Ce que l’enfer nous réserve – 8

8 mins

 Chapitre 8

Gros problèmes

D’une main, Yann saisit Axel par le cou. Il le souleva du sol d’une bonne trentaine de centimètres. Avec Jerem, on assiste à ça stupéfait. Axel se débat tant bien que mal. Il gesticule dans l’espoir de faire diminuer la pression exercé par son jumeaux, désormais maléfique. En vain. Il devient bleuté, puis du sang commence à couler de ses yeux. Il arrête de bouger. De respirer. Puis, lâche son maillet en bronze, qui tombe dans un tintement retentissant. Il n’avait osé l’utiliser sur son frangin. Yann le relâche. Axel s’écroule au sol, de tout son poids. Inerte. Sans vie. Yann venait de tuer son frère. Dans ce genre de moment, on ne sait pas comment réagir. D’une part j’étais enragé de voir mon meilleur ami se faire assassiner sous mes yeux. Mais, malgré mon envie d’en découdre, j’étais faible et impuissant. D’autre part, j’étais totalement terrifié. Ma réaction fut automatique. L’envie de préserver ma vie venait en cet instant de prendre le pas sur l’envie de venger mon pote. Je regarde Jerem. Il me fixe du même regard. Pas besoin de se parler, on s’était compris. On court. On part dans la même direction. Sans vraiment savoir dans quelle direction nous allions. Percutant les corps suspendus. Glissant sur ce sol imbibé d’hémoglobine. A ce moment-là, tout est trouble. Flou. Puis, une porte se présente à nous. On y entre. Cette pièce, on aurait dit le parfait mélange entre une boucherie dégueulasse et un garage craignos. Je n’aurais pas été étonné d’y trouver une pancarte du genre « 2 côtelettes achetés, 1 vidange offerte. » Bref. Y’avait une table où gisaient des morceaux de corps humains. A côté, des morceaux de métal. Prêt à s’assembler. Ce gars, celui qui avait pris possession du corps de Yann, s’amusait clairement à jouer aux lego avec de la chaire. Jerem gueule.

« Putain, c’est quoi ça ?! »

Un œil gigantesque, de la taille d’une pastèque, possédant des ailes de rapace et deux bras humains volait vers mon frère. Plus le temps de réfléchir. Je recharge, j’arme, je vise, je tire. En plein dans la rétine. L’œil tombe au pied de Jerem. Un liquide noir suinte de sa plaie. Probablement son sang. Là, je viens de comprendre qu’on vient juste de s’enfoncer davantage dans ce merdier. Cette pièce n’a pas d’issue. Au fond de cette salle, y’a un mur d’amplis. Des Randall Satan posés sur d’énormes baffles (pour les connaisseurs, c’est du gros son. Pour les néophytes, c’est des amplis de guitares électriques pour jouer du métal bien méchant) Y’a aussi une guitare en forme de hache à côté. Ou bien, une hache en forme de guitare. Je ne saurais le dire. Quoiqu’il en soit, cette guitare était tranchante. Pour sûr.

Soudain, calmement, Yann pénétra dans la pièce.

« Putain les gars… A peine arrivé chez moi que vous tuez mes bestioles de compagnies… Comment voulez-vous que je me montre accueillant après ça… »

Il portait le corps sans vie d’Axel sur ses épaules. Avant de le jeter sur son plan de travail dégueulasse. Je lui réponds :

« Mais bordel, t’es qui ? T’es pas Yann ! J’ai vu l’ombre dans l’usine ! »

Il ne me répond pas. Puis, sans même nous calculer, il se met à se gratter les bourses 20 bonnes secondes en lâchant des gémissements de la même tessiture de ténor qu’il venait d’employer. Le mec prenait clairement son pied. S’en était gênant. Nous on ne pige pas. On ne bouge pas et on ne dit rien.

« Putain que ça fait du bien !! C’est ce genre de petits plaisirs qui m’avaient manqué ! » Puis, portant de nouveau son attention sur nous, il dit :

— Non, je ne suis pas Yann. Mais puisque vous allez bientôt me servir de jouet, je peux vous donner quelques explications… Voyez ça comme un cadeau de bienvenu ! Je suis Alastor, Archidémon bourreau des enfers. Passionné de chirurgie démoniaque et guitariste à ses heures perdues.

— Archidémon ? Bourreau des enfers ? Comment c’est possible ?

— C’est possible ! Ahahah ! En tant que démons, nous n’évoluons pas sur le même plan, la même dimension que vous. Techniquement, on ne peut pas vous atteindre physiquement. Le seul moyen reste la possession. Je suis un sans visage. Tel un bourreau, je suis donc perpétuellement masqué. Quiconque se recouvre le visage, d’un masque envouté par mes soins se retrouve possédé. Voilà où nous en sommes.

