IV
Trois torches allumées, accompagnées d’un homme chacune, avançaient à un bon rythme dans les couloirs de la Souterraine. L’air était rance, l’humidité traversait les vêtements des hommes, la visibilité était réduite. En file indienne, les compagnons avançaient dans les boyaux du réseau. Sorn occupait la position de dernier de cordée, et Harold les guidait. Ce rôle n’était pas pour rassurer le jeune homme. Il lui semblait que les ténèbres derrière émettaient des sons d’outre-tombes, comme des appels monstrueux. Sorn fila alors d’un peu plus près le train d’Ela. Cette place dans la file, il l’avait pourtant demandée, clamant haut et fort que c’est un devoir de chevalier que de protéger une femme. Ela avait bien essayé de le convaincre d’une clé de bras qu’elle était loin d’avoir besoin d’une protection, mais Sorn n’en avait pas démordu. Il pris donc la dernière position et cela se retournait contre lui. La nuit l’avait toujours effrayée. Depuis de nombreuses années pourtant, il luttait contre cette peur irraisonnée. Petit, il s’infligeait des nuit à la belle étoile, seul, au fond du jardin familial. Toute la nuit, il se frottait à des démons invisibles, tentant d’ignorer les bruits qui l’entouraient. Si il maîtrisait sa peur en temps normal, l’épaisse obscurité ne le mettait pas en confiance, loin de là. Toute les trente secondes il jetait un coup d’oeil derrière lui, pour être sûr qu’il n’était pas suivit par quelques bêtes des enfers. Il disait constamment qu’il était persuadé d’entendre des pas. Harold ne s’inquiétait pas le moins du monde des élucubrations de Sorn. Il tâchait de suivre son itinéraire, et lui habituellement si loquace, ne lâchait pas un seul mot. Dans les étroits tunnels, la troupe ne s’arrêtait que ponctuellement pour que le guide observe les indications sur les murs des intersections. Une nouvelle fois la bonne marche fût stoppée par un cul-de-sac. Le guide contrarié dû réunir un colloque d’explorateurs pour expliquer la teneur de la situation :
– Au cas où certains d’entre vous ne l’aurait pas remarqué, nous sommes face un nouveau cul-de-sac.
– Nous devons donc faire demi-tour encore une fois, si je comprends bien, s’inquiéta Sorn. C’est encore du temps de perdu. Chaque seconde de perdue est une chance en moins pour moi !
Harold lança un regard inquisiteur à Ela :
– Il est toujours comme ça celui-là ?
– Oui, il a l’impression qu’une journée de perdue dans son voyage va l’empêcher d’obtenir son fichu examen.
– Je suis là et je vous entends, coupa Sorn. Si l’on cumule les journée, à la fin ça fera, et bien… beaucoup de journées, des mois peut-être.
– Calme-toi mon grand, tenta d’apaiser Harold. Le Père en est sans aucun doute au même stade que nous. Rien, n’y personne ne t’a dit que le père est en route pour récupérer l’objet, mais plutôt qu’il cherche à le récupérer. Il « cherche », et non « il a trouvé, et il va le récupérer ». Je te promets que nous allons faire au mieux. C’est juste que mon itinéraire n’est pas très précis, et cela fait un moment que je n’ai pas mis les pieds ici.
– Cela ne change rien au fait que nous devons faire demi-tour. Je me trompe ?, ronchonna Sorn.
– J’ai dû prendre une mauvaise direction à la dernière intersection voilà tout.
– Allons-y alors, déclara Sorn qui prit la tête de la file.
Harold l’attrapa par l’épaule :
– Je sais bien que c’est ton examen mais si tu le veux bien, je vais ouvrir le chemin, à moins que tu ne connaisse l’itinéraire…
Sorn fît un mouvement latéral de gauche à droite avec sa tête. Ela rétorqua :
– Il n’est pas le seul à ne pas connaître l’itinéraire apparemment.
