Elle passa l’hiver au chaud et elle grandit. Une belle araignée noire et velue trônait dans ma salle de musique.
Et son comportement changeât à nouveau. Par moment elle descendait sur le devant du piano, devant le couvercle. Parfois elle vibrait sur place. D’autres fois elle exécutait des danses complexes. Il m’est arrivé de me demander s’il s’agissait de parades amoureuses. Mais j’eus beau parcourir les ouvrages d’éminents arachnologues, je ne trouvais nulle part la description de tels comportements. Elle dansait, un point c’est tout, en rythme.
Et puis vint le jour où elle descendit sur le clavier. Je m’interrompais au milieu d’un prélude de Bach. Et je la vis comme je vous vois frapper une des touches de sa patte avant droite. Ce fut pitoyable. Elle avait beau taper et s’énerver, la touche ne s’enfonçait pas. Le piano restait muet.
Alors je la vis filer sous les cordes et s’immobiliser.
Elle restât là sans bouger pendant 40 jours. Les mélodies les plus délicates, les fortissimos les plus exaltés, rien n’y fit. Elle se laissait mourir. J’eus beau m’évertuer à jouer les morceaux qui quelques jours avant la faisaient se balancer follement ou tendrement, rien n’y fit. Alors je me mis à lui parler et je lui donnais un nom : Arachmaninov. Oui je sais c’est un peu long. Et j’en vins presque immédiatement au diminutif : Manini.
Je lui dis à quel point elle était unique et combien je l’aimais. Et que sans elle, mon piano à jamais resterait muet. Qu’elle était mon auditeur et mon auditoire préférés. Que sans elle, ma vie d’artiste n’avait plus grand sens.
Je crois qu’elle eut pitié de moi et je la vis lentement remuer ses pattes engourdies. Elle était sauvée. Moi aussi.
L’ARAIGNEE QUI VOULAIT DEVENIR PIANISTE – chapitre 6
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