— Et donc, là c’est l’enfer ?

— Une infime partie. Vous êtes dans mon antre. Mon repaire. Mon royaume. Mon refuge. Ma tanière. Qui se trouve en Enfer. Mais, l’Enfer est bien plus vaste qu’ici.

— Putain… »

Je ne sais quoi penser. Je crois bien que c’est fini pour nous. Game over.

« Ai-je été assez clair ? J’espère sincèrement que oui, car c’est maintenant l’heure d’y passer.

— Donc, on va finir comme tous ces cadavres ? En morceau, pour satisfaire ton plaisir malsain ?

— Exactement ! Je vais vous démembrer, vous assembler à divers trucs qui trainent. Animaux, morceau de métal, autres humains… pour faire de vous une œuvre d’art vivante ! AHAHAHAHHHA !!! » Son rire partait dans des aigus qui contrastaient complétement avec sa voix pourtant si grave. Un rire on ne peut plus agaçant.

« Je viens d’avoir une idée ! Je vais faire de vous des siamois aux cranes d’aciers ! Parce que vous avez l’air d’avoir déjà la tête bien dure de base ! AHAHAHHA !

— Putain… Tant de souffrance gratuite…

— Hey ! C’est pas gratuit ! ça me coute quand même un peu de sang ! Le sang d’un archidémon a des propriétés particulièrement intéressantes. Ca ne marcherait pas si je ne vous en injectait pas ! Tout artiste doit savoir faire des sacrifice… Bon, commençons. »

Ce démon était effroyablement terrifiant. Pourtant il semblait presque avoir de l’humour. Il avait des passions. Des choses qu’il aimait. De par la description qu’il venait de faire de lui-même, il semblait aussi très vaniteux. Tout n’était pas perdu. Je dois le faire parler.

« Attends ! T’es guitariste ? Moi aussi ! Accorde-moi une autre faveur, Alastor ! Montre-moi ce que vaux un démon à la gratte !

— Sérieux ? Tu veux faire copain-copain avec moi ?

— Non, je suis curieux, c’est tout… J’ai déjà joué sur les amplis derrière. C’est du lourd !

— C’est carrément du lourd ouais ! Ok, je vais te jouer un morceau. Mais ne vous avisez pas de me faire un sale coup les frangins. Quoiqu’il en soit, après ça, vous y passerez ! »

Alastror, prit son instrument et commença à jouer du black métal… Aucune idée du morceau qu’il jouait, je n’écoute pas de black métal. Quoiqu’il en soit, il assurait. Rapide et précis. Meilleur que tous les guitaristes de métal que j’avais entendu dès lors. Lorsqu’il termina son morceau, à la fin d’un solo démentiel, il dit :

« Voilà. Alors, bluffé ?

— Ouais, grave.

— Tu sais quoi ? T’es guitariste aussi, non ?

— Ouais.

— Vas-y montres moi ce que tu sais faire. »

Là, le démon me tend son infernale guitare. Elle lui servait clairement de hache. C’est avec ça qu’il coupait les membres de ses victimes. Y’avait du sang un peu partout dessus. Je la saisis. Putain, qu’elle est lourde ! J’enfile la hanse et je commence à vérifier qu’elle est bien accordée. Elle l’est. Je ne suis pas un gros métalleux. Mais, j’ai eu ma période, comme tout ado turbulent qui se respecte. Je lance le titre que j’ai le plus rodé : Reign in blood, de Slayer. Un morceau parfaitement approprié à la situation. Et putain, j’assure grave ! Je ne l’avais jamais aussi bien joué. Peut être car, je savais que c’était surement la dernière fois que je touchais une guitare de ma vie. J’avais mis toute mon âme dans mon jeu.

« Pas mal du tout gamin ! Tu montes dans mon estime ! J’adore ce titre !! Du coup je vais commencer par tuer ton frangin. » Jerem n’avait rien dit depuis tout ce temps. Il était en état de choc. S’en était trop pour lui.

Alastor le saisit par le cou et commença à lui infliger le même sort qu’Axel. Je voulu me débattre pour aller l’aider. Mais, la sangle de la guitare commença à se serrer autour de moi. Elle m’étouffe. Je ne pus m’en débarrasser, et la guitare semble peser une tonne, devenant de plus en plus lourde. Son poids me mit à genoux. Je me débats, fixant mon frère, alors à 30 centimètres du sol, en train d’agoniser. Il essaye tant bien que mal de saisir l’énorme couteaux à sa ceinture. Ses doigts cherchant le manche, glissant dessus. Enfin, il réussit. Le saisit, puis d’un coup vif, le plante dans la gorge d’Alastor. Le démon le lâche, Jerem tombe au sol. Il tente de récupérer son souffle. Tousse, crache. Alastor arrache le couteau de sa gorge et le jette violemment derrière lui. Sans faire attention, que derrière lui, il y a moi. Le couteau est à deux mètres de ma personne. Ça me demande un effort surhumain, mais j’arrive à me hisser jusque lui. Je l’attrape et je commence à sectionner cette satanée hanse qui me coupe le souffle. Lorsque j’y arrive enfin, Alastor reprend ses esprits. Il a l’air furieux ! Un épais filet de sang noir coule de son cou.