Harold ne la regarda par et reprit la tête du groupe. Après un petit moment, Harold coupa court aux nouvelles élucubrations de Sorn :
– Très bien et si je vous racontais l’histoire de cet endroit ? Savez vous pourquoi il y a des souterrains sous l’île de la Tortue ?
L’écho des pas fût le seul à répondre :
– Je vous sens des plus intrigués ! Alors on y va. Voici donc l’histoire de la Souterraine. Dans des temps éloignés qui un jour furent un futur, l’Ile de la Tortue n’était encore qu’une toute petite bourgade, perdue sur son grand caillou. Ici la religion disparue d’Eldorf, était maîtresse. Rien n’y personne n’échappait au regard, et à la surveillance des Pontes. Pour ceux qui ne savent pas qui sont les Pontes, ces derniers étaient les dévots et maîtres de cérémonies. L’ordre régnait, tout débordements était sévèrement réprimandé, l’argent interdit. Pas question d’acheter ou de vendre quoi que ce soit. Le partage et l’autarcie, voilà les règles d’or. Des siècles durant, la main de fer des Pontes, et plus encore des Grand-Pontes écrasait chaque petit grain de rébellion, ou de pensée déviante. La sentence était immédiate : exécution par noyade. Rien ne débordait. En surface tout le monde était à peu près libre d’agir comme bon lui semblait, tant que le pouvoir n’était pas remis en question. Chacun donnait, chacun travaillait, personne ne s’enrichissait. Si il y avait malgré tout un besoin de commerce extérieur, le troc faisait office de monnaie. Le concept originel n’était pas mauvais mais la mise en pratique était douteuse.
— Un homme, Jored Daugherty, décida de se lever contre ce régime. Durant son adolescence, son père disparu pour avoir refusé d’offrir aux Pontes les quelques denrées qui lui restait. Depuis ce jour, Jored n’eût qu’une idée en tête, faire entrer le vice, et l’argent sur l’île. Corrompre le système pour mieux le faire tomber. Un matin, au fond du jardin familial, il aperçu un écureuil qui cachait ses provisions en terre, et l’idée jaillit. Il creuserait une cave dans lequel il pourrait lancer son entreprise à l’abri des regards. Il creusa alors la première cave, qui par extension, devînt la première galerie, dans laquelle il installa un comptoir de jeu clandestin. Il invita tout d’abord des amis proches, la discrétion était de mise si il voulait perdurer. Chaque ami, était autorisé à inviter un ami proche, en qui une confiance absolue était requise. Tout les mois de nouveaux joueurs étaient invités. Après un certain temps le continent fournit son contingent de parieurs. La nuit, en barque et presque à l’aveugle, ils traversaient en barque pour se mettre à table. Avec ces nouveaux venus, l’argent fît enfin son entrée sur l’île de la Tortue. Après quelques parties gagnées, Jored décida de distribuer ses gains à ses amis proches afin qu’ils achètent, en toute discrétion les produit du travail de leur voisin. Le troc venait de se trouver un solide concurrent sous le manteau. Les autorités, qui pourtant se targuaient d’avoir des yeux dans tout les foyers, ni virent que du feu. Jarod, et ses amis entreprirent d’agrandir la cave initiale et de créer un premier petit réseau, ouvrant d’autres entrées, toujours dans des propriétés de confiance.C’est à ce moment que les travailleurs baptisèrent leur réseau de tunnels, la Souterraine et dans le même temps, ils prirent le nom de Gardiens de la Souterraine. Ainsi une distillerie artisanale, un marché où l’on trouvait des produits du continent, et un bar ouvrirent leur porte. Toute entrée était contrôlée, et la moindre menace de divulgation prise très au sérieux. Un homme aviné passait la nuit au frais, et l’histoire raconte que certains auraient tout bonnement disparu. Le réseau de galerie de la Souterraine s’est ainsi agrandi, les murs ont été poussé si loin, qu’une entrée continentale a été ouverte. Le vice, quant à lui, s’est répandu sur l’île, tout comme l’argent. La corruption a même gangrenée les institutions. À tel point, que certains Pontes descendirent jouer, s’aviner et se repaître d’hommes et de femmes. Tout homme finit un jour où l’autre par céder à ses pulsions, et les Pontes n’étaient que des hommes comme les autres. Plus les hommes s’enrichissaient, plus le pouvoir perdait de sa force. La résistance apparue au grand jour. Les Grands-Pontes tentèrent d’éteindre l’incendie avec des méthodes bien à eux. Les mesures prises par le pouvoir furent tellement impopulaire que la révolte éclata. Bâtiments et symboles religieux brûlèrent durant des jours et des nuits. Les religieux furent massacrés sans pitié. Le règne d’Eldorf fût réduit en cendre. Jored et le vice avait vaincu.
