La fille au renard

6 mins

Gaïa avait toujours aimé se balader dans la forêt avoisinant son quartier. Entendre les oiseaux chanter, sentir l’odeur de la nature, faisaient partie de ses passe-temps favoris?

Le plus souvent, elle se contentait de traverser les bois, ne pouvant pas s’y attarder à cause des chasseurs, ou parce que sa mère la voulait à la maison le plus vite possible. Mais parfois la jeune fille à la chevelure rousse indomptable se plaisait à se poser à un endroit éloigné du sentier par espoir de pouvoir observer la faune dans son élément.

Ainsi, elle avait eu plus d’une fois l’occasion de voir cerfs, renards, sangliers, vivre leur vie en parfaite harmonie. Et il n’y avait rien qui la rendait plus heureuse que ce simple fait.

Un jour, alors qu’elle traversait la forêt en espérant ne pas avoir à deviner le bruit sinistre des coups de fusil, un glapissement particulièrement sonore se fit entendre. Le cri la paralysa. Les yeux écarquillés, le souffle court, elle eut la gorge nouée en percevant la détresse du pauvre animal qu’elle ne pouvait voir d’où elle se trouvait. Se ressaisissant, elle changea de direction et courut en direction du bruit, au fond des bois.

Ce fut à ce moment qu’elle le vit. Glapissant toujours de douleur, la patte coincée dans une sorte de piège à loup, un renard roux se contorsionnait du mieux qu’il pouvait pour s’extirper de cette mauvaise situation. Le sang coulant de sa plaie, ses gémissements désespérés… Se gravèrent sur-le-champ, et irrémédiablement, dans la mémoire de Gaïa dès la seconde où elle avait débarqué dans la petite clairière où il était situé. Les larmes montèrent, et malgré l’animal qui grogna à son approche, elle s’agenouilla sans hésiter pour libérer la patte blessée. Lors-qu’après de multiples efforts le piège s’entrouvrit enfin, le renard ne tarda pas une seule seconde à déguerpir, malgré un boitillement prononcé. La jeune fille ne put que le suivre du regard, la mine inquiète.

“Maudits chasseurs… Maudits braconniers…” Pensa-t-elle avec amertume.

En rentrant chez elle, elle se précipita à la salle de bain pour nettoyer le sang de la pauvre bête qui était encore sur ses mains. Repensant à la scène, elle réprima plusieurs haut-le-cœur. L’odeur de la nature, devenue métallique, le vert vif des feuilles voisines teintées de rouge carmin.

“L’être humain me dégoûte…” Murmura-t-elle à elle-même devant son miroir.

Après un long soupir, elle se résolut enfin à aller se coucher, priant pour que son sommeil ne soit pas hanté par les cris de détresse du renard.

Le lendemain matin, sur le chemin du lycée, Gaïa était perdue dans ses pensées, et semblait avoir totalement oublié la présence de son ami d’enfance, Tom. Ce dernier n’avait pas l’air dérangé par la situation, continuant de parler, de parler, allant de sa “sublimissime” petite amie au professeur de mathématiques qu’il souhaitait voir tomber dans les escaliers. De temps à autres, Gaïa hochait la tête, ou rigolait légèrement, mais elle n’était pas aussi… présente que chaque matin. Son esprit lui rejouait inlassablement l’image du renard piégé, blessé à la patte.

Voyant enfin le portail du lycée au loin, elle soupira. Elle n’avait décidément pas la tête aux cours ce jour-là, et aurait préféré retourner dans la forêt veiller sur les créatures de cette-dernière. Tom se tut, comprenant que ses bavardages ne faisaient rien pour améliorer l’humeur de son amie. Il la regarda d’un air inquiet, mais ne dit le moindre mot.

Gaïa commença à traverser la route, toujours perdue dans ses pensées. Elle entendit à peine les sirènes et les cris de Tom et des personnes les entourant. Tout ce qu’elle perçut alors dut la douleur, puis le néant…

Ce fut la douleur qui la réveilla. Une douleur fulgurante au niveau du poignet, comme si des pointes la perçaient de part en part. Clignant des yeux, elle redressa la tête. Quelque chose la perturbait. La forêt l’entourait, visiblement elle était allongée sur un lit d’herbe verte… et rouge ?La douleur se fit ressentir de manière bien plus vive maintenant qu’elle était pleinement réveillée, et elle laissa échapper un cri, ressemblant fortement à un glapissement.

Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle commença à réellement paniquer. Son dernier souvenir… son dernier souvenir… C’était un accident de voiture, n’est-ce pas ? Etait-elle… morte ? En regardant mieux autour d’elle, elle réalisa alors qu’elle n’était pas dans son corps originel. Désormais, tout son corps était couvert d’une fourrure rousse et blanche, parsemée de rouge. De rouge… En voyant son poignet… non, sa patte, piégée dans un piège à loup, elle laissa de nouveau échapper un long râle, horrifiée.

Alors que la douleur se faisait si intense qu’elle en avait du mal à réfléchir, un bruissement parvint miraculeusement à ses oreilles, et elle tourna la tête à temps pour voir… pour se voir elle même, dans son corps d’humaine. Sa précédente forme la regarda avec un mélange d’effroi et de pitié. Machinalement, Gaïa grogna. Que se passait-il ? Que se passait-il ?!

