Carmen
Je sursaute et manque de tomber de ma chaise lorsqu’une voix féminine résonne dans ma tête. Bien que j’aie l’habitude d’entendre la voix de ma sœur me vriller le crâne, c’est toujours surprenant lorsqu’on ne s’y attend pas… et là, en l’occurrence, je suis bien trop occupée à essayer de déchiffrer cette façon de me regarder en plus des nombreuses et très étranges sensations que j’ai ressenties en découvrant l’énergie de ce nouveau professeur. Rien que d’y repenser, et de repenser à son regard sombre étrangement posé sur moi, je sens un affreux frissons me traverser des pieds à la tête.
Sa voix me rappelle de nouveau à l’ordre et je daigne enfin tourner la tête vers elle. Je pense l’avoir contrariée car elle fronce les sourcils et ses pupilles bleu pâle me lancent des éclairs… finalement c’est plutôt elle qui me ferait froid dans le dos. Je concentre mes pensées sur son visage et formule silencieusement ma phrase mots après mots, syllabes après syllabes, avant de la lui envoyer.
― Qu’est-ce qu’il y a ? ça ne va pas de me tambouriner le crâne comme tu viens de le faire.
Oups… son regard se fait plus sombre encore et vire au gris foncé et un bruit aigu me vrille les tympans.
― Ignore-moi encore une fois et je te jure que je te tambourinerai réellement le crâne… elle semble se calmer, prend une longue inspiration puis me regarde avec son air de chien battu, ça n’est vraiment pas dans tes habitudes de me snober qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Mais je n’ai pas le temps de lui formuler une réponse que la porte de notre amphithéâtre s’ouvre brusquement et laisse entrer ce bon vieux et rondouillard directeur de la fac – vous savez, ce fameux directeur aux cheveux gris et à la moustache bien brossée, bientôt prêt à partir à la retraite et dont le ventre proéminent vous indique qu’il est un féru de pêche à la mouche et un fin amateur de vins. Celui-ci parait visiblement essoufflé en entrant dans la pièce, il sort son précieux mouchoir en tissus et s’éponge le dessus de son crâne déjà bien dégarni, preuve de son immense vécu, puis remet son indémodable cravate immaculé de blanc sur sa chemise de bûcheron déjà trempée de sueur, et nous souhaite finalement de sa voix rauque et usée la bienvenue et une bonne rentrée. Mais à peine a-t-il le temps de commence son blabla habituel que la porte s’ouvre de nouveau, faisant sursauter la plupart des élèves paisiblement endormis – c’est que l’année scolaire commence bien – et laisse entrer un nouveau venu. Mon cœur a un loupé alors que le cours du temps semble s’arrêter pendant ce qui me semble une éternité au moment où le nouveau venu croise une nouvelle fois mon regard.
C’est lui…
***
― Un peu de calme s’il vous plait…
Le directeur essaie, en vain, de calmer l’assemblée surprise par l’entrée soudaine du nouveau. Les discutions fusent de partout dans la pièce et des commentaires étonnés se propagent petit à petit ; c’est désormais le chaos total et je regrette déjà ma paisible couette…
Voyant que le directeur n’a plus du tout le contrôle de la situation – et surtout que son front dégarni se recouvre rapidement d’une horrible pellicule de transpiration – le nouveau décide alors de prendre la relève et s’avance vers les élèves agités. Le silence ne tarde pas à revenir et j’ouvre de grands yeux ronds en constatant que plus aucun élève n’ose faire le moindre bruit… je comprends alors pourquoi en croisant malencontreusement le regard du nouveau.
Comme sûrement beaucoup de gens dans cette pièce, je sens la panique me gagner. La tête rentrée dans les épaules, je tâche de me faire la plus petite possible espérant ne pas trop attirer l’attention sur moi, ce qui dans mon cas n’est pas chose facile. Je ne saurais comment l’expliquer, mais ce type me fous encore plus la chair de poule que lorsque Allyx est en colère.