— Le temps a fait son œuvre, l’argent est devenu un bien courant et les commerces ont fleurit à la surface. Aujourd’hui, la grande majorité des tunnels du réseau ont été bouchés. La Souterraine n’est plus ce grand marché clandestin d’antan. Il n’y a plus, pour ainsi dire, qu’un long tunnel reliant le continent à la presqu’île qui sert aux personnes cherchant à quitter où à entrer discrètement sur l’île. C’est aussi une planque pour fuyard. Au milieu de ce grand labyrinthe, les Gardiens continue de veiller sur les entrées et sortie.
– Et nous allons donc à leur rencontre, interrompit Ela.
– En effet.
– Tu sais des trucs mais tu ne nous dit pas tout!, s’insurgea Sorn
– N’ait crainte, tout ira bien. J’ai déjà eu affaire à eux. De toute façon, mon matériel est caché ici, nous n’avons donc pas vraiment le choix. Il nous faudra par contre négocier pour le droit de passage.
– Pour ce qui est de la négoce j’en fais mon affaire ! On a déjà eu assez de surprise comme ça, lâcha Ela.
Sorn ne parvenait pas à se faire une image de ces Gardiens. Il ne concevait pas comment des hommes pouvait vivre sous terre, dans un endroit aussi sinistre. Il se demandait si il était différent de lui, si vivre sous terre les avaient métamorphosés. Ses divagations mentales furent stoppées net. Sorn arrêta tout le monde au beau milieu d’une galerie. Cette fois-ci il en était convaincu, quelqu’un les filait. Des bruits de pas avaient de nouveau résonné, et ce coup-ci, Sorn en était certain :
– Vous avez entendu ? Interrogea Sorn.
– Entendu quoi encore ? s’agaça Ela.
– Des bruits de pas, pas loin derrière nous ?
Ela parla plus bas :
– Oui, je les ai entendu, confessa t-elle. Cette fois-ci tu as raison, nous sommes suivit, mais pour l’instant il ne désire pas se montrer. Va savoir pourquoi. Continue d’avancer et fait comme si de rien n’était.
– Elle a raison, continuons de marcher, peu importe ce qui nous suit, remarqua Harold.
La marche reprit. Sorn toujours en queue de peloton, n’avait de cesse d’écouter ce qui se tramait dans son dos. Ils arrivèrent enfin à la galerie qui les mènerait tout droit vers les Gardiens de la Souterraine. Harold souffla un grand coup, les trois s’enfoncèrent vers leur destin.
Une grande salle souterraine s’ouvrit devant eux. Des portes dans la roche attestaient de salles encastrées dans la cavité. Cette dernière était illuminée par un grand nombre de lampes à huile. Le plafond était noirci à cause des fumées de ces dernières. Une odeur d’excrément, et de mauvaise bouffe se mêlait aux fragrances habituelles du réseau. La salle était vide de mobilier. Une ligne d’homme en arme patientait, attendant que les nouveaux venus approchent. Ces hommes étaient vêtus tout de noir à l’exception d’une médaille dorée qu’ils gardaient cachée sous leur veston. Cette médaille était fabriqué à partir de la première pièce qu’ils gagnaient en jouant. Contrairement à ce que Sorn imaginait, les Gardiens n’arboraient pas de teint livide, ou des yeux sans pupilles, bien qu’un poil maigre, aucune faiblesse ne dénotait de leurs corps. Un gardien mis un pied devant l’autre pour sortir du rang, et s’approcha du trio à l’arrêt, la confiance en bouclier :
– Je suis Oto, Maître de la Souterraine. Nous avons été prévenu de votre arrivée, et nous vous attendions.
