Petites amours > 17. Baba

4 mins

 

– J’ai froid, viens me réchauffer

– Tu es l’homme que j’ai toujours recherché, je te veux

– Tes messages me font vibrer, me donnent la chair de poule

– Je ne pense plus qu’à toi, quoi que je fasse tu es présent

– Rien ne sera plus beau que notre rencontre, je suis toi, tu es moi

– Mon lit est devenu trop grand, je m’y perds

– A tes côtés je serai enfin femme

– Je suis déjà à toi, prête à tout

– Partons ensemble pour ne plus jamais revenir

– Te savoir à proximité m’électrifie, je ne dors plus

Diana me submerge de messages, je me prends au jeu et la relance régulièrement.
Mon imagination s’emballe dès que je vois la pastille rouge apparaître sur l’application WhatsApp de mon IPhone.
Nous n’avons toujours pas échangé de photo et son profil est avare de détails.
Son pseudo : Absolutedianaforeverlove74 révèle son prénom et son année de naissance. Pour le reste pas grand chose si ce n’est qu’elle pratique la randonnée équestre, le vélo et la lecture d’ouvrages de science fiction. Pas de description, rien.
Au fil de nos messages, au détour d’une question, je découvre qu’elle est brune, plutôt grande, athlétique et qu’elle est enseignante dans une école primaire des Eaux-vives.
J’ai bien sûr googlé ces quelques informations mais n’ai trouvé que des articles sur la princesse du même prénom et des photos d’elle en maillot de bain, d’elle en train d’inaugurer une œuvre de charité, d’elle dans ses tenues « mémorables », d’elle en ciré avec ses enfants sur un bateau, d’elle avec Dodi encore sur un bateau et encore en maillot de bain.

Diana ignore mes demandes, répétées, de photos. Elle me rétorque que cela n’a aucune signification, qu’elle est belle et que de toute façon seule la beauté intérieure est importante.
Je ne suis pas du même avis et me retiens de le lui écrire.
Elle continue de m’envoyer des messages enflammés. Ils deviennent de plus en plus suggestifs :

– Mes cuisses sont moites à force de t’imaginer

– Je te recouvre de mes baisers

– Je t’accueillerai en moi dès que tu apparaitras

– Ma bouche est un fruit mûr à point, je veux que tu y goûtes

– Ma poitrine me fait mal, dégrafe mon soutien-gorge

– J’ai tant envie de te sentir

– Prends-moi… maintenant

N’y tenant plus, je somme Diana de me rencontrer rapidement ou de cesser cette insoutenable correspondance,
Elle accepte, à mon grand étonnement, et me donne rendez-vous l’après-midi même dans un tea-room en face de son école. Elle a également très envie de me voir, la pression est devenue si intense.

Je l’attends, mon Schnauzer poivre et sel à mes côtés. J’ai commandé un café et un millefeuille. La fine pellicule de confiture framboise et la couverture de sucre blanc me revigorent instantanément. Quand j’ai le trac, je mange.
La table est au fond du local. A droite une vieille femme mange un baba au rhum. Pimprenelle, son caniche toy abricot, est sur ses genoux. Une cuillère sur deux part directement dans sa gueule. La dame se baisse pour caresser mon chien, il grogne.
A gauche deux mamans et leurs bébés dans des poussettes aérodynamiques qui occupent tout le passage. Elles parlent de leurs maris respectifs.

– Henry est un amour avec Terry, il n’hésite pas à le changer quand il rentre du travail.

– Eric, lui, ne s’occupe pas du tout d’Emilie répond la seconde, il est bien trop fatigué, il a tellement de responsabilités.

Leur babillage continu est un véritable sédatif.
Je suis là avec mon millefeuille, mon chien est à mes pieds, mon foulard en soie naturelle me colle au cou, je vois une table qui se libère près de la vitrine réfrigérée, j’hésite à me déplacer, je guette l’entrée.

Une femme entre, elle est brune, grande. Elle a de grosses fesses dans un jeans trop serré, des fesses de cavalière me dis-je et mon cœur se serre.
Elle se dirige vers moi, s’assied sans même me dire bonjour. Me regarde fixement, ses yeux ronds descendent vers mon gâteau.

– Ca va pas le faire me dit-elle

– Tu n’es pas du tout mon type d’homme

Je n’arrive pas à avaler le morceau de millefeuille au fond de ma bouche.
Je lui propose de prendre quelque chose.

– Ça ne changera rien me dit-elle

– Tu n’es pas celui que j’imaginais

Elle me rappelle l’institutrice qui, pour me punir, me mettait face au mur dans un coin de la classe. Ses lèvres sont très minces, rentrées à l’intérieur, j’ai l’impression d’être un cancre, ma faute est de ne pas lui plaire.

– Je n’ai rien à te dire.

– Je n’aime pas ton chien, tu ne fais pas assez homme avec ton foulard, je vais m’en aller.

Je reprends une bouchée de millefeuille pour me redonner contenance. Ca ne semble pas lui plaire

– Un homme ne mange pas de pâtisserie.

Elle se lève et s’en va. Ses grosses fesses sont immobiles dans son jeans trop serré. Seuls ses mollets semblent la mouvoir. Elle porte des Birkenstock et des chaussettes à pois.
Je me demande si c’est bien Diana. Il doit certainement s’agir d’une erreur, d’une hallucination.

Pimprenelle me regarde de ses yeux larmoyants. Les deux mamans se taisent.
J’enlève mon foulard. C’est vrai qu’il me donne un air précieux.
Mon chien se redresse, frotte son museau contre mon entrejambe.
Tout va bien, semble t’il me dire.
J’appelle la serveuse et commande un baba au rhum.

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