Chapitre III – Monséjour

5 mins

Premier jet  

    Il jeta un coup d’œil dans son rétroviseur, aussi loin que son regard pouvait porter il constata qu’il était bien le seul à emprunter cette route forestière. Il ne put réprimer l’esquisse d’un sourire en pensant qu’il n’était pas si simple de changer la force de l’habitude d’une conduite citadine. La route sur laquelle il conduisait n’était ni plus ni moins abîmée que celle qui l’avait emmenée jusqu’à l’auberge, et cette dernière semblait elle aussi ne plus avoir été empruntée depuis bien longtemps, les herbes folles des talus qui regagnaient du terrain sur un bitume hors d’âge en étaient la preuve. La densité du sous-bois qui bordait la route était elle aussi en friche et croissait librement, d’ici à quelques années il aura lui aussi rogné sur la route, ainsi devait-il en être. Cette route, d’après ce qu’il croyait savoir, avait été financée en grande partie par les propriétaires du château et n’avait jamais eu qu’une utilité restreinte, puisqu’elle ne desservait que la propriété, il semblerait que son ami n’ait jamais ressenti le besoin de l’entretenir, ou peut-être n’en avait-il plus les moyens. Les deux étaient possibles, son ami n’avait jamais été quelqu’un de dépensier et aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir ce dernier n’avait jamais succombé à de futiles dépenses. Parfois il s’était laissé succomber à l’achat d’un vieux livre, mais c’était la seule passion qu’il lui connaissait.

    Bientôt un vestige de mur apparut sur le bas-côté, il avait gardé le souvenir de ce mur d’enceinte cyclopéen, quelques dizaines d’années auparavant ce dernier lui avait alors semblé indestructible. Le filtre de ses yeux d’enfants avait probablement déformé la réalité, tant il lui paraissait peu probable que la nature puisse être aussi destructrice. Les pierres à nues retrouvaient peu à peu des pans de crépi jauni. Il avait l’impression de remonter le temps qui devait, imagine-t-il, l’emmener vers un passé grandiose, vers sa jeunesse. Après une dizaine de minutes, il arriva devant un portail métallique envahi par des plantes grimpantes qui avait décidé de coloniser l’arche monumentale, les deux lanternes placées sur les deux piliers avaient leur verre brisé. Il se gara devant si l’on jugeait l’état lamentable de cette entrée personne ne devrait lui en tenir rigueur, il se demanda même depuis combien de temps il n’avait plus été ouvert. La lumière du soleil bien que très vivace semblait tamisée par le dru feuillage des arbres plus que centenaires, gardiens immobiles du passage obstrué. Il descendit de la voiture tout en saisissant le trousseau de clefs dans sa boite à gant. Pitoyable, son ami n’avait jamais eu de voiture, il n’en avait pas l’utilité, il se demanda même s’il avait déjà eut son permit de conduire. Il l’imagina avec nostalgie prisonnier de la propriété, reclus comme un ermite acariâtre.

    Planté à quelques mètres, son regard embrassait l’ouvrage dans sa globalité et il ne put que constater l’évidence, le temps avait fait son œuvre et maintenant que le domaine avait été déserté il semblait s’être accéléré. La nature avait horreur du vide et tel un navire en perdition à l’approche d’un trou noir les murs maçonnés perdaient des plaques de crépis et des morceaux de pierre taillée, infiltrés par les pluies et les lichens fous. Il porta un regard inquisiteur sur la serrure qu’il entraperçut dans l’enchevêtrement des ronces. Cette dernière aussi solide qu’elle avait-elle pu être, avait cédé face à la puissance végétale qui ne lui avait pas laissé la moindre chance. Il rangea son trousseau de clefs dans la poche et poussa la lourde grille qui s’ouvrit dans un grincement strident qui déchira la tranquillité Sylvaine. Un silence pesant s’installa avant d’être progressivement rompu par le retour progressif du chant des oiseaux, en face de lui un chemin de gravillon blanc rectiligne s’enfonçait dans la forêt avant de disparaitre au loin, serpentant derrière des buissons de houx. De part en part des haies de Buxera semblaient monter la garde eux aussi, interdisant à quiconque de vouloir jouer les explorateurs en s’aventurant hors des sentiers battus. Les souvenirs de sa jeunesse passée dans le parc lui revinrent à l’esprit, les parties interminables de cache-cache dans ce parc immense, les courses effrénées de la grille du parc jusqu’à la propriété lorsque la cloche du gouter sonnait, et lorsque la nuit tombait et qu’il avait le bonheur d’être invité à passer la nuit dans la propriété l’écoute des sons nocturnes couchés dans le lit en attendant patiemment que le sommeil daignât à venir se présenter.

