Ladite Chaya afficha un regard compatissant avant de se tourner vers le balcon, l’air nullement étonné devant le rapace de deux mètres qui était perché dans l’arbre. L’oiseau n’avait pas bougé et semblait très intéressé par la nouvelle venue. cette dernière s’avança sur le balcon et après un échange silencieux, le faucon hocha la tête et s’envola d’un puissant battement d’ailes, laissant seule Azilis avec la petite fille. Chaya se retourna vers la jeune fille et poussa un profond soupir avant de venir s’assoir sur le lit :
« Par où commencer … »
Azilis copia les mouvements de son interlocutrice et se tut, attendant des explications.
« Connais-tu les légendes de ce monde ? » demanda la petite fille.
Azilis hocha légèrement la tête.
« Eh bien .. la plupart d’entre elles sont vraies. La grande Prêtresse qui a créé ce monde n’est autre que Morgana.
– La grande Prêtresse a un prénom ?
Cette question sembla amuser Chaya.
– Bien sûr, comme toutes ses créations. Morgana a créé les Précieuses, des sortes d’âmes, des consciences, qui représentent les éléments, les sentiments et les principes qui habitent ce monde. Elles sont au nombre de 27 et, afin de restreindre leur trop grand pouvoir, Morgana les a placés dans une gemme. De cette manière elles peuvent être portés par des humains, car il leur faut un corps pour exercer leur pouvoir. »
Azilis attrapa délicatement son pendentif et l’observa avant de regarder son interlocutrice d’un air interrogateur et perdu. La petite fille acquiesça calmement.
« Morgana, après avoir mis le monde à feu et à sang dans les temps anciens, a décidé de s’exiler à son tour dans une gemme. .. La pierre que tu portes autour du coup, c’est une morganite. Donc .. Voilà pourquoi Ôn avait parlé de Morgana à ton sujet. Elle .. disons, sa conscience et la tienne cohabitent, .. plus ou moins. »
La jeune fille relâcha immédiatement son collier comme si il était brûlant et fixa Chaya. Elle s’attendait à tout, mais certainement pas à ça.
« La grande Prêtresse .. C’est moi ?
– Non ! Ce n’est pas ce que j’ai dit. Morgana vit et agit à travers ton pendentif, toi tu es une personne à part entière, tu as tes parents, ta propre histoire, ta magie et ton corps. Tu es quelqu’un. Et tu n’es pas Morgana .. même si beaucoup de personne le pense.
– Et .. C’est un problème ? Enfin je veux dire, pourquoi parler de cette pierre comme une personne, me prendre pour une autre, .. des gens me cherchent ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Je .. C’est grave ? On pourrait me vouloir du mal ? On …
– On se calme !, la coupa Chaya, Je vais t’éclairer sur la situation. »
La petite fille chercha ses mots pendant quelques instants avant de reporter son attention sur la jeune fille, qui ne la quittait plus des yeux.
«Morgana n’avait pas donné signe de vie depuis quinze ans. .. Tu as quel âge Azilis ?
– dix-sept ans.
– Donc ce pendentif a dû apparaître dans ta vie quand tu avais deux ou trois ans. Morgana s’est installée dans ton esprit depuis ton enfance, et ton ignorance ainsi que ta petite vie tranquille l’ont protégée de ses ennemis. Tu lui as offert un lieu sûr pour se remettre de ses échecs. Seulement .. Tu as développé des capacités puissantes ces derniers temps, non ?
– Quel genre de capacités ?
– La possibilité d’affaiblir des personnes par la pensée, pouvant même aller jusqu’à .. les tuer ? La possibilité de créer de diverses choses par ta simple volonté ?
Azilis hocha imperceptiblement la tête. Pour sûr, ces capacités, elles les possédaient. La jeune fille se crispa, attendant la suite.
– C’est l’oeuvre de Morgana. Elle t’a élevée et maintenant que tu as gagné en force d’âge, elle peut user de ses pouvoirs à travers toi. Enfin .. Elle se sert de tes émotions, de tes envies, tes objectifs pour mettre son plan à exécution.
