Pat Deschamps·lundi 7 août 2017
La bête marchait difficilement. Elle tentait de se frayer un chemin parmi les sentiers dévastés par
l’oubli. Ses os ne la portaient plus. Depuis plusieurs semaines, elle s’était affaiblie. L’une de ses
pattes étaient blessées lorsqu’elle avait voulu éviter un piège. Ce dernier s’était refermé sur elle
comme un guet-apens, la faisant ainsi sursauter. Une âme en peine, à la recherche de la liberté dont
elle s’était trouvée privée par des gens égoïstes, cruels, et sans scrupules. Aussi, elle continuait sa
route, claudiquant, le poil poisseux et encrassé par les poussières de l’usine désaffectée dans
laquelle elle avait trouvé refuge auparavant. Mais elle avait décidé de prendre le large. Comme un
bateau hissant sa voile pour aller embrasser l’horizon. Elle voulait flirter avec l’inconnu. Elle n’en
pouvait plus de se cacher et de vivre sa vie à l’abri des regards.
Cet endroit n’était plus que désert et dégradation. Plus aucun signe de vie était à signaler malgré les
pièges tendus par les quelques humains, encore vivants. Seuls subsistaient une sorte de nature
éteinte qui semblait résister à tout signe de déchéance. Les fleurs et la faune semblaient pousser de
façon décuplée, faisant fi de l’empoisonnement général. Les oiseaux piaillaient inlassablement,
comme s’ils demandaient où était passée la vie. Les vers de terre grouillaient sur la terre humide et
infectée par l’atmosphère souillée. Et la bête était bien vivante, elle aussi. Elle sentait le sol
s’enfoncer sous ses pattes. L’absence de soleil, et l’environnement malsain avaient semblé créer une
sorte de couverture spongieuse, recouverte de moisissures, tout comme les champignons qui
proliféraient à une vitesse folle alors que plus rien ne semblait vivre autour. La nature reprenait ses
droits, malgré qu’elle était malmenée par les catastrophes causées par l’inconscience de l’être
humain, aveuglé par le profit.
Et elle continuait sa lutte, la bête, pour sa survie, affaiblie par l’absence de nourriture et de vie. Elle
se nourrissait de fruits sauvages qu’elle trouvait sur sa route. Aux abords des lacs, elle parvenait
parfois à attraper quelques truites lui permettant ainsi de subsister quelques jours.
Elle ne savait où aller, elle voulait juste errer et partir le plus loin possible de cet environnement
nauséabond. Les autres animaux semblaient avoir déserté les lieux, emportant avec eux les derniers
signes de vie. La bête avait l’oeil vitreux qui semblait aveuglé par la lumière du jour. Pourtant elle
aurait voulu l’aspirer cette lumière, afin qu’elle envahisse tout son être, comme un éternel bien-être
qui l’envelopperait de sa douceur et lui offrirait la chaleur dont son corps raffolait tant.
En effet, des mois durant, elle était restée là, dans la pénombre, alimentée par la saleté et les restes
d’un vestige d’une vie passée au cours de laquelle des milliers d’hommes et de femmes avaient
contribué, par la force de leurs mains, à faire fleurir l’activité de toute la zone qui est désormais
exempte du mot vie. Plus rien n’a résisté, même pas l’âme de ces humains qui semblait s’être
volatilisée avec les fumées de la centrale.
Sa vie n’était plus qu’une ombre dépérissante, qui tentait de la suivre. Mais elle, la bête, elle voulait
continuer sans elle. Elle voulait vivre cet espèce de dissociation de son corps meurtri, et de son
esprit, vidé comme sa vie, qui la mènerait tant bien que mal, vers le bout de cette triste aventure,
vers une nouvelle vie.
Elle continuait ainsi son errance vers d’autres espaces, une autre vie qui l’attraperait au bout du
tunnel, pour remplacer son autre mémoire, son ombre essayait de la suivre, laborieusement.
