Sous le soleil exactement

3 mins

Trop, c’est trop ! Cette canaille de soleil a trouvé le minuscule trou dans le volet de la chambre et vient chatouiller mes paupières encore closes. Je m’en serais bien passé après ma nuit torride. Oh là là, dissipons de suite l’éventuel malentendu : pas d’orgie de galipettes avec mon compagnon jusqu’à l’aube. Non ! seul le thermomètre s’est excité bien au-delà du supportable. Pas de clim, un minuscule ventilo bruyant, un appart en ville, au rez-de-chaussée…et mon matelas s’est transformé en éponge.

Oui, oui Soleil, je me lève ! Direction “douche salvatrice et café corsé”.

J’arrive enfin à mon travail, souriante malgré la fatigue, les cernes sombres dissimulées par l’artifice du maquillage.

Autour de la machine à café, je retrouve le sujet récurrent pour ceux qui n’ont rien à dire “la météo”, et j’assiste à la prise de bec entre Roger de la Compta et Sabrina, la nouvelle DRH. Déjà, en temps ordinaire, tout les oppose mais, après dix jours de canicule sur la France, le ton monte presque aussi haut que le mercure dans le thermomètre. Les avis fusent, les clans se forment.

Roger n’aime pas ce soleil ardent, il l’adore, il le vénère. Il réchauffe sa peau au sortir de sa piscine. Il permet de profiter des soirées barbecue jusqu’à pas d’heure, en short et tong. Il vous invite à la terrasse des cafés où les jupes sont courtes et les épaules dénudées… Tout ça dit avec ses mots à lui, je vous laisse imaginer car Roger de la Compta a un vocabulaire très hot (à sa décharge, on est en pleine canicule !).

Riposte de Sabrina, qui a le permis et une voiture mais préfère la marche rapide, qui est adepte du tri sélectif (pour les opercules des pots de yaourt, elle hésite encore sur la couleur de la poubelle), qui utilise les sacs réutilisables, qui a fait installer chez elle des toilettes sèches, qui est fan de la militante suédoise Greta Thunberg…et blablabla. Chacun y va de son “tu n’es qu’un égoïste”, “mais ce sont les camions et les avions qui polluent”, “tu peux agir pour la planète, même à ton petit niveau”, “société de consommation”, “les ours polaires sont menacés”, “les stations de ski sont menacées”, “les îles Maldives sont menacées”….

Je m’éloigne en sirotant mon café brûlant, perdue dans mes pensées. Chacun a raison car chacun a ses raisons. Englués dans le confort apporté par toutes les avancées technologiques, pouvons-nous évoluer vers un comportement respectueux de notre planète Terre ? Pouvons-nous trouver un équilibre entre production et consommation ? Pouvons-nous espérer une prise de conscience mondiale ? Les intérêts financiers de certains pays n’étouffent-ils pas les cris d’alarme sur le réchauffement climatique ?

Je sens que les réponses à ces questions ne vont pas me plaire… Moi, tout de suite, je n’ai qu’une envie c’est boucler le dossier attendu pour avant-hier par mon chef. Et ensuite retour express à l’appart pour prendre dans le réfrigérateur le brumisateur et la citronnade préparés pour Maminette. Ce n’est pas mon chat, c’est ma voisine de palier. À son âge, les bougies du gâteau d’anniversaire coûtent plus chères que le gâteau lui-même et il faudrait un extincteur pour les éteindre toutes. Je vais lui demander si elle n’a pas trop souffert de la chaleur et si elle a pensé à boire toute sa bouteille d’eau, légèrement aromatisée avec la menthe verte qu’elle aime tant. C’est important de bien s’hydrater mais elle oublie, parfois. Je suis là pour veiller sur elle, toute fragile sous le poids des ans.

J’ouvre sa porte en l’appelant, toujours avec cette petite appréhension. Pas de réponse. J’ai le coeur qui cogne fort dans la poitrine, la même angoisse mais plus forte que d’habitude. Et si la canicule avait eu raison de Maminette, si elle était venue sournoisement lui ôter la petite étincelle de vie qui l’habitait hier encore ? Elle a emporté un trop grand nombre de nos petits vieux depuis qu’elle s’est installée sur le pays et Maminette fait une cible facile.

La télé parle fort devant une Maminette attentive. Je l’observe en silence, émue. Quand elle s’aperçoit enfin de ma présence, la chaleur de ses yeux rieurs chasse ma fatigue. Sa main attrape la mienne et ce simple geste me réchauffe le coeur. Ma Maminette a encore fait un beau pied de nez à la canicule et ce n’est pas une goutte de sueur qui roule sur ma joue, c’est une larme de bonheur. 

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3 Commentaires
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Saccaggi Patricia
5 années il y a

Coucou Isabelle, j’aime vos mots, c’est poétique, humoristique, attendrissant.

Équipe WikiPen
Administrateur
5 années il y a

Bonjour Isabelle,
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