Après de longues secondes à avoir épié la foule, son regard se fait soudainement dur en se braquant sur moi. Et comme s’il avait enfin trouvé ce qu’il cherchait, un léger sourire naquis sur les commissures de ses lèvres, lui donnant un air des plus méchant. Détournant alors la tête, bien que ne quittant pas mon regard, il se mis de nouveau à scruter le reste de l’amphi avant de prendre la parole d’une voix étonnamment envoûtante et sereine.
Remarquant un léger et furtif tremblement sur ma droite, je secoue rapidement la tête en clignant des yeux tâchant de me reprendre. Je me tourne alors vers le mouvement qui m’a sorti de ma transe, et constate, l’estomac noué par la peur, que ma sœur se trouve dans le même état que moi il y a quelques secondes : pupilles dilatées par la peur, respiration saccadée et frémissements de plus en plus importants, la rendant aussi fragile qu’une feuille morte. Je ne l’ai encore jamais vu dans cet état ; aussi vulnérable qu’un enfant. Bien qu’elle ne soit pas le genre de fille à foncer dans le tas à la première occasion, Allyx a toujours eu un certain tempérament faisant d’elle le genre de fille sûr d’elle, prête à foncer tête baissée et ne reculant devant rien – et certainement pas devant le premier crétin se croyant permis de lui pourrir la vie. Pour que ce type nous fiche une pareille frousse à toutes deux, c’est que oui… il cache quelque chose de très étrange.
***
Nous devons être les premières à quitter l’amphi, le but est de fuir l’emprise que cet homme à sur nous. C’est comme s’il était capable de nous hypnotiser, rien qu’en nous fixant de son regard sombre.
Les autres ne devaient pas être du même avis que nous, vu le regard assassin que tous nous ont envoyées en nous observant quitter la salle dès que l’occasion nous eut été donnée. C’est dans la poche pour le nouveau, il a déjà réussi à tous les ensorceler, mais il ne nous aura pas, nous savons parfaitement qu’il n’est pas normal et qu’il n’est pas non plus un détraqué – tous détraqué étant capable de ressentir ses semblables.
En sortant, Allyx était restée silencieuse, tellement silencieuse qu’elle n’avait pas osé me déranger en pensées, bien qu’elle ne se privât surement pas pour venir scruter mon esprit. Nous sursautons en entendant une voix masculine résonner dans les couloirs encore vides de la fac. Je me retourne avec un immense sourire charmeur sur les lèvres en entendant cette voix familière et cours me réfugier dans les bras de l’homme qui me les tend.
― Enfin chez soi… je murmure en redressant le menton juste assez pour plonger dans le regard flamboyant de mon petit ami qui me sourit affectueusement.
Je lui retourne son sourire et me hausse sur la pointe des pieds, hissant mes lèvres jusqu’aux siennes pour lui donner un léger baisé furtif. Enroulant ses bras autour de ma taille, mon chéri m’attire un peu plus contre lui, m’empêchant de quitter ses bras, afin de prolonger le baiser, passant de baiser discret à baisé passionné. J’enroule mes bras autour de son coup et vient coller ma poitrine contre son torse, sentant la chaleur envahir la totalité de mon petit corps frêle et me faisant frissonner de la tête aux pieds ; frissons bien plus agréables que ceux ressentis quelques minutes plus tôt.
― Hum…
Allyx dû nous rappeler à l’ordre. Je m’écarte de mon chéri, les joues rouges et le souffle court. Me dirigeant vers ma sœur, je lui lance un sourire timide souhaitant me racheter pour mon manque de retenue en sa présence ; c’est comme-ci tous mon univers ne se résumait qu’à la seule présence de Danny, nous étions dans notre petite bulle, coupés du reste du monde. Il était mon cocon de paix dans lequel me réfugier lorsque la douleur devenait trop importante.
― Allez les amoureux, on n’a pas toute la journée et les autres ne vont pas tarder à sortir.
