Zavagli et sa petite bande sévissaient depuis plusieurs jours dans la région. Zavagli, c’était le chef, le plus cruel d’entre eux mais aussi le plus téméraire, c’est d’ailleurs pour cela qu’il avait obtenu le statut de chef. Puis il y avait Riquet qui se contentait d’essayer de lui ressembler et Vivi, une gamine à tête d’ange à qui l’on aurait donné le bon Dieu sans confessions.
Ils progressaient difficilement dans cette jungle hostile, Zavagli en tête, statut de téméraire oblige, les deux autres le suivant, pas très rassurés. Ils avaient faim. Les trois malfrats étaient aux abois en quête d’une proie.
Ils étaient tapis depuis des heures derrière un buisson épineux, guettant patiemment l’arrivée d’un improbable gibier. Soudain, ils le virent ramper, énorme, menaçant. Un serpent venimeux se dirigeait lentement sur eux. Leurs regards se croisèrent, mêlé de peur et d’effroi. Il fallait agir au plus vite, maîtriser la bête menaçante avant que celle-ci ne passe à l’attaque. N’écoutant que son courage, Zavagli fit un bond en avant et d’une main ferme et précise, se saisit du serpent. Les deux autres, n’écoutant pas le leur, firent un bond en arrière à l’exacte direction opposée de celle prise par le chef.
Le serpent immobilisé, Zavagli, cruauté aidant, plongeait son opinel N° 02 dans le corps gluant de la bête. C’en était terminé, le serpent était terrassé. Vivi sortit alors une cordelette bleue du fond de sa poche, ils attachèrent l’animal et décidèrent de le pendre à une branche basse le temps de mener plus en avant leur quête. Ils reviendraient ce soir, et s’ils n’avaient rien trouvé d’autre à se mettre sous la dent, ils le récupéreraient pour le manger.
Progressant avec difficultés dans ce milieu hostile, ils continuèrent à traquer le gibier employant toutes les ruses nécessaires. Ils surprirent bien quelques rinoféroces et autres hipopoclames au passage, mais leur gabarit imposant ne leur permit pas d’envisager une stratégie de capture efficace malgré la témérité légendaire du chef. Penauds et affamés, ils s’en retournèrent sur les lieux de l’assassinat reptilien.
Surprise ! Le serpent et sa cordelette avaient disparu.
– À table !
La voix criarde de leur mère venait de retentir du fond du jardin, interrompant là les aventures trépidantes de nos malfrats. Quand maman appelait, elle n’attendait pas ! Les voilà tous les trois sagement assis à la table familiale pour le repas. Vivi raconte à papa en détail leurs aventures et la disparition du serpent. Celui-ci, d’un rire sonore leur explique que le monstre en question ne paraît être qu’un orvet, plus proche du ver de terre que de la bête sanguinaire avaleuse d’enfants et que d’ailleurs il était bien plus utile vivant que mort. Il confisque par là même l’opinel N° 02 à Zavagli qui au passage y perd un peu de sa superbe.
Le repas terminé, après une sieste bien méritée et de toute façon imposée les autorités, les trois comparses reprenaient sans attendre le rythme de leurs jeux dans l’insouciance des vacances scolaires, traversant bravement des paysages inconnus et austères, combattant avec courage des ennemis imaginaires (surtout Zavagli, les deux autres optant systématiquement pour la technique du saut en arrière). Une question lancinante restait toutefois en suspend : qu’était devenu l’orvet et sa cordelette ?
Quelques jours après, revenant au trot d’une périlleuse excursion sur le fameux cri de ralliement de maman, ils croisèrent le chat qui semblait avoir un drôle de comportement. Celui-ci se tordait, sautait dans tous les sens, courant après sa queue, ou plus exactement après une cordelette bleue qui pendouillait sous sa queue. Les parents alertés par les cris des enfants se précipitèrent constatèrent, et ne pouvant retenir un rire bienveillant, papa posa fermement un pied sur la cordelette, soulageant ainsi l’estomac surchargé de la minette enfin libérée de l’encombrant surplus de digestion.