– Enchanté Maître répondit mielleusement Harold. Je suis Harold Manhoff, prêtre d’Ulif, et voici Sorn de Salig, apprenti-chevalier et Ela…
– Pencarn, continua la brune, sans nomination particulière, mais voyageuse à plein temps.
– Une mercenaire donc ?, s’enquit Oto.
– Plus ou moins. Je n’aime pas vraiment ce terme que je trouve un peu péjoratif. Mais si cela vous convient, alors disons cela.
– Nous avons besoin de traverser Maître Oto,
– Cela faisait quelque temps que vous ne vous étiez pas montré Harold. Nos femmes se plaignent de votre absence.
– Hum, se racla t-il la gorge. Oui, en effet. Vous pourrez présentez mes excuses à ces dames, d’autres priorités me retenaient.
– Je vois que certains prennent du bon temps !, nargua Ela ;
– Comment ça du bon temps ?, demanda Sorn.
– Ça va, ça va ! J’ai déjà eu à négocier mon droit de passage en effet, et c’est même pour cette raison que mon matériel est caché ici, répondit Harold.
– Il n’est pas venu qu’une fois le coquin !, se moqua Ela. On aime les femmes, mais on doit souvent avoir une bourse légère, n’est-ce pas ?
– Comment ça, quelqu’un peu m’expliquer ?, questionna Sorn
– Je t’expliquerai plus tard.
– J’ai encore le droit à une vie privée à ce que je sache !, ronchonna Harold.
– Ha mais tu fais comme bon te semble, ceci ne nous regarde pas, se moqua de nouveau Ela.
– Très bien, très bien, vous vous expliquerez plus tard, stoppa Oto. Harold, tu sais que tu vas devoir renégocier ton droit de passage, n’est-ce pas ?
– Oui je le sais, en venant à plusieurs, mon droit personnel s’annule, concéda Harold.
– Bien. Suivez moi jusqu’à la Table des Négociations. Nous devons définir les enjeux du pari.
– Un pari ?, s’étonna Sorn.
– Voilà qui m’intéresse ! s’exclama Ela.
– Ne pourrait-on pas négocier autrement ?, demanda Harold.
– C’est notre seul moyen de négociation, et vous le savez Harold. Pariez où repartez. Au cas où vous y penseriez, la force n’est pas envisageable par ici.
Alors que les mots finissaient de sortir de la bouche de Oto, les Gardiens de la Souterraine encerclaient les compagnons. Aucune arme visible, mais une menaçante force de dissuasion. Harold n’était pas très heureux de l’accueil, d’autant qu’il fût, jadis, un visiteur régulier. Il grommelait pour lui même contre cette façon de traiter les invités. Les positions de force maintenant établies, tout le monde se dirigea vers la Table des Négociations. Derrière une des portes, une petite salle ronde et au milieu de cette pièce, La Table, la seule et unique, tenait conseil. La Table à proprement parler n’existait pas, elle était symbolisé par un carré gravé profondément à même le sol. Quatre lourds fauteuils en bois se faisait face en croix de Saint-André, disposés aux angles de La Table. Tout le monde prit place, et les Gardiens formèrent un impénétrable cercle, le dos tourné aux négociants. Ela s’activa la première :
– Plutôt chaleureux ici.
– Veuillez pardonner notre rudesse, mais les traditions ne doivent pas se perdent. Ces hommes sont les garants de notre tranquillité, expliqua Oto ;
– Mais pas de notre confidentialité en tout cas !, pinça Ela.