– Mais quel plan !? A quoi puis-je bien lui servir ! Je suis mourante !
– Je n’en sais rien. Personne ne le sait. Seulement, elle n’a pas refait surface par pur hasard. Il y a forcément quelque chose qu’elle désire, et Morgana sera prête à tout pour l’obtenir. »
Azilis ferma les yeux pour digérer l’information. La créatrice du monde, Morgana, dans sa tête. C’était impossible. La jeune fille commença à réaliser que sa petite vie n’était plus si tranquille ces derniers temps. Dans un accès de colère, elle avait souhaité la mort de sa petite soeur, ce qui avait bien faillit se réaliser. Il y avait aussi eu ces cailloux qu’elle avait créé la veille, lorsque le faé les avait repéré. Toutes ces choses n’étaient pas anodines apparement. Azilis pris une grande respiration pour s’éclaircir l’esprit et posa une question qui la démangeait depuis plusieurs minutes :
« Comment avez-vous su que Morgana s’était réveillée ? Et comment .. comment avez-vous fait le lien avec moi ? »
Chaya saisit son propre collier et posa le pendentif dans le creux de sa main. La pierre verte était sublime, et son éclat dégageait un calme apaisant.
« Je porte aussi une précieuse Azilis. De même qu’Ôn et Echo. .. Nous sommes liés. La première fois que tu as utilisé les capacités de Morgana, les vingt-sept autres précieuses qui vivent dans ce monde l’ont su. Et parmi elles, dix-neuf travaillent pour les Emporions. .. Je te laisse déduire la suite des évènements. »
Azilis ne répondit rien. Sa vie venait de se transformer en cauchemar. Les quatres géants les plus puissants du monde avaient lancé des soldats à sa poursuite et cela ne s’arrêterait pas tant que cette Morgana n’aura pas quitté son esprit. La jeune fille se saisit brusquement de sa dague, trancha la corde de son collier et jeta le pendentif par dessus le balcon avec une force dont elle ne se serait pas cru capable. Mais à son plus grand désespoir, le bijou s’était déjà rematérialisé autour de son cou et s’était mis à briller. Chaya, qui avait regardé la scène sans dire un mot s’approcha d’Azilis et pris les mains de cette dernière en signe de réconfort.
« Les problèmes ne se résolvent pas si simplement hélas … Mais je suis venue pour t’aider, Azilis. Il faut que tu me fasses confiance. »
La jeune fille retira sèchement ses mains et lança un regard noir à la petite fille. La discussion qu’elles venaient d’avoir tourbillonnait encore dans sa tête. Malgré toute sa mauvaise foi, Azilis savait que son interlocutrice disait vrai, mais elle ne lui faisait tout de même pas confiance. Après tout elle était ici par sa faute. Certes, on l’avait soigné, mais chaque chose reçue est due. Azilis était bien placée pour le savoir.
La jeune fille se leva et contourna le lit pour atteindre le balcon. Ses pensées étaient terriblement confuses et elle ne savait pas comment se sortir de cette situation déplaisante. Elle ne faisait peut-être pas confiance à cette Chaya, mais elle avait vraiment besoin d’une aide, et cette inconnue avait été la seule à se montrer pacifique à son égard. Après quelques secondes de silence, Azilis se tourna vers la petite fille et prit une profonde inspiration avant de se lancer :
« Si je survie à ce poison, cela signifie que les étoiles sont de retour. »
Chaya écarquilla les yeux, surprise.
« Qui a dit cela ?
– Deux hommes sont passés dehors avant que tu arrives, et ils parlaient de .. de moi. L’un d’eux a dit que si je survivais, ce serait un signe du retour des étoiles. Mais .. mais j’avoue que je n’ai rien compris à leurs paroles. »
Chaya se leva doucement, comme perdue dans ses pensées. Lorsqu’elle revint à elle, la petite fille s’approcha d’Azilis et se mit à chuchoter :
« Ce sont de dangereux propos .. Une loi nous interdit de parler des étoiles, c’est .. un sujet tabou.
– Pourtant Paradox en a parlé, et il ne parlait pas si bas, lui. répliqua la jeune fille à voix haute.
