Le vent souffle fort sur la ville de Marseille depuis maintenant une semaine. Les bourrasques ont emporté avec elles nombre de tables et de chaises au paravent si bien installées sur les terrasses des cafés de la vieille ville. L’air est doux, le ciel est dégagé, et les habitants, mélangés aux touristes, sont nombreux à être de sortie en cette soirée estivale de Juin. L’atmosphère est chaleureuse, et les visages joyeux se croisent et se rencontrent. Parmi cette immense foule se trouve Alain.
Alain est un jeune retraité venant de finir sa carrière au début du mois. Il était employé dans une petite boulangerie à quelques mètres du vieux port, et y confectionnait chaque semaines des pains et de toutes sortes : avec des graines de sésame, sans sel, des fougasses, des préfous… Il aimait beaucoup son métier. Ses collègues lui avaient organisé un pot de départ inoubliable, durant lequel il n’avait pas pu s’empêcher de verser quelques larmes.
Au revoir les habitués de la boutique et les longues conversations sur la pluie et le beau temps. Au revoir le ronronnement du grand four accompagné par les grincements du pétrin légèrement rouillé. Il était parti depuis à peine 2 semaines qu’il était déjà remplis de nostalgie. Il aurait aimé continuer à travailler, mais à 63 ans, son pauvre dos et ses jambes, tout les deux de plus en plus fragiles, n’arrivaient plus à suivre le rythme.
Le départ en retraite. C’était l’une des raison pour laquelle Alain avait décidé de faire le grand saut aujourd’hui.
L’autre raison, c’était sa femme, Lucette, ainsi que ses plus proches amis qu’il retrouvait souvent à la fin de la semaine. Tous l’avaient poussé à venir là où il se trouvait maintenant. Peut-être lui avaient-ils trop forcé la main ? Alain était venu pour qu’ils arrêtent de le noyer sous les remarques qui lui étaient destinées.
Il se tenait debout, les yeux clos, et tout ses sens mis en éveil. Ses orteils de pied bougeaient légèrement dans ses chaussures. Il essayait de se détendre de cette façon. Après tout, il n’aurait jamais pensé qu’il irait aussi loin; qu’il serait si proche de la fin…
Entre les grondements des moteurs et les cris perçants des mouettes, il percevait plusieurs voix différentes en train d’appeler son nom. Il reconnu celle de sa femme, de son plus vieil ami, et même celle de son ancien patron. Il expira un bon coup tout en rouvrant tranquillement les yeux. Son regard se dirigea alors sur la distance qui le séparait du point final.
Il se mit alors à réfléchir, se demandant s’il était vraiment capable d’aller jusqu’au bout. Il resta de longues secondes à observer la longueur qui devait être parcourue, tentant du mieux possible de garder son calme et de se lancer. Les sons et les quelques cris semblaient avoir amplifié depuis que son champ de vision était revenu, et c’était bien normal. C’était le signe qu’il était prêt.
Alain souffla brièvement avant de tout relâcher : la pression, la chaleur du soleil, le vent et les bruits environnants; tout disparu subitement. Puis il se lança, en se courbant légèrement en avant. La chute avait commencé. Ces quelques secondes parurent durer une éternité pour Alain, qui sentait son corps se raidir au fur et à mesure que la distance rapetissait. Il gardait cependant les yeux ouvert, pour voir comment tout allait se finir.
Tac.
Et il réussit. La peur et le doute laissèrent place à la joie, il avait vraiment fini. Le lancé avait été parfait, et la boule de pétanque qu’il venait d’envoyer était décisive pour remporter le championnat régional avec son équipe. Alors que celle de son précédent concurrent n’était qu’à 2 centimètres du cochonnet, le jeune retraité avait dégommé la position de la boule précédente pour y loger la sienne. La foule qui entourait Alain se mit à l’acclamer de tout coeur, et il se retrouvait bientôt entouré des bras de ses coéquipiers et de sa femme. Dans la vieille ville, on avait pas finit d’entendre parler de lui et de son exploit !
je me suis arrêtée sur ton texte en raison du lieu qui me parle beaucoup et je n’ai pas regrettée. Pour ma part, c’est un vrai coup de coeur. Bravo …
@Liza Janne Merci beaucoup ! J’espère que la chute est à peu près réussie 🙂