En effet, les doubles portes de l’amphi ne tardèrent pas à s’ouvrir sur une marée d’élève qui se précipitait vers la sortie, pressée de retrouver sa liberté fraîchement perdue avec la reprise des cours. Les regards se posèrent alors sur nous et les sourires s’effacèrent et les crocs se dévoilèrent (façon de parler bien sûr) …
― Ne restons pas là… je marmonne entre mes dents serrées, à l’attention de mes amis.
Je suis prête à tourner les talons jusqu’à ce qu’un regard croise le mien et me force à garder les pieds bien ancrés dans le sol. Son sourire s’élargie et je frissonne violemment. La vague de nausée que j’avais su oublier revient alors à la charge et je sens mes genoux se dérober sous mon poids. Danny doit alors me retenir par le coude pour que je ne me retrouve pas les quatre fers en l’air, et, au vu de ma maladresse, ça n’aurait pas loupé. Une main posée au creux mes reins, il me soutient et me force à avancer, il ne me pose aucune question sur ce soudain malaise et je l’en remercie d’un bref sourire. Nous quittons peu à peu l’université et rejoignons le calme bienvenu des rues désertes menant au doux foyer familial.
***
L’air frais vient fouetter mon visage, faisant voler ma longue chevelure au passage, en même temps que les nombreux regards assassins de la journée.
Nous sommes rentrés depuis quinze minutes passé et je me tiens sur la rambarde du balcon adjacent ma chambre. Le temps s’est rafraîchi, ce qui n’est pas pour me déplaire, et les nuages annonçant la pluie ont envahi mon champ de vision. L’atmosphère à quelque chose d’apaisant et je me laisse à rêvasser, souriant en apercevant un merle venir se poser sur la branche de lierre qui recouvre les façades de la maison. Des bruits de pas se rapprochent de moi, d’une démarche calme et posée, j’entends Danny qui revient de la cuisine avec ma tasse de thé au fruits rouges. Il dépose sans bruit la tasse fumante sur la rambarde et enlace ma taille de ses bras. Son menton vient se poser sur le dessus de mon crâne et je l’entends soupirer d’aise. J’attends… j’attends… et vient enfin le moment fatidique où il me pose cette fichue question.
― Il s’est passé quoi tout à l’heure, en sortant ?
Même si son ton calme peut en prédire le contraire, je sens les battements de son cœur s’affoler et le tapotement de son pied droit sur le sol se déchaîner. J’enlace ses bras serrés autour de moi et tente de l’apaiser.
― Ce n’était rien qu’un léger malaise, juste une petite baisse de tension… J’ai de plus en plus de mal à supporter les critiques et les regards des autres. C’est tout.
J’attrape la tasse, toujours fumante, me tourne vers lui et la porte à mes lèvres pour qu’il ne voit pas ma grimace et ne comprenne pas que je lui mens. Je lève les yeux vers lui et soupir discrètement en comprenant que le stratagème a fonctionné. Il hoche lentement la tête de bas en haut mais pince tout de même les lèvres… La discussion n’est pas tout à fait finie…
― D’accord, si tu le dis… mais on en reparlera, j’ai très bien vu ton expression inquiète quand ton regard à croisé le regard de ce nouveau professeur.
Vous voyez… je l’avais dit.
