-Des personnes ont certainement besoin de vous, Valentine-sama.
Megumi range le bureau de monsieur Valentine et continue de s’affairer sans se retourner. Yui finit par se redresser; lui semble que le temps s’est englué et qu’il évolue dans un amas de vide intersidéral pâteux qui justement, ne le laisse pas se mouvoir aisément. Pensées emmêlées, il se lève parce qu’il sait que Megumi a raison. Yui Valentine n’est pas un altruiste ni n’a besoin de lui même pour avancer, mais Cammy Logan détient ce qu’il lui reste d’humanité.
Remettre un pied dehors lui donne une sensation de flottement hasardeux, passage incertain vers un pseudo retour à la normale, comme si cela pouvait exister.
***
Il neige.
Sur le chemin vers les côtes d’Amani, le paysage s’est monté d’un blanc en neige qu’il n’a jamais remarqué jusqu’à maintenant. Emmitouflé dans un manteau dans lequel la silhouette de son spectre semble flotter, il avance en appréciant le son machinal des pas qui craquent sous ses pieds, une répétition après l’autre, la route n’est pas complexe et ce schéma machinal lui complaît. Esprit vide, réflexion arrêtée il se laisse simplement guider sans effort vers chez lui. Est ce que ce lieu a seulement une fois été.
***
Les clés lui manquent quand il arrive et la maison est close. Distrait par le vide, il s’assied ainsi sur le banc près de l’entrée, un léger air froid balayant son visage.
Là où il s’est installé est une petite demeure cachée au fond d’une clairière, entourée d’arbres hauts, échappatoire loin des remous extravagants des individus. On en oublierait le contexte, on pourrait ignorer le fait qu’on se trouve au Japon et ses constructions qui prétendent frôler le ciel. Les hauteurs désormais absentes, il lui arrive pourtant et encore, de revoir le spectacle des cœurs de lucioles briller en symphonie dans la nuit, fenêtres illuminées par milliers scintillant pour lui offrir ce spectacle fascinant pendant quelques heures. Et puis quelques minutes avant l’aube, il sent l’air caresser son visage et jouer avec ses cheveux, les pieds à demi dans le vide, ce vide qui exerce son attraction sur cet être et aspire ce qui reste en lui, les fragments de son existence.
Yui!
Il se relève d’un coup, déboussolé, pris par mégarde dans un instant de déperdition. Valentine remarque pourtant qu’il n’y a personne qui ne l’a appelé autour de lui. Le craquement de pas dans la neige, là juste derrière la maison, retient son attention et il aperçoit finalement une silhouette aux cheveux flamboyants approcher.
Trop légèrement vêtue pour un temps hivernal, elle évolue vers lui les pieds nus et elle arrive en toute allégresse pour lui sourire gracieusement. Elle étudie les traits de Yui Valentine, pose son panier au sol et tournoie sur elle même.
– Bonjour Psychê.
Elle s’arrête incertaine et penche la tête légèrement sur le côté, à l’écoute d’un appel lointain.
-Bonjour Valentine.
Elle laisse un petit rire s’échapper, tel un enfant insouciant et ouvre la porte sans effort. Valentine se rappelle alors qu’il n’y a jamais vraiment eu de clefs pour ce lieu là. Il se rappelle aussi que Cammy dans ses instants, devient Psychê, quand elle ressent un surplus de tristesse.
– Tu m’attendais ? demande-t-elle, légère.
Ce changement déconcerte à chaque fois Valentine; cette fois encore il se contente de crisper le coin de ses lèvres en se débarrassant de son manteau et s’efforce de prononcer une réponse.
– Je croyais que j’avais perdu les clés…
Il se dirige vers la cuisine. Un café. Un autre. Pour le goût fort et amer que cela lui apporte en bouche; un déplaisant addictif que lui même n’apprécie pas. Ce n’est pas la première fois qu’il aperçoit Cammy évoluer comme si elle était une âme à Libra, insensible aux intempéries de son environnement, ici, sur Terre.
Au seuil de la porte la rouquine l’observe également, cet homme qu’elle a attendu et qu’elle attend encore… pour quoi. Sa vue se trouble et pour se cacher de ses larmes montantes, elle attrape quelques pommes puis entreprend de les peler sur la table derrière Valentine. Un autre effort.