– Sacré Paradox… Écoute, je ne peux rien t’expliquer à ce sujet ici, continua Chaya, mais la seule chose que je peux te dire, c’est que personne ne peut survivre à la morsure d’une furie noire, personne .. sauf .. une espèce magique bien particulière. Mais cela est impossible, .. je suis persuadée que c’est Morgana qui te maintient en vie…»
Azilis voulu répliquer, mais une bourrasque de vent s’engouffra dans la chambre et Chaya se retourna vivement, les yeux rivés sur la porte. Elle attrapa la jeune fille par le bras et attendit, tendue.
« Mais enfin qu’est-ce que vous faites !? »
La petite fille fit taire Azilis d’un simple regard et répondit à mi-voix :
« Le vent murmure des présences, et elles ne sont pas aussi bienveillante que la mienne. »
Une seconde plus tard, une dizaine de garde armés entrèrent brusquement dans la pièce et encerclèrent les deux filles. À la vue des hommes, Azilis sentit la panique monter en elle. Elle tenta de se soustraire à l’emprise de sa cadette mais celle-ci ne broncha pas, observant attentivement les nouveaux venus. Un des gardes s’avança et prit la parole d’une voix forte :
« Nous devons amener l’invité dans la grande salle pour un entretient avec sa Majesté. Veuillez vous écarter, Gammeis, où nous en viendrons aux armes. »
Chaya se crispa à l’entente de ce surnom, mais elle garda son calme, contrairement à Azilis qui repoussa un des hommes à coup de pied et se prépara au combat. La douleur de son épaule se réveilla instantanément mais la jeune fille l’ignora, se concentrant sur ses adversaires potentiels. Les soldats avaient resserré le cercle et, au signal de leur chef, sortirent leurs épées.
« Cessez cela ! Je ne pense pas que sa Majesté souhaite recevoir son invitée en morceaux. Elle n’est pas en état de se battre et vous le savez aussi bien que moi. Contentez vous de faire votre travail, je ne vous en empêcherai pas. Cependant je vais vous suivre, j’ai moi même été conviée à cette entrevue. »
À ces mots, Chaya récupéra les affaires d’Azilis et s’approche de cette dernière, un sourire rassurant sur les lèvres :
« Donne moi ton arme, je vais veiller sur tes affaires en attendant que tu puisses les récupérer.
– Ce n’est pas à vous de prendre cette initiative Gammeis ! Laissez ce sac ici. »
La petite fille serra les poings et se retourna lentement, une flamme de colère dans les yeux. Azilis eu un mouvement de recul devant ce changement radical de comportement. Cette colère froide contrastait fortement avec la bienveillance et le calme dont la petite fille avait fait preuve auparavant, et cela en était effrayant.
« Vous semblez ignorer ce qu’est le respect, garde, répliqua sèchement Chaya. On ne vous apprend pas les échelles de pouvoirs dans l’ouest ? Il serait bien dommage que sa Majesté apprenne que ses gardes ont insulté et contesté les dires d’une précieuse. »
Les hommes se dévisagèrent, ne sachant comment réagir devant de telles paroles.
« Je vais veiller sur ces affaires, continua la petite fille, et je n’ai aucun ordre à recevoir de vous. »
Les soldats rengainèrent leurs armes et se placèrent en formation large autour d’Azilis pour l’escorter. Cette dernière, réalisant sa situation, lança un regard implorant à Chaya qui lui rendit en un sourire. “Ne t’inquiètes pas” semblait-elle dire, mais la jeune fille n’arrivait pas à se calmer. Elle n’avait aucune confiance en ces gardes et l’idée de rencontrer un emporion dans son faible état ne l’enchantait guère.
La jeune fille jeta un dernier regard à ses affaires, hésitante, avant de se résigner à suivre ses ravisseurs qui la pressait de gestes secs. Une fois dans le couloir, Azilis fut saisi par la fraîcheur du sol de marbre. En comparaison, sa blessure à l’épaule semblait irradier de chaleur et bientôt, la jeune fille sentit le sang lui monter à la tête, la faisant frissonner. Son escorte ne le remarqua pas, et ils continuèrent leur chemin dans le dédale de couloirs d’un pas vif et assuré.
