Un arbre au bord de l’eau.

7 mins

Et notre dernier lot, cette jolie toile peinte au couteau représentant un arbre sur le bord d’un point d’eau. Les initiales de l’artiste L.C.F., l’année est inconnue, le titre est inconnu mais sans doute dix neuvième, début du vingtième siècle, mise à prix cent Euros.

L’histoire commence comme ça, Marco m’avait invité à diner, on ne se voyait pas souvent, mais un copain des bancs de l’école ça ne se perd pas de vue, sa famille arrivait d’Italie fuyant des périodes troubles et violentes dans les années soixante. J’avais pris sa défense j’étais grand pour mon âge et assez bagarreur, assagi maintenant l’âge calme un petit peu, il avait un peu de mal avec notre langue, on est resté amis, bien que nos chemin aient divergé, lui dans l’immobilier et moi dans la vente de produits spécifiques pour les artistes en herbe, différence de moyens, mais on se téléphonait quelquefois, on restait en contact.

Il résidait au sommet d’un immeuble de bureau, c’était sa société, quand je vois ce qu’il est devenu, un immense appartement avec vue sur la ville, il avait même planté un endroit de jardin, moi et ma maison de banlieue, ça fait chiche, mais je n’étais pas jaloux un petit peu envieux, mais un pote et ami, on est content pour lui.

Tous les deux célibataires, on surpassait la cinquantaine, lui continuait à courir, moi elle m’avait quitté, au final comme deux cons, une seule assiette sale, on se marrait comme des fous à se raconter nos vies, enfin surtout la sienne, parce qu’il n’a rien perdu de son petit accent d’origine qui rythme les gestes de ses bras et ses mains, un Italien pur souche, le charme agit encore.

— J’ai acheté ce tableau dans une vente au enchères, tu en penses quoi ?

— Tu sais moi la peinture, ça me sert à manger, je n’y connais pas grand chose, je vends juste les produits, mais c’est joli. Et combien cette toile ?

— Neuf cent cinquante Euros, je suis entré par hasard dans une salle des ventes avec une copine que je voulais impressionner, alors je l’ai acheté. Tu regarderas derrière sur le cadre, je l’ai un peu gratté, on dirait que c’est écrit “Le repos de l’âme”, mais il n’y pas de date.

C’est que je n’y connais pas grand chose, juste un peu en surface, j’en suis réduit à vendre du papier, des crayons et toutes sortes de feutre, pour que la boutique survive, des gouaches bien entendu, mais des boites comme Cultura, Castorama et la vente internet, me faisaient beaucoup de mal.

— La peinture au couteau, ça c’est facile à voir, l’impression d’épaisseur et les couches successives, de l’huile et du médium, l’acrylique c’est un peu trop récent mais ça ressemble un peu, aucunes marques de pinceaux, c’est un professionnel, je vois les traces de différentes lames, les détails sont fins, aucuns gels par dessus, cette technique est récente pour garder les couleurs, je dirais dix neuvième. Le cadre légèrement traité, sans plus pour ne pas transpirer, le bois a bien vieilli, les clous, je ne sais pas, là je n’y connais rien, tu as gratté des mots, je ne sais pas trop, mais il est assez rare que l’on écrive le nom derrière comme ça, surtout sur un support que l’on peut remplacer. La chose qui m’étonne, c’est la signature, elle est conforme, ce n’est pas ça, mais en général on l’éloigne du bord, si jamais on doit encadrer l’œuvre, en plus elle est à gauche, c’est assez anormal.

— Ben mince, et tu me dis ne rien connaitre, largement plus que moi.

— Ce que je te dis, c’est du basique, tu devrais la montrer à un professionnel, un vrai, pas un touriste comme moi.

— Tu sais franchement, je ne vais pas me prendre la tête, surtout au prix ou je l’ai acheté, bon d’accord, j’ai impressionné ma bourse, essaies juste de te renseigner si tu as un peu de temps.

J’ai pris le tableau en photo, en gros plan la signature, et le repas s’est terminé dans de légères vapeurs, mon pote n’a pas changé, on est toujours amis, on s’est marré jusque la prochaine fois, on garde des réserves.

J’ai repris l’habituel du petit commerçant, les fournisseurs en retard, les échéances et les clients, tant que la boutique est ouverte c’est que je suis encore là, j’avais presque oublié le tableau de mon pote, je ne savais pas trop à qui m’adresser, j’ai quelques contacts pour du matériel en Chine, normal c’est pas cher, aux Pays Bas et l’Allemagne, mais ce ne sont que des fabricants de matériels, je ne sais pas trop comment faire.