Lorsque l’humaine finit par écarter assez le piège pour que la renarde puisse sortir sa patte, cette dernière ne perdit pas la moindre seconde pour partir en courant de la petite clairière. Elle refusait de croire ce qu’elle venait de voir. Qui était-elle vraiment ? Humaine, ou renarde ? Elle ne comprenait pas. Comment un accident de la route avait-il pu la transformer en animal ? L’accident… Elle s’arrêta net dans sa course. Ce qu’elle venait de vivre du point de vue d’une renarde… était exactement ce qu’elle avait vécu en tant qu’humaine. La veille de l’accident.

Une idée lui passa par la tête. Est-ce que l’accident aurait lieu ? Que se passerait-il… si elle empêchait sa forme humaine de traverser au moment où le chauffard allait très probablement la tuer ?

Mais… est-ce qu’elle pourrait seulement arriver à temps ? Sans encombre ? Elle ne se souvenait pas avoir vu le moindre renard. En même temps, elle était complètement ailleurs durant tout le trajet jusqu’au lycée…

Il n’y avait qu’un moyen de vérifier cela…

Essayant d’ignorer sa blessure, et espérant qu’elle ne s’infecterait pas, la renarde finit par s’endormir, l’esprit plus que jamais troublé.

Le lendemain, elle fut rassurée de s’être réveillée aux aurores. Elle ne tarda pas, et sortit de la forêt, essayant du mieux qu’elle pouvait de se faire discrète et d’éviter les voitures. Enfin, elle arriva au niveau où sa forme humaine devrait se faire renverser, puis attendit. Attendit. Et attendit encore. Parfois des humains passaient, certains la voyaient et eurent des mines surprises, jusqu’à ce qu’elle ne grogne en leur direction pour les faire partir.

Enfin, elle aperçut Tom avec elle-même au loin? Elle se vit… hantée, comme si elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Leur rencontre l’avait définitivement choquée.

Lorsqu’ils furent assez proches, et au moment où sa forme humaine, toujours “absente”, allait traverser, Gaïa boitilla du mieux qu’elle put en glapissant. Tom se retourna, écarquilla les yeux, puis tira la manche de son amie avec empressement et frénésie.

“Gaïa ! Gaïa ! Regarde ça ! On est loin de la forêt pourtant !”

Au moment où la jeune fille se retourna vers elle, des sirènes venant de voitures de police se firent entendre, et une voiture passa à pleine vitesse juste en face d’eux, très probablement en pleine course poursuite avec la police, qui déboula juste après.

La renarde Gaïa put percevoir des “Mais il est malade lui ?” “Chauffard !” venant des piétons, mais aucun choc, ni aucun cri d’horreur. Personne ne s’était fait renverser cette fois-ci. Elle n’avait pas été renversée. Si elle avait été humaine à cet instant, elle aurait poussé un immense soupir de soulagement.

Un toucher au niveau de sa patte la fit sursauter. Détournant le regard, elle se vit, du coton, du désinfectant, et un bandage dans les mains. Tom posa une main sur l’épaule de l’humaine, qui le regarda un instant en souriant.

“Je me suis dit qu’il était toujours utile d’avoir un kit de secours sur soi, on ne sait jamais dans quelle situation on peut être embarqué !”

La renarde aurait voulu sourire.

L’humaine se retourna vers elle.

“Ne t’en fais pas petit, il va falloir soigner cette plaie pour ne pas qu’elle s’infecte, mais ça ira mieux après, c’est promis !”

Le ton était doux, car elle ne se doutait pas que l’animal pouvait comprendre chacun des mots qui étaient sortis de sa bouche. Si elle savait !

Après un petit quart d’heure durant lequel Gaïa l’humaine vérifia que la plaie était assez “propre” pour la panser, et Tom s’attela à distraire l’animal pour ne pas qu’il les morde, Gaïa la renarde fut enfin libre de retourner dans la forêt, sous le regard soucieux des humains.

“Et maintenant… que va-t-il se passer ?”Pensa-t-elle. Devrait-elle s’attendre à devoir vivre une vie de renarde jusqu’au restant de ses jours ?

Elle n’eut heureusement pas à patienter bien longtemps pour connaître la réponse à sa question.

Le lendemain matin, lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle fut soulagée de voir qu’elle était de nouveau chez elle, indemne.

S’étirant longuement, elle sourit. Quelque part, elle savait que le renard irait bien, et elle était désormais… vivante. Tout était bien qui finissait bien !

Cependant, depuis ce jour, il y avait toujours ce doute qui s’était installé en elle. Est-ce que toute cette histoire avait été réelle ? N’était-ce qu’un rêve ?

Même si elle savait, et espérait, au fond d’elle que cela n’avait pas été qu’une illusion, elle n’avait aucune preuve, ne serait-ce que pour se le prouver à elle-même.

Malgré cela, ce moment resta ancré dans sa mémoire, et elle comprit, à partir de ce jour, que son animal totem, l’animal protecteur d’elle et de sa famille, était le renard.

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2 Commentaires
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Mc Hado Curly
4 années il y a

Superbe histoire! Une petite larme pour l’animal piégé.

Galindo Gaëlle
4 années il y a

Très belle histoire.

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