Azilis peinait à se repérer. Malgré tous ces efforts, les couloirs lui paraissaient tous identiques, à tel point qu’elle avait l’impression de traverser un labyrinthe, et cela n’arrangea pas ses inquiétudes. Après plusieurs bifurcations, deux escaliers et quelques portes, le petit groupe s’arrêta et deux des gardes s’engouffrèrent dans une petite salle, d’où plusieurs voix masculines s’échappaient. La jeune fille voulu détailler son environnement, mais des paroles retinrent son attention. Elle fixa devant elle, se concentrant sur les dires des gardes.
« … Vous escortez la sauvageonne ?
– Oui commandant. Sur ordre de notre Emporion. Il souhaite s’entretenir avec elle.
– Je sais, il paraît qu’elle a de la valeur, alors tâchez de ne pas la l’égarer en route.
– Commandant !, héla un autre soldat, Nos éclaireurs reviennent de la région d’Ilbos. Il semblerait qu’il y ait eu du grabuge entre un camp de faés et de nephilys. …»
Azilis se tendit et planta son regard sur la porte où avaient disparu les gardes.
« Du grabuge ? demanda la voix dudit commandant.
– Oui monsieur. Les faés ont envahi le camp des nephilys et ont tout détruit. Les éclaireurs sont arrivés trop tard. Le village était en cendre, et ils n’ont trouvé que six corps. C’était ceux des émissaires de paix nephilys…
– Incident fâcheux…, répliqua le commandant, Y avait-il des survivants ?
– Non commandant, nous n’avons vu personne, mais nous pensons que certains villageois ont pu s’échapper.
– Bien, dépêchez des équipes de recherche, il nous faut … »
La fin de la conversation se mua en un bourdonnement sourd. Azilis s’effondra soudainement à genoux, les yeux hagards, et fut prise de tremblements incontrôlés. Les paroles qu’elle venait d’entendre se répétaient en boucle dans son esprit, mais elle ne les comprenaient pas. Ou plutôt elle ne voulait pas les entendre. Ses craintes s’étaient réalisées. Les faés avaient attaqués son village de sang froid et avaient tout brûlé. Le village où elle avait grandi … en cendre.
Plusieurs gardes se ruèrent sur la jeune fille pour la relever, mais ses jambes ne la tenaient plus et elle retomba aussitôt. Les soldats commencèrent à paniquer et quelques secondes plus tard, des ordres fusèrent, hurlant d’aller chercher de l’aide et de trouver une solution à l’état de la jeune fille. Cette dernière se mit à marmonner des choses incompréhensibles tandis que des images sombres envahirent ses pensées, la plongeant dans le noir total.
Les flammes. Les hurlements. Le tintement des armes qui s’entrechoquent. La panique incontrôlable. L’odeur âpre de la fumée. la sensation de chaleur, de brûlure. Les pleurs et les supplications des villageois démunis. Puis l’odeur du sang. Et la sensation de la vie qui s’éteint doucement, comme le soleil qui descend sur l’horizon, avant de disparaître. Tout semblait si réel, si vrai …
Azilis suffoqua. Un garde la plaça assise, dos au mur, et se contenta de la secouer pour tenter de la ramener dans le monde réel. Mais la réalité lui paraissait si lointaine, et chaque seconde passée dans cet état l’en éloignait encore plus. La jeune fille pouvait sentir la peur et la douleur des victimes innocentes. Plus elle s’accrochait à ses émotions négatives, plus la scène lui paraissait nette. Bientôt, la jeune fille réussit à discerner les corps sans vie des émissaires et cette vision lui arracha un gémissement à fendre l’âme.
Elle savait maintenant. Une vive douleur lui traversa la poitrine, la ramenant dans le couloir du palais. La jeune fille fondit en larmes. Des larmes amères, tristes, mais animées par une haine flamboyante. Azilis ne prêtait aucune attention aux soldats qui s’agitaient autour d’elle. Elle n’avait qu’un nom en tête.
Rivan.