« Petite merde ! Comment oses-tu abimer mon nouvel hôte !! »

Il se dirige vers mon frère, qui n’a toujours pas récupéré son souffle. Mais, Jerem sort un feu de bengale de sa poche. Il l’allume et le tend vers le démon comme pour l’éloigner. Ça n’a évidemment aucun effet sur Alastor…

Alastor assène à Jerem un violent coup de pied en plein visage. Une chance qu’il ne lui ai pas décroché la tête. Jerem est sonné. Assommé même. Et Alastor semble m’avoir complètement oublié. Avant qu’il n’assène un autre coup à mon frangin, je me dirige à toute vitesse sur lui, et lui plante le couteau derrière le crâne. Il hurle. D’un cri perçant et suraiguë.

« AAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHH »

Il porte ses deux mains à l’arrière de son crâne et en retire le couteau, telle Excalibur de son rocher.

Pendant ce temps, mon attention se porte sur le feu de bengale que mon frère a lâché suite à la violence du coup qui lui avait été porté. Je le ramasse et le fou instinctivement dans le froc de Yann. Puis, je sors mon flingue, et j’allume Alastor, de tout le contenu du chargeur.

Notre agresseur semble sonné. Il aussi le froc en feu. Ça nous laisse un court laps de temps. Je vais voir mon frère. Il retrouve ses esprits. Je l’aide à se relever. Tandis que nous oublions tout de notre mission de base, qui était de sauver Yann et de lui retirer le masque, nous fuyons. À toute vitesse. Chaque recoin de cet infernal lieu défile à une allure folle : Le plan de travail où gisait le corps sans vie d’Axel, l’abattoir et son stock incommensurable de pauvres défunts, le couloir aux millions de crânes, la porte. Fermée. Jerem et moi l’entrouvrons suffisamment pour passer. Viennent les égouts, puis la salle de maintenance et la trappe. Nous revoilà de nouveau dans l’usine. Aussi oppressante et morbide soit elle, on a l’impression de respirer ici. On se sent même presque soulagé d’être si proche de la sortie. On s’active. On passe du niveau -3 au -2. On court. Toujours plus vite. Sauf que là, la chienne apparait face à nous. Cet immonde cerbère nous barre la route du niveau -1. Elle cherche à nous empêcher de quitter cet enfer. Qu’elle aille se faire foutre. Ce dégueulis de chacal ne fait pas le poids face à notre envie de s’en sortir. Notre envie de vivre. Une des têtes de doberman sur son dos semble morte. Je sors mon gun et décharge un autre chargeur sur elle. Son corps finit truffer de balle. La deuxième tête de doberman s’en trouve elle aussi morte. Ne reste que sa tête de femme sur un corps quasi inerte. Jerem s’approche d’elle. Saisit la lame greffée sur sa main gauche et lui enfonce dans l’œil jusqu’au cerveau. Cerbère n’était plus. A son cou, pendait une chaine en or avec le prénom Emilie. Cette chose avait un jour été une femme. Une jeune fille même. Ça m’attriste. Toute cette peine, cette souffrance vécue… Une innocente jeune fille transformé en chien des enfers, esclave d’un démon abjecte et sadique. J’eu soudain un flash. Cette fille disparue il y a 12 ans. Celle dont on avait retrouvé qu’une main. C’était une évidence désormais : c’était elle.

On trace notre chemin. Niveau -1, puis le RDC et enfin, l’extérieur. Enfin ! De l’air pur et frais. On n’avait jamais considéré la région où l’on vivait comme le paradis. Néanmoins, à ce moment précis, ça l’était. On s’écroule. Allongé sur le bitume usé de cette ville délabré et à l’état d’esprit généralement morose. Mais putain, que c’est bon. Pourtant, on pleure. On fond en larme. Puis on se prend dans les bras l’un de l’autre, avec mon frangin. Après 10 bonnes minutes, à ne pas croire ce que l’on venait de vivre. À ne pas réaliser que l’on venait de s’échapper de l’Enfer. Que les démons existent… Que nos potes ne reviendront jamais. Tu veux te sentir vivant ? Confronte-toi à la mort. Le seul hic, c’est que ça te flingue aussi. On se rend à notre voiture. On rentre chez nous.

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