Je fouille dans mon téléphone pour essayer de visualiser ce que j’ai pris l’autre jour, et merde, un grand blanc à la place de la toile, le flash m’a tout foutu en l’air, par contre la signature, légèrement transparente, mais j’arrive à la lire, je vais avoir du mal si j’ai rien à montrer, le titre je l’ai en tête, ” Le repos de l’âme”, je pense que c’était ça, je vais appeler aux Pays Bas, je crois qu’ils s’y connaissent un peu, mais surtout il parlent un peu français.

J’ai eu quelques nouvelles de Marco, un petit mot tous les mois, parfois plus parfois moins, il n’allait pas très bien, un gros coup de fatigue d’après lui, il bosse trop, il a besoin de vacances, il m’appelle la semaine prochaine il sera en Italie.

Mon boulot continue, et son lot de clients, certains déconcertants, comme ce couple qui cherchait du papier d’imprimante, et des encres spéciales, comme je vends du papier, ça devrait être pareil, j’ai failli m’énerver,  mais après réflexion, vendre du matériel, ce n’est pas tout à fait mon domaine, mais j’avais vu des démonstrations d’imprimantes en 3D, une idée à creuser pourquoi pas.

Quel petit salopard, j’ai eu des nouvelles de Marco, mais sur mon répondeur, il m’avait envoyé le bruits des vagues sur la plage et des oiseaux marins, il se foutait de ma gueule, d’après ce qu’il me disait, il allait beaucoup mieux, il a bien fait de partir pour se reposer, dès qu’il sera rentré il m’a ramassé des coquillages, son message se terminait par un énorme fou rire, il semblait reposé, j’étais content pour lui.

J’ai profité de quelques semaines de calme pour mieux me renseigner sur les imprimantes 3D, pas simple, pas simple du tout, entre le matériel, les logiciels dédiés, les produits d’impression, je vais laisser tomber, un peu hors de la bourse de l’utilisateur moyen, et pas mal de choses hors de ma compréhension, je reste dans mon papier, d’ailleurs pour étoffer, j’ai commandé du papier d’impression, entre tous les vélins, et les gouaches, y’a plus qu’à demander.

Mon pote était rentré, comme promis il m’a ré-invité et on s’est fait une bouffe, il était tout bronzé et on s’est bien marré quand il m’a donné les coquillages, j’en ai profité pour reprendre une photo du tableau, mais sans flash cette fois-ci, et plusieurs fois de suite pour ne pas rester nul.

Mon boulot continue, sans plus sans moins, ce sont plus les gens du quartier qui me font vivre, et quelques spécificités qu’on ne trouve pas ailleurs dans les grandes surfaces, des couleurs chinoises assez spéciales ainsi que des papyrus, j’étais assez calé dans la fabrication de ce type de support, au moins sur le papier si je puis dire, mais j’en cultive chez moi, le processus est long et minutieux, mais j’avais essayé, je pouvais en parler.

Des nouvelles de mon pote, il faisait une rechute, il ne croit plus que ce soit le boulot, il fait des examens, il me tient au courant, je n’ai pas osé lui dire, mais j’étais inquiet.

J’ai reçu cette semaine une réponse des Pays Bas, un de mes fournisseurs, j’ai décrit le tableau, et envoyé la signature, je n’ai pas tout compris.

— Nous avons contacté plusieurs personnes avec le peu que vous nous avez fourni, un seul nous a répondu, comme il ne parle pas votre langue, il va nous résumer au mieux, mais il a parlé de Latin, de Porteur de Lumière, sans doute l’artiste qui à peint la toile, nous vous tiendrons au courant.

J’avais presque oublié les photos, j’ai regardé mon téléphone, tout avait disparu, comme la dernière fois, et pourtant je n’avais pas mis le flash, je ne comprenais pas, une peinture réfractaire, je connais le principe, mais je n’en ai jamais vu, utilisée pour les plaques de voiture, l’idée me faisait sourire, j’ai toujours cru que c’était un mythe, un hoax qui tourne sur internet pour les mauvais conducteurs, mais sur un tableau que je pense du dix neuvième, y’a un truc quelque part, ça ne peut pas exister.

Marco est revenu chez lui, quarante huit heures d’examens, ils ne lui ont rien trouvé, je lui ai dit que j’étais rassuré, on devrait se revoir bientôt, le temps qu’il reprenne des forces.