    Malgré tous ses efforts qu’il déployait, il ne pouvait empêcher le crissement des gravillons que ses pas provoquaient, un son païen dont il avait toujours détesté la rythmique. Pas après pas il se rapprochait de la demeure et il lui tardait de voir dans quel état il allait la retrouver, malgré son impatience il semblait ralentir le pas, comme s’il redoutait cet instant. Il allait enfin savoir ce qui avait pu forger l’âme de son meilleur ami, l’univers qui avait contribué à faire de lui ce qu’il était, enfin ce qu’il avait été, car il ne faisait maintenant plus partie de notre réalité. Il avait été quelqu’un de bon, d’une humeur égale et prenant soin de se tenir en dehors de tout conflit. Le calme paisible de la propriété avait certainement contribué à son état d’esprit, et cela expliquait que son ami avait toujours fait tache dans l’univers de la vie parisienne, surdimensionnée pour quelqu’un d’aussi simple. Mais cela expliquait aussi pourquoi il avait tant changé ces derniers au fil des années, comme si sa bonne humeur partait en décrépitude en symbiose parfaite avec la propriété.

    Encore quelques pas et au détour de la dernière courbe elle était là, la demeure lui faisait face, immense et sinistre. Une statue de diane chasseresse trônait au milieu d’une pelouse laissée à l’abandon. Un escalier titanesque de pierre montait vers la porte d’entrée en chêne massif. Il s’était attendu à trouver la demeure dans un état pitoyable et dans un état de délabrement avancé, mais ce n’était pas le cas, elle semblait étrangement bien conservée. Il gravit quatre à quatre les marches du perron et inspecta la porte de plus près. S’il ne devait subsister qu’une seule partie de cette maison dans les années à venir, cela serait sans nul doute cette porte. La serrure semblait avoir quelques points de rouille. Il fouilla dans sa poche à la recherche du trousseau de clefs qu’il avait précédemment rangé. Aucune de ces clefs ne portait de marque spécifique et il songea qu’il allait lui falloir de la patience ou de la chance pour ne pas passer le reste de l’après-midi a trouvé celle qui allait lui permettre d’entrer.

    Au bout du troisième essai la clef qu’il venait de faire tourner dans la serrure enclencha un mécanisme et il entendit un clac significatif d’un pêne de métal qui lâchait son emprise. Encore un tour et la porte massive s’ouvrirent sur un vestibule monumental. Il s’attendait à n’y trouver que poussières et autres détritus, mais le hall semblait propre, rien ne venait troubler l’aspect visuel de la mosaïque de l’entrée, des carrés noir et blanc disposés en quinconce menant droit devant lui a un escalier massif magnifique, sur sa gauche et sur sa droite deux portes ouvertes laissaient entrevoir une cuisine et un séjour. Mais son regard ne pouvait pour l’instant se détacher des sculptures qui ornaient de part et d’autre les rampes d’escalier. Le bois exhalait encore l’encaustique et embaumait le hall d’entrée de ces odeurs que seules les bibliothèques pouvaient produite, un mélange d’odeur de papier et de cire d’abeille venait saturer l’atmosphère et l’emporta vers un lointain passé. Il s’installa dans le fauteuil de l’entrée et ferma les yeux un instant pour graver dans sa mémoire cet instant nostalgique. Lorsqu’il reprit ses esprits, il ne put dire combien de temps avait pu s’écouler et un rapide coup d’œil par la fenêtre lui fit réaliser que la nuit n’allait pas tarder à tomber. Il était temps de partir.

    

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