de compresses, d’un stylo, du matériel de couture…
Au petit matin du troisième jour, nous bouclions nos sacs. Vanessa, Fab, Fred et moi retrouvions le reste du groupe devant les barricades du campement. Je n’aperçus pas Romain, surement en train de bouder dans un coin. Le temps était venu de partir. Les larmes montaient sous les paupières de Syvanna. Malgré leur désaccord, Edouard et Moïse nous serrèrent la main chaleureusement imprégnée d’encouragements. Karl, droit et solide comme un chêne me transmis un regard puissant et confiant. Tania réservée et triste resta un moment derrière sa sœur, puis se décida à poser un baiser sur la joue de Fred et nous saluer de la main. Le visage de mon pote se transforma en tomate bien mûre. Avant de tourner les talons, Syvanna se précipita sur moi et m’enlaça.
« Faites attention à vous !… Et revenez-nous tous vivants et avec… De l’espoir !
— Plus de promesse entre nous, mais nous ferons tout notre possible, concluais-je.
Je me penchai légèrement pour donner une bise sur la pommette de Syvanna. Elle pivota subrepticement la tête et nos lèvres s’efflorèrent. La surprise me raidit en arrière comme si j’avais pris un coup de jus. Les yeux de Syvanna étaient saturés d’émotion et une larme finit par trouver son chemin pour stationner au bout de son menton.
Avant de tracer la route, je tenais à revoir Jacques Fellow, le responsable de la sécurité du camp principal de réfugiés de Mantes. A notre passage, il se trouvait au stand du poste de surveillance. Visiblement content de ma présence, il me salua d’une puissante poignée de main qui me broya les phalanges.
— Bonjour, Monsieur Toucour !
Mes amis me lancèrent un regard circonspect. Je dandinai de la tête genre ; « je vous expliquerais plus tard ».
— Eh, salut M’sieu Fellow. Je vous présente une partie de mes compagnons de route ; Vanessa que vous avez pu apercevoir la dernière fois, Fab et Fred.
— Bienvenue les jeunes ! Alors tu as eu le temps de penser à ma proposition ?
— Oui M’sieu, mais j’ai un autre projet qui servira aussi la communauté mantaise, je pense.
— Ah oui ?
— Nous partons pour Paris !
— Oh, oh, que voilà une jolie mission !
— Nous comptons rapporter un maximum d’informations et d’aides de la capitale. Et je vais tenter de retrouver la base militaire. Si j’y arrive, je vous transmettrai un message par le biais de leur radio.
— C’est ambitieux, mais aussi très risqué. Tu sais que tes chances de trouver un bunker militaire à la position géographique classée secret-défense et rempli de ce qui reste de l’élite dirigeante de notre nation, sont extrêmement faibles.
Sa réparti m’avait sommairement sapé le moral sur le coup. Vanessa s’avança d’un pas décidé.
— Nous y arriverons monsieur !
— Une femme à poigne à ce que je vois.
— Un mec dans toute sa splendeur à ce que je constate.
Un sourire embarrassé et craintif marqua mon visage que je fis admirer à Vanessa.
— Bien, je vois que vous êtes motivés, préparés et dynamiques, continua Jacques Fellow nullement contrarié. Attend deux secondes, je t’en prie.
M. Fellow se tourna et regagna la tente du poste, s’accroupit et ouvrit une cantine en métal marron. Il y fouilla quelques instants. Il en sortit un objet enveloppé dans un chiffon blanc et deux petites boites. Il revint vers moi et me les déposa dans les mains. L’objet d’une vingtaine de centimètre à peine, apparemment léger vu de loin, pesait en fait assez lourd (à peu près deux kilogrammes).
— Qu’est-ce que c’est ?
— Déballe-le très discrètement.
— Un pistolet ?
— Oui, allez recouvre le, et planque le dans ton paquetage.
— Mais je ne sais pas m’en servir. Je n’ai jamais touché à…
Vanessa me prit fermement l’arme et les boites de munitions des mains et la glissa dans la grande poche de son sac à dos.
— Merci Monsieur Fellow, gratifia Vanessa.
— Mais monsieur, les armes à votre disposition pour votre sécurité doivent être rares.
— Nous en avons quelques-unes, ne t’inquiète pas. Considère ton périple comme mission diligentée par le conseil municipal et de sécurité. A ce titre, tu as le droit d’avoir de l’équipement pour assurer votre devoir.
Ce type me prenait vraiment au sérieux ou je me trompais ?
— Merci, nous essayerons d’en faire bon usage.
— Faite bien attention à compter vos munitions. Vous avez douze balles dans le chargeur et vingt-quatre balles dans les boites. Surtout tenez l’arme à deux mains au moment du tir si vous ne voulez pas vous déboiter l’épaule et tirer n’importe où, et n’oubliez pas le cran de sécurité à l’arrière.
— Ok.
— Bien, nous comptons sur vous. Je vais informer le conseil de votre départ.
Nous n’étions pas venus voir M. Fellow pour ça, mais maintenant nous avions du répondant en cas de menaces.
En fin de matinée, nous arrivâmes à l’embranchement de l’autoroute A13 ; un axe à trois voies de circulations de chaque sens de circulation. La largeur totale de la route faisait une trentaine de mètres. Cela faisait immense en tant que piéton. La vitesse de circulation en voiture, entre 110 et 130 km/h donnait une impression plus étroite de la route. Nous avions l’air minuscule et perdu sur cette bande interminable de macadam. Elle était jonchée d’épaves balayées sur le toit, sur le flan, contre le terre-plein central ou contre les rails de protection latéraux, ou les uns contre les autres. La vision de cette perspective me submergea, me déséquilibra.
Vanessa posa sa main au visière sur son front comme pour améliorer sa vue.
— Et bah, on n’est pas arrivé, les gars !
— Au moins on ne sera pas ralenti par les bouchons, ironisa Fred.
— Ni flashé pour excès de vitesse, continua Fab.
Mes amis essayaient de détendre l’atmosphère pour dédramatiser le défi qui se présentait devant nous.
— Ecoutez, il encore temps de retourner au camp pour ceux qui le veulent, annonçai-je.
— Et puis quoi ? Passer pour un con et un faible, gronda Vanessa.
— Notre décision est irrévocable, Mic. Avec Fred, nous avons reparlé de notre choix, de peser le pour et le contre.
— Oui, ça été mûrement réfléchi. On est tous avec toi, et nous avons hâte de découvrir ce que Paname nous réserve.
Toujours superbement écrit, j’espère que tous se sortiront de cette aventure qui promet d’être mouvementée.
**Spoiler** Je crains que tous ne finissent pas l’histoire malheureusement!…
Jem’en doutais unpeu, je suis très bisounous.
Donc un changement de tableau ! L’arme nous fait anticiper de l’action. On continue !