– Voici ce que je vous propose, autour d’une partie de lutte Souterraine, nous jouerons votre droit de passage contre votre engagement en tant que Gardien, et la restitution de vos bourses et autre objet de valeur à la trésorerie de notre ordre.
– Quelle est notre marge de manœuvre, demanda Ela.
– Vous n’en avez pas, répondit Oto.
– Dans ce cas, allons-y pour une partie de lutte Souterraine !, lâcha la jeune femme.
– Bien. J’en suis content. Voici les règles : L’un d’entre vous contre l’un de mes gardiens. La partie se déroule dans une cage. Trois dés seront secoués dans un gobelet à dés par le Juge de Paix. Le gobelet sera renversé sur une plateforme de jeu. Chacun des participants annoncera alors un nombre, et les dés seront révélés. Le plus proche du résultat de l’addition des dés l’emporte et aura le droit de mettre une gifle à son adversaire. Le perdant est celui qui s’effondre ou qui abandonne. Sortir de la cage est considérée comme une abandon. Les règles sont elles claires ?
– Plutôt oui, concéda Ela.
– Qui envoyez-vous dans la cage ?
Harold et Ela se tournèrent comme un seul homme vers Sorn. Sorn argua qu’il n’y avait aucune raison que ce soit à lui de s’y coller, mais Ela et Harold lui répondirent qu’après tout celui qui passait son examen ici c’était lui, et qu’il était de son devoir de chevalier de répondre à l’appel d’une mise à l’épreuve. Sorn resta coi sous l’effet de la surprise. Il ne s’attendait pas à voir ses deux là se lier contre lui.
– Bien, je vais le faire, déclara Sorn.
– Voilà une vraie décision de chevalier ! Je vais prendre des paris sur ton dos. Fais pas l’andouille et l’on pourrait se faire une belle petite somme !, lui souffla Ela.
– Je vais faire de mon mieux, confessa l’apprenti chevalier transpirant.
– Parfait ! Messieurs que l’on prépare la cage.
Le cercle des hommes s’étira jusqu’à rompre. Les Gardiens mirent en place au milieu de la cave principale une cage octogonale, et au centre de celle-ci un pupitre aménagé comme terrain de dés. Une fois dans la cage, Sorn dut se débarrasser de ses vêtements jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus que sa culotte longue et son désarrois. Le gardien désigné pour l’affronter n’était pas le plus costaud d’entre eux, mais il possédait un air vicieux de vieux combattant. Selon les règles en vigueur, les adversaires subissaient une fouille au corps minutieuse pour vérifier qu’aucun objet contondant ou tranchant ne soit dissimulé. Cette opération effectuée, les belligérants étaient invité à rejoindre la plateforme de jeu. Sorn n’avait plus le choix, il devait se battre. Un Gardien faisait office de Juge de Paix. Pour éviter toute contestation, il laissa les combattants examiner les dés au nombre de trois, composés de six faces chacun. Aucun d’entre eux n’eut quoi que ce soit à redire. L’arbitre pris les premier paris. Sorn opta pour un douze, le guerrier pour un neuf. L’arbitre secoua les dés dans un petit verre, et les jeta sur le pupitre. Les dés cognèrent les rebords, roulèrent puis finirent pas s’arrêter. Sept. Le premier jet était perdu. L’arbitre annonça.
– Gardien ! Baffez s’il vous plaît.
– Avec plaisir !
Sorn était tétanisé. Il ne bougeait plus. Autour de lui, le public était surexcité, s’accrochant au mur de grillage de la cache, criant, sifflant, le niveau de décibel lui faisait tourner la tête. Le gardien se craqua la nuque, souffla un grand coup et balança sa main avec force. La paume atteignit la pommette de Sorn dans un grand bruit de claquement qui accentua encore un peu plus la ferveur de la salle. Ela courait de Gardien en Gardien pour prendre les paris, tandis que Harold était la seule voix dissidente dans le paquet de soutien au Gardien. Sorn accusa le coup. Sa pommette le brûlait, sa tête résonnait. Sur son visage il pouvait dessiner une carte des callosités de la main adverse. Il n’eut pas le temps de réfléchir plus que ça à cette nouvelle sensation que le second pari fût demandé. Sorn perdit encore celui-ci en ayant annoncé un huit.