J’ai repris mon train-train, que de l’habituel, j’avais trouvé un nouveau fournisseur pour ma colle à papyrus, au début, je n’y connaissais rien, tout me venait d’Égypte, et puis au final, je me suis aperçu qu’on pouvait avoir le même résultat avec la feuille de maïs, ça c’est plus mon pays j’étais en pleine expérimentations, surtout que des voisins se plaignaient de plants de papyrus qui poussaient dans leurs jardins, difficile de nier, j’étais le seul à en cultiver dans le coin.

Quelques semaines plus tard, un appel des Pays Bas, j’ai commencé à comprendre, mais je ne croyais pas, je suis un cartésien, un peu catho sur les bords, mais ça c’est comme tout le monde, l’Europe est un pays chrétien, la Bible est fantastique, un peu comme l’Odyssée, on croit ce que l’on veut, tant que ça fait rêver, mais là c’est un cauchemar, ça ne peux pas exister.

— J’ai été obligé de noter, me dit-il, pour ne pas faire d’impair en traduisant dans votre langue, voilà, je vous le livre brut:

L.C.F. est la contraction d’un mot latin qui signifie Lux Ferre, traduire par le “Porteur de lumière”, Lucifer, chez nous c’est le même mot, je ne commente pas. D’après cette personne, qui a fait des recherches, vers le dix neuvième siècle certains tableaux ont étés disséminés en Europe, on ne connait pas l’artiste, juste la signature et toujours en bas sur la gauche pour qu’on ne le voit pas quand la toile est encadrée. Il paraitrait qu’à la fin dix huitième début dix neuvième siècle, les Rose Croix, un ordre de pensée puissant à l’époque, militaient pour un retour aux croyances chrétiennes, aux valeurs humaines, certains pensent qu’un ordre inverse s’est créé pour contrer, et a disséminé des tableaux d’apparence anodine, mais tous un point commun, ils montrent une rivière ou un cours d’eau quelconque, sur le bord un grand arbre, qui plonge ses racines. Il n’y avait que les nobles, et ceux qui avaient les moyens qui pouvaient se payer un tableau de ce genre, donc beaucoup de personnes adeptes de l’Ordre Rosicrucien. Ne m’en veuillez pas, je ne fais que traduire, et une autre petite chose, j’ai eu du mal à transposer, le mot n’est pas ” Repos de l’âme “, mais ” Repas de l’âme”. Il est dit, d’après mon contact, que l’arbre représenté serait un absorbeur de vie, qui plonge ses racines vers le centre de la terre, l’eau ne serait qu’un appât un déroulement de vie, dessous il y a quelque chose, c’est tout ce qu’il m’a dit, il me semble qu’il m’a parlé d’un artiste qui aurait peint ces toiles, mais il m’a surtout dit qu’il fallait tout bruler, qu’ils s’en retourne chez lui, là c’est sa  phrase exacte.

Voilà, vous avez tout, mais s’il vous plait, nous sommes principalement Luthériens au Pays Bas, ne me reparlez plus de ça, j’en ai touché deux mots à mon Pasteur, il s’est mis en colère, il m’a dit de me taire.

J’ai couru chez mon pote, cela ne se peut pas, je suis tombé sur sa mère, elle m’a tout de suite reconnu, elle m’a demandé ce que je voulais conserver de mon ami, les yeux noyés de larmes, on l’enterre dans deux jours, j’ai décroché le tableau, et j’y ai mis le feu, il faut croire au hasard, une maladie foudroyante, l’âme n’existe pas.

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Galindo Gaëlle
4 années il y a

J’ai adoré. C’était simple. Transporté du début à la fin.

Galindo Gaëlle
4 années il y a

Ce n’est pas de la diplomatie. C’est sincère. J’ai beaucoup aimé.
J’aime la tournure.

MARTIN-IAECK Marie-Francoise
MARTIN-IAECK Marie-Francoise
4 années il y a

Le curé a dit samedi a l’enterrement de Mimi….la mort nest pas l’absence…mais une difference de presence…. l’Ame existe pour moi….sommes une rencontre d’Ames Michel…te l’ai toujours dit… crois te l’ai déja aussi ecrit….

Maz Aude
4 années il y a

J’ai beaucoup aimé l’histoire, mais dommage, j’ai plus de mal avec le style. J’imagine que c’est intentionnel, mais je suis plus adepte de phrases courtes.

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