Chapitre 3 – partie II

6 mins

Avant qu’il eut terminé son explication, des pas précipités résonnèrent dans la cabane tandis qu’une lumière rougeoyante envahie la pièce quand deux filles apparurent dans l’embrasure de la porte, essoufflées.


    

    La première était brune aux cheveux mi-longs et affichait une tenue de voyageuse classique. Elle semblait exténuée par l’effort qu’elle venait de fournir et ses yeux bruns trahissait une profonde inquiétude. La seconde semblait beaucoup plus jeune et faisait une tête de moins que sa camarade. Contrairement à la brune, la jeune fille ne passait pas inaperçue avec sa longue chevelure verte qui s’accordait à merveille avec ses yeux et le pendentif qu’elle portait. De plus, sa robe d’un blanc immaculé mettait en avant son teint hâlé par le soleil. La brune se jeta dans les bras du jeune homme :

« Ôn ! J’ai cru ne pas pouvoir te retrouver ! Heureusement que Chaya est là, elle … »

    Le jeune homme lui rendit son étreinte et calma sa camarade d’un regard insistant avant de désigner Azilis. Cette dernière avait recouvré une partie de ses forces et se tenait debout, appuyée dans un coin, sa dague tendue en avant d’un air menaçant. Son regard effectuait des allers-retours incessants entre les deux arrivantes et le jeune soldat, jaugeant ses chances de survie. Ôn tenta de prendre la parole mais la jeune fille le coupa :

« Sortez de chez moi, immédiatement ! Rien ne m’empêche de vous ôter la vie.»

    La brune relâcha son étreinte et se plaça en position de défense, entre Azilis et Ôn. Une fine épée se matérialisa dans sa main diffusant une lueur bleutée. Le soldat tenta de calmer son amie mais elle l’ignora, trop concentrée sur la potentielle menace, et se prépara au combat.
Au même moment, la petite fille aux cheveux verts s’interposa :

« Cessez ! Aucun de nous n’est venu ici pour se battre. »

    Elle appuya ses mots par un regard désapprobateur à l’intention de la brune, qui baissa sa lame. Elle s’approcha doucement de la blessée, affichant un sourire rassurant. Azilis l’observait, confuse face à ce comportement calme et sécurisant. La petite fille saisit la dague avec délicatesse, la retira des mains de sa propriétaire avant de la replacer à la ceinture de celle-ci. Azilis était comme hypnotisée par cette étrange personne au physique enfantin, mais avec un regard d’une maturité rare, qui témoignait de longues années d’expériences et de vie.

    A mesure qu’elle l’étudiait, la jeune fille était envahie par un profond sentiment de sérénité qui calma progressivement sa respiration et relâcha ses muscles.

« Echo ne voulait pas te faire de mal. Elle s’est sentie en danger, c’est tout. »

Azilis ne réagit pas, obnubilé par le regard perçant de son interlocutrice. Cette dernière poursuivit :

« Chaya Maïlys, c’est mon nom. Ôn, Echo et moi-même voyageons ensemble depuis plusieurs jours. Ne crains rien. »

Azilis sortit subitement de son mutisme et répliqua d’une voix enrouée par le poison :

« Mais que me voulez-vous ? Qui êtes-vous ? Pourquoi venir ici sans permission et … me menacer ?

– Tu n’étais pas présente quand je suis arrivé ! Se défendit Ôn.

Chaya lui intima le silence d’un regard dur puis s’assit au sol avant de reprendre :

– Nos histoires sont bien différentes, et je crains que tu ne puisse pas  les écouter jusqu’au bout… Sache juste que nos chemins se sont croisés au Sud de la grande forêt occidentale et que tous, nous souhaitions te rencontrer. »

À l’évocation de son état, Azilis se sentit soudain très faible. Une forte chaleur envahit son épaule gauche et sa vision se flouta. La jeune fille gémit et tenta de se lever mais de violents spasmes la ramenèrent au sol. Elle ne repoussa même pas Chaya qui s’approchait pour la soutenir, tandis que Ôn rassemblait des couvertures qu’il arrangea sur le lit avec l’aide de sa camarade.

« Qu’est-ce qu’elle a ? » demanda la brune, une pointe d’inquiétude dans la voix.