– Baffez s’il vous plaît.
La seconde claque le dispersa un peu plus. Le Gardien avait frappé sur la pomette qui était déjà douloureusement chaleureuse. Le troisième paris fût en faveur de Sorn. Après la demande de baffage de l’arbitre, Sorn ne pris pas le temps de se concentrer avant de frapper. La gifle ne fît que du bruit et ne sembla pas du tout perturber son opposant. Le quatrième paris fût remporté par le gardien, tout comme le cinquième. Sorn commença à voir trouble avant le quatrième coup. Il savait que celui-ci aurait la force de mettre fin au combat. Le Gardien le savait aussi. Il prit alors tout le temps nécessaire pour préparer cette ultime baffe. Il se dégourdit les phalanges, roula des épaules, et la main entra en orbite. Elle décrivit une ellipse sans accroc et entra dans l’atmosphère de la joue sorniène, accélérant et gagnant en température. L’impact fût tel que la région pédestre le ressentit. La température au point d’impact augmenta subitement, détruisant les moindres traces de vie. Le bruit fût immense. La foule hurla d’excitation. Sorn dût se tenir au pupitre pour ne pas s’écrouler sous le coup. Il vacillait sur ses fondements. Il allait s’écrouler, son esprit s’échappait. Soudain un grand bruit imposa le silence. Le brouhaha du combat s’était évanoui et tout les yeux étaient braqués sur la source du bruit qui s’exprima de sa voix de ténor :
– Je suis le capitaine Knir, et ces trois idiots m’appartiennent !
Les trois compagnons d’échappée n’en croyait pas leurs pupilles. Knir, et tout l’équipage, étaient là, non loin d’eux, toisant chaque personne présentes, mousquets prêt à tirer. Sorn se tenait toujours au pupitre. Oto sorti une nouvelle fois de la masse :
– Je suis Oto, Maître de la Souterraine. Je suis celui qui fixe les règles ici et un pari ne doit pas être interrompu, qui que vous soyez.
– Rendez-moi ces trois hurluberlus, et il n’y aura pas de blessé.
– Si vous les désirez tant que cela, parions.
– Je ne parierais pas, je veux être sûr de les estropier de mes propres mains.
– Dans ce cas, je vous prie de quitter les lieux.
– Hors de question !
Le gigantesque poing du marin atteignit la mâchoire du Maître qui s’envola vers d’autres cieux. Ce fût le signal pour le combat. Les pirates tirèrent dans le tas, et rapidement des hommes furent à terre. Après un moment de désorganisation, les Gardiens répondirent, et attaquèrent de tous côtés à l’arme blanche. Les pirates continuaient d’avancer dans la cave, malgré les hommes qui se jetait sur eux. Knir pris un violent coup à l’abdomen. Le Maître était debout, la mâchoire amochée :
– Chez moi, mes règles ! , annonça t-il.
Knir était content enfin un peu de résistance. Le pirate sorti son sabre, Oto ses dagues longues. Les coups pleuvaient, Knir s’esclaffait. D’une esquive, s’ensuivit une entaille dans les côtes de Knir qui n’y prêta la moindre attention. Le capitaine chargea et enchaîna les coups frontaux. Oto paraît de plus en plus difficilement. Il esquiva une nouvelle fois et parvint à planter une dague dans la cuisse de son adversaire qui cessa de rire. Il agrippa sa cuisse et sourit. Autour d’eux la bataille faisait rage. Harold avait trouvé refuge derrière une des portes de la cave. Ela, elle, ne s’était pas cachée, et se défendait avec hargne. Sorn, quant à lui, était toujours à demi-nu dans sa cage, spectateur privilégié d’un spectacle improvisé. Son adversaire le regarda, et n’eût d’autre choix que de répondre à l’appel du combat. Il sortit de la cage, et le Juge de Paix officialisa son abandon. Sorn avait vaincu. Il suait et tremblait encore de sa victoire inespérée face au gardien quand la cage s’ouvrit :
– Comme on se retrouve. Dommage que tu nous ai quitté si rapidement car le pont mérite d’être briqué!, ricana Cannenbois.
