L’heure était grave. Regard ciselé azur pointé dans nos yeux, le Président s’exprimait ce soir à la télévision. Costume bleu pétrole impeccable, chemise blanche d’écolier repassée, air navré de circonstance, il nous expliquait que la nation entière était en guerre. Une guerre vicieuse, larvée, qu’il fallait à tout prix gagner.
En effet, selon ses propos cérémonieux, depuis peu, une bestiole discrète tentait sournoisement d’éradiquer notre peuple en passant par les trous de nez… Ouf ! L’ennemi sévissait donc de l’intérieur. Après moult explications sur le pourquoi et le comment de la chose, il décrivit alors les symptômes prompts à nous alarmer en cas d’attaque de notre intégrité : fièvres, maux de tête et surtout diarrhées. Puis il nous promit solennellement que nous serions informés en temps réel et au jour le jour de l’avancement de la science et du combat mené.
L’effet ne se fit pas attendre. Dès le lendemain matin à la première heure les supermarchés furent pris d’assaut par des hordes de citoyens apeurés remplissant leurs caddies du précieux sésame : le papier WC.
Tout était bon à prendre, papier gratte fesse premier prix, rose, blanc, écru, molletonné double épaisseur, à l’odeur de rose ou à cœurs imprimés. Une peur panique de chier dans son pantalon.
Une semaine plus tard, musique pompière et costume pétrole toujours de rigueur, le Président nous informait d’un très grand progrès. D’après un collège de savants patentés, il semblait que les populations de fumeurs invétérés soient épargnées des foudres de la fâcheuse bébête. Expliquant alors les bienfaits de la nicotine, il conseilla à l’ensemble de la populace : hommes, femmes, vieillards, enfants, de se mettre au tabac. Un paquet par jour et par personne devrait permettre de gagner haut la main la bataille. Certes les inconvénients liés à cette méthode finiraient bien par apparaître dans quelques années mais pour l’instant, le jeu en valait la chandelle. Ça remplissait les caisses de l’État, et puis… Les inconvénients dans quelques années tout le monde s’en foutait.
L’effet ne se fit pas attendre. Dès le lendemain matin à la première heure, les buralistes furent pris d’assaut par des hordes de citoyens emballés accourant chercher l’antidote miracle : le paquet de clopes.
Une cohue sans nom, les brunes, les blondes, tabac à fumer ou à chiquer, cigarillos et autres Négritos. Même les e-cigarettes furent dévalisées.
Quelque temps après, musique légère d’effet et costume pied-de-poule négligé (il s’était entre-temps changé) le président nous apprenais, le regard fuyant et l’air blasé que d’après une équipe de chercheurs accrédités, les alcooliques et autres pochtrons de service ne présentaient eux aussi aucun symptôme révélateur d’une possible attaque de la bestiole concernée. En quelque sorte, l’absorption massive d’alcool fort permettrait d’enivrer la bête qui ensuite se noierait avant d’avoir eu le temps d’accomplir sa funeste besogne. Conseil fut donc donné à l’ensemble de la population de ne surtout plus boire avec modération. Tout le monde devait s’y mettre, il en allait du devenir de la nation et de notre sécurité.
L’effet ne se fit pas attendre. Dès le lendemain matin à la première heure les cavistes furent pris d’assaut par des hordes de citoyens rassurés remplissant leur cabas des précieux breuvages : Tout ce qui de loin ou de près titrait au mois 10°.
Le retour de la prohibition. Une fois les stocks épuisés, les alambics clandestins reprirent du service, les prix flambaient. Il fallut se rabattre sur les parfumeries qui finirent par se barricader.
Les mois passaient, les cellules de crise se succédaient, le Président était fatigué. Tout ou presque avait été tenté et la sale bête narguait toujours les autorités.
Le peuple était sur les nerfs, incontrôlable. Les gens arpentaient les rues, désœuvrés, souls mais protégés, à la recherche de tabac devenue denrée trop rare. Le papier toilette qui restait servait maintenant à rouler des cigarettes remplies d’herbes séchées arrachées sur les trottoirs et vendues à prix d’or au marché noir. Le pays s’enfonçait irrémédiablement vers une guerre civile. Le monstre discret allait avoir raison de nos civilisations.
Le Président en pyjama, mal rasé, le regard flou et dans le vague réunit pour la énième fois son cabinet de scientifiques chevronnés dans l’espoir d’une dernière découverte salvatrice.
Miracle ! D’après des études très sérieuses menées par les sommités médicales du monde entier et après une multitude de tests, d’équations et de vérifications croisées, tous convenaient de la singularité d’un fait : Depuis le début, seule la communauté GAY était épargnée. Pas la moindre trace de la féroce bête dans l’intestin de l’échantillon de population concernée.
Le Président demanda dans ce cas quelle solution pourrait être appliquée à l’ensemble du pays. Les scientifiques d’un commun accord et à l’unanimité répondirent alors en chœur : Et bien, qu’ils aillent tous se faire enculer !
Le Président, regard grave et attitude raide de celui qui a en main les clefs de la décision, remit son pyjama en ordre et prit acte de la solution médicale préconisée. Le Lendemain, face à l’écran de télévision, il préféra ne rien dévoiler de cette dernière nouveauté.
Un vrai bonheur de lecture. Merci pour ce moment.
Très chouette !