Danny a toujours été d’un naturel inquiet, surtout à mon sujet, et ceux même bien avant que nous ne nous mettions ensemble. Je n’allais quand même pas lui avouer mes craintes, et celles de Allyx, au sujet de ce nouveau professeur, cela n’aurait fait qu’aggraver la situation, déjà bien critique…
Avant de me fréquenter, Danny été quelqu’un de très populaire et surtout de très… méprisant. Il a changé du tout au tout en me rencontrant, tout comme sa réputation. Bien que tous ses « amis » lui conseillez de me fuir comme la peste, bien que toutes les filles lui tournant autour me voyaient comme un démon et faisaient tout pour attirer les convoitises de celui-ci, il a préféré s’attirer les foudres de ses prétendus amis et admiratrices et a fait le premier pas vers moi, s’inquiétant réellement à mon sujet. C’était bien le premier à s’inquiéter pour moi d’ailleurs. Depuis il vit, tous les jours, le même calvaire que moi et se fait insulter de traître en longueur de journée… Je m’en veux un peu plus jours après jours…
Je finis par lui sourire tendrement et colle mes lèvres contre les siennes. Il me fait poser ma tasse presque vide et m’attire un peu plus à lui. Mes mains viennent encadrer son doux visage ovale et je me colle encore plus contre lui, je le sens frissonner lorsque ma poitrine entre en contact avec son torse. Tandis que ses mains descendent délicatement dans le creux de mes reins je l’agrippe fermement par les cheveux, enfin je tente plutôt d’agripper le peu de cheveux que je puisse agripper, ses cheveux roux coupés au ras de son crâne, seuls le dessus de son cuir chevelu continue à pousser librement. Notre baiser s’approfondit un peu plus encore, faisant monter la température autour de nous et sa poigne se raffermie autour de ma taille tandis qu’il me soulève du sol pour me conduire à l’intérieur de la chambre. Et tout bascule quand je comprends ce qu’il va se passer… je sens que les battements de mon cœur s’accélèrent tout comme la rapidité de ses mouvements. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je me retrouve allongée sur mon lit, Danny appuyé sur ses avants bras, perché à quelques centimètres de mon visage. Je sens mon sang battre de plus en plus fort dans mes veines et l’angoisse me tétaniser au point de ne plus pouvoir respirer. Je ne suis pas prête… la peur de faire les choses trop vite et mal me donne le tournis.
Danny semble remarquer mon malaise et se redresse légèrement afin de plonger son regard dans le mien. Je ne sais pas bien ce qu’il peut y voir mais son visage se crispe et le rouge de ses joues s’évapore aussitôt. Il se relève immédiatement, m’aide à me redresser et me fixe intensément de son regard émeraude. Je finis par retrouver l’usage de la parole mais j’ai la gorge sèche, je me racle la gorge et avale ma salive un bon coup avant de lui adresser enfin la parole.
― Pardon, je…
Je n’ai pas le temps de continuer ma phrase qu’il me serre dans ses bras et continue à ma place.
― Tu n’as pas besoin de t’excuser. Je saurai attendre, j’ai appris à être patient.
Il m’adresse un doux sourire et je me réfugie contre son torse, soulagée de le voir aussi compréhensif.
― Merci… je murmure d’une toute petite voix et lui embrasse l’épaule.
Je m’en veux encore un peu plus… après presque trois ans de relation, nous n’avons jamais eu de rapports intimes, je ne suis tout simplement pas encore prête à me donner totalement à l’homme que j’aime. Au début je me disais que c’est par ce que j’attends de trouver le bon, mais après bientôt trois ans de relation je ne peux pas dire que Danny ne soit pas le bon. Je l’aime passionnément mais j’ai toujours cette peur… cette même peur de me tromper, de ne pas faire les choses bien. J’ai toujours cette peur de me faire rejeter une fois l’acte passé, même si après tout ce temps d’attente cela paraîtrait insensé… non… je ne suis tout simplement pas prête à faire le grand saut.
***
« Tic-tac, tic-tac, tic-tac… »
J’entends les martèlements incessants du réveil, posé sur ma table de nuit, faire échos aux battements de mon cœur et me retourne une énième fois dans mes draps. Je me demande comment Danny ne s’est pas encore réveillé alors que je me retourne toutes les trente secondes… le chanceux dort à poings fermés, la bouche ouverte et est à deux doigts de ronfler comme un ours.
Il est 3h35 du matin, le réveil doit sonner dans 2 heures et 55 minutes et je ne parviens toujours pas à trouver le sommeil…
Ce regard… toujours le même regard sombre et teigneux qui revient me hanter. Dès que je ferme les paupières je le vois et si j’ai le malheur de m’endormir il vient hanter mes rêves : il m’est donc impossible de trouver le repos. Mais il va bien falloir trouver un moyen de me reposer sinon je vais devoir engloutir plusieurs litres de café au petit déjeuné.
― Le semestre commence bien… quelle poisse…