– Je ne serais jamais un pirate !
– Non, car tu vas devenir un cadavre !
Cannenbois sortit sa dague d’un geste agressivement doux. Son sourire s’agrandissait à mesure que la lame se dévoilait. Sorn allait de nouveau devoir combattre. Il tenta une fuite, sans succès. Son esprit était encore embué par les coups. Le pirate jouait avec sa dague et avançait doucement vers ce qui serait sa victime dans futur imminent. Il n’avait pas grand-chose contre ce gamin, ci ce n’est qu’il leur avait faussé compagnie. Il accula Sorn dans un coin de l’octogone. Cet affront devait être lavé :
– Plus d’échappatoire. On va bien rigoler !
Sorn ne su quoi répondre. Rien ,n’était clair dans sa tête. Il se sentait coincé et avait l’affreuse impression que la mort commençait à lui faire des appels du pied. Cannenbois lui attrapa le cou. Ses doigts se fichèrent dans la gorge de Sorn qui respirait avec difficulté :
– Au revoir, dit-il.
La dague traversa son corps et une petite pointe ressortie de l’autre côté. Le regard de Cannenbois était incrédule. La pince desserra son étau, et l’air envahit les poumons de Sorn. Les doigts qui serraient la gorge du chevalier de bac à sable, tâtèrent à présent le point de sortie de la pointe d’acier. Tout ceci n’était pas une farce et la vie fuyait doucement le pirate. La masse corporelle de ce dernier toucha terre. Ela apparut :
– Tu sais, je ne ne pourrais décemment pas te materner tout le temps !
Sorn n’en revenait pas. Il avait échappé à la mort grâce une femme. Voilà qui allait contre toutes les règles qu’il lui avaient été inculquées :
– Ne me remerice pas surtout !, ronchonna la guerrière. Prends son épée, et allons-y.
Sous le coup de l’émotion, il ramassa l’arme du pirate, mais tout était comme dans un rêve. Au loin, il aperçut le capitaine Knir recevoir un nouveau coup de dague dans l’épaule. Ce coup sonna la fin de la bataille de la Souterraine. Le capitaine hurla la retraite, éclatant es tympans des personnes les plus proches de lui. Sorn avançait, témoin de sa propre mouvance. Chaque camp ramassait ses membres. Les Gardiens ne pourchassèrent pas les pirates. Le capitaine Knir eût besoin du soutien de deux compagnons pour quitter la scène. Il jura de retrouver les déserteurs et de leur faire payer cette cuisante défaite. Le danger passé, les morts furent mis en tas sur une chariote, attendant une incinération collective. Oto revint à ses affaires et interrogea Sorn :
– Ton combat est-il terminé ?
– J’ai eu raison de mon adversaire, répondit laconiquement Sorn encore dans un autre monde.
– Le pari est donc remporté. Nous vous ouvrirons la voie jusqu’à la sortie. Il commence à se faire tard, vous passerez la nuit en notre compagnie, et nous quitterons les lieux demain matin à la première heure. Si vous voulez bien m’excuser, nous avons encore pas mal de ménage à faire.
Harold hocha de la tête, tandis que les yeux de Sorn nageait dans un autre espace-temps. Ela lui assena une bonne gifle derrière la tête, lui ordonnant de se réveiller. Sorn retourna s’habiller, Ela chassa les gains de son pari et Harold profita de son temps libre pour aller s’excuser auprès des dames qui se plaignaient de son absence. Après un repas sans joie, tout le monde gagna ses quartiers. Un bon repos était nécessaire avant que la route ne reprenne ses droits.