Soudain, son oeil se mit à tressaillir, comme si elle ne pouvait plus le contrôler. Elle commençait à
tituber, perdant l’équilibre pendant quelques instants. Elle ne savait plus où elle se trouvait,
aveuglée par une espèce de chose indéfinissable qui venait vers elle au loin. Son oeil frémissant
l’attirait inexorablement sans qu’elle ne puisse réagir. A cet instant même où la bête la vit
s’approcher de plus en plus près, elle sursauta, non pas qu’elle avait particulièrement peur, mais elle
se demandait si la chose allait arrêter sa course dont le point de mire semblait être son oeil qu’elle
ne pouvait davantage contrôler.
Soudainement, elle fut prise d’un étourdissement, ses yeux restaient grand ouverts, celui de gauche
avait désormais cessé de tressaillir. Se dévoila alors à elle une sorte d’oiseau mais elle ne fut en
mesure de mettre un nom à cette espèce qui ressemblait à la fois à un félin et à un oiseau. En effet,
ce dernier avait de grandes moustaches ainsi que des oreilles de lynx. Néanmoins, sa tête, au bout
de laquelle pointait un bec très pointu, était celle d’un oiseau. Cette chose semblait être entourée
d’une couronne de fumée qui l’emmenait partout. Cette chose, mi-félin, mi-oiseau, s’approcha petit
à petit de son oreille. Il en sortit une énorme bouche qui semblait flotter en suspension dans l’air.
Cette dernière s’approcha de son oreille avant de lui murmurer une phrase qui l’a réveilla
brutalement : “Prends le chemin des âmes perdues, il se trouve juste à ta gauche au bout de se
sentier. Tu verras, des énormes lampes lumineuses surmontées d’une tête de lynx, en bordent le
sentier. Des voix t’accompagneront tout le long de ton chemin”.
La bête ouvrit les yeux. Elle semblait avoir rêvé. Elle avait l’impression d’être quelqu’un d’autre,
elle ne se souvenait pas qui elle était et d’où elle venait. Elle n’avait aucun souvenir de l’endroit
dans lequel elle se trouvait, pourtant les noms de rues lui semblaient familiers.
Elle déambulait ainsi sous un soleil ardent qui lui réchauffait tout son corps. Elle se sentait bien, elle
se sentait vivante. Elle emprunta une rue nommée : “le mystère des âmes”. Elle disparut d’un seul
coup.
Un homme se trouvait là dans une rue nommée : “le mystère des âmes”, il était assis sur le perron
d’une maison. Il semblait attendre quelque chose ou quelqu’un. Il était vêtu de vêtements usés et
semblait couvert de poussière. Soudain, vola vers lui, un animal étrange, mi-félin, mi-oiseau. Il se
posa sur ses épaules, et lui murmura au creux de l’oreille : “alors, tout s’est bien passé… Regarde
moi un peu dans les yeux belle âme”. C’est alors que l’oeil gauche de l’homme se mit à sursauter
pendant quelques secondes, attiré par le regard envoûtant de cet oiseau étrange. “C’est bon, je t’ai
retrouvé”, dit l’oiseau. “Mais on se connaît ?” demanda l’homme. “Oui, mais tu ne pourras jamais
te souvenir de moi” répondit l’oiseau. Ton âme était si loin, si loin… Ta vie est désormais là, avec
toi, elle te guidera. Prends en soin. Je te la souhaite la plus belle possible mon ami”.
Sur ces derniers mots, l’oiseau disparut, laissant derrière lui des fumées multicolores qui brillaient
devant l’homme. L’homme ne le revit plus jamais. Mais tous les ans, jour pour jour, il apercevait
cette même fumée multicolore briller dans le ciel. Il en tombait des grelots aux couleurs de l’arc en
ciel qui le suivaient partout et l’entouraient de baisers.
Pat.
Image : Pixabay par “KELLEPICS”