– Et ce que tu as vu Theo?
Il se retourne finalement, après un temps infiniment élastique, déformé. La pointe du couteau qu’active Cammy pour cisailler la peau de la pomme tremble, Valentine perçoit ce temps qui frémit. Il pose son café et s’accroche sur le rebord du plan de travail en s’y adossant dessus.
– Oui, finit-il par souffler, il me demande si tu vas bien…
Elle tremble des épaules et baisse la tête.
-Et tu lui as dit…?
-…
Le temps, de nouveau, étire ses horizons.
-Je lui ai dit que tu te remettais doucement et que…
Un murmure.
– …que ce n’était pas tous les jours, facile.
Il déglutit.
– …et que malgré cela tu es toujours belle à mes yeux.
Un instant on détourne les regards. Un silence s’installe et le couteau tombe de la main de Cammy. Elle se met à chuchoter tandis que ses larmes s’écrasent sur la table.
– Je n’en peux plus de ce temps qui disparait et réapparait comme bon lui semble… je n’en peux plus de ces princes de pacotilles, de ces anges narcissiques, de ces japonais qui n’en sont pas, de la métaphysique absurde, du thé au jasmin que tu ne boiras jamais plus, des personnalités doubles, de la mémoire qui se joue de nous.
Elle sanglote et son murmure se brise.
-Yui, je n’en peux plus des anachronismes, du bruit, des sons de cloche, des oeuvres d’art, des livres, des tartes aux pommes à en faire sourire des princesses briseuses de tasses.
Le silence s’écrase encore plus fort que les larmes, ponctué de la respiration saccadée de Cammy Logan, prostrée les genoux contre elle sur la chaise. Vulnérable et ce spectacle brise douloureusement les battements réguliers de son cœur. Valentine se lève de son perchoir; il se dirige vers la jeune femme, tire une chaise à lui et s’assied à côté d’elle.
– Où est ce que tu étais pendant tout ce temps ? Est-ce que c’est trop difficile de me donner ne serait ce qu’un semblant de nouvelles, un message pour au moins me dire que tu es bien arrivé et que tu reviendras? Si ton voyage s’est bien passé ?
Les espoirs de Cammy s’amenuisent et Valentine reçoit ses mots sans broncher. Ils durs parce qu’ils sont sans doute la brute vérité.
Yui Valentine plonge le gris de ses yeux dans ceux de Cammy et elle détourne un regard dont les larmes ne tarissent plus.
– Encore combien de temps Yui? Encore combien de temps il faut que je tienne?
Valentine relève doucement une mèche de cheveux qui tombe devant le visage de la rouquine. Il l’observe et son regard s’embuent d’une tristesse venue d’un tréfonds d’une âme brisée. Il n’a rien à répondre à ce qu’il entend.
Un étrange sentiment de solitude l’enveloppe tandis le vide forme une couverture autour de son être. Il a beau regarder Cammy, il a beau sentir ses cheveux sous ses doigts, elle lui manque quand même. Même des années après Libra. Encore même maintenant alors qu’elle se tient devant lui. Dans cette course poursuite après l’imparable, la vérité est que Cammy n’est plus Cammy d’avant, tout comme il n’est plus celui d’antan. Et tous deux cherche un reflet dans l’autre qu’ils ne reverront plus.
– Je ne voulais pas te blesser.
Il caresse le bout des doigts de la jeune femme. Recroquevillée sur elle même, Cammy referme les mains sur ces phalanges froides et se sent attirée vers l’homme qui de sa présence, bouscule toutes ses passions. Oubliée dans cette confusion faite d’émotions tumultueuses, elle se retrouve dans ses bras chargés d’une aura de vide et de désolation.
-Je ne voulais pas te laisser ainsi, murmure Valentine.
Leurs êtres se sont resserrés entre eux, pour se lover et créer une pseudo chaleur, un tant soit peu plus confortable.
Il n’avouera jamais à Cammy qu’il n’a pas trouvé l’ambition de reprendre une voiture pour l’aéroport, ni le courage d’aller aux obsèques de sa sœur. Juste la mollesse et le désespoir d’esprit pour aller s’éteindre quelque temps dans le nouvel appartement qui s’est reconstruit là où son ancien logement a brûlé.