    Le jeune homme se contenta d’hausser les épaules et observa Chaya qui murmurait des prières tout en épongeant le front trempé de sueur de la jeune fille. Azilis n’entendait plus qu’un capharnaüm de bruits parasites, comme si l’on avait sonné les cloches dans son crâne. Elle ne pouvait plus bouger son bras blessé tandis que sa respiration se faisait de plus en plus hachée. Elle tenta de se concentrer sur les paroles de la petite fille, sans succès. Il lui sembla cependant sentir une énergie étrangère s’insinuer dans ses veines à mesure que Chaya psalmodiait. Dans sa descente aux enfers, Azilis réussit à se raccrocher aux paroles de Ôn :

« Il faut l’emmener au plus vite. Chaya, je ne peux pas me permettre de la perdre, pas avant d’avoir accompli ma mission. »

La petite aux cheveux verts s’était attelée à nettoyer la plaie boursouflée de la jeune fille et répondit après quelques secondes :

« Qu’elle créature a bien pu lui faire ça ?

– une furie noire, sans aucun doute, lâcha Écho en désignant la désire verdâtre, seulement ça signifie qu’elle…

– pas de conclusions hâtive, répliqua sèchement Chaya, donnez moi de l’eau. »

La brune se saisit de sa gourde et la tendit à sa cadette.

« Je ne te suivrais pas cette fois Ôn, reprit Chaya, je t’avais prévenu et tu ne me feras pas changer d’avis.

– Chy ne joue pas l’héroïne ! Ce n’est pas elle que tu veux protéger mais Morgana ! Je ne prendrai pas le risque de me faire repérer pour cette sauvageonne.

– Cette sauvageonne est un être vivant au même titre que toi ou moi. Tu peux fuir si ta sécurité t’importe tant, moi je reste avec elle. Il lui faut un médecin au plus vite.

– Pas un médecin, releva Echo, le meilleur médecin au monde c’est le minimum pour tenter de soigner le poison des furies noires… Mais sauf erreur de ma part, personne n’a jamais réussi un tel exploit… »

    A ces mots, un fort courant d’air traversa la cabane pour venir s’enrouler autour de Chaya, avant de disparaître comme aspiré par cette dernière.

« Le vent murmure une présence. » annonça t-elle.

La petite fille ferma les yeux pour mieux se concentrer. Ôn se tendit :

« Hostile ?

– Non, il semblerait que mes prières aient été entendues ! Voilà de l’aide qui vient. »

    Malgré le boucan qui bourdonnait à ses oreilles, Azilis crut percevoir un cri strident et bref suivit de puissants battements d’ailes. Chaya semblait aussi avoir entendu car elle commanda à la brune de l’aider à porter la jeune fille dehors. Azilis se sentit soulevée mais elle était trop faible pour opposer une quelconque résistance. Derrière elle, Ôn marmonnait des injures à l’intention de la petite fille tout en fouillant les pièces de la maisonnette à la hâte.

    Quand elles la déposèrent enfin, Azilis fut frappée par la froideur du sol et se mit aussitôt à trembler de manière incontrôlable. Au moins, le froid l’avait un peu réveillée, et sa vision n’était plus aussi floue. Autour d’elle, les trois étrangers s’étaient réunis, arme à la main, tendus, exceptée Chaya qui affichait une expression calme. Le jeune soldat répétait sans cesse que c’était une mauvaise idée, et qu’ils allaient tous finir prisonniers mais la petite aux cheveux verts ne l’écoutait même pas, attendant que l’aide espérée se montre à eux.

    Après d’interminables secondes, les fourrés s’ouvrirent et Azilis crut qu’elle hallucinait. Devant elle se tenait un magnifique faucon à taille humaine, au plumage brun cendré et aux yeux jaunes perçants des plus déconcertant. L’oiseau dégageait une aura très douce, mais la jeune fille était certaine que l’animal pouvait faire des ravages si la colère lui prenait. Il avança vers Chaya d’un pas assuré et claqua du bec à plusieurs reprises. Sa réaction fit reculer Ôn et Echo, mais la cadette du groupe ne bougea pas d’un pouce, fixant l’oiseau d’un air reconnaissant.

    Azilis ne comprenait pas ce qu’il se passait. Comment un faucon pourrait-il la sauver d’une mort certaine ? C’était donc lui l’aide promise ? Et pourquoi personne ne parlait ? Ses idées étaient de moins en moins claires et elle se sentait sombrer dans l’obscurité. La jeune fille ne voulait plus lutter. La douleur était trop forte, et son énergie trop basse. Après un échange silencieux, Chaya s’approcha d’Azilis et lui murmura des encouragements avant de laisser place à l’oiseau.

    Ce dernier saisit la jeune fille avec une douceur dont elle ne l’aurait pas cru capable et la maintint dans ses serres, solidement fermés. Au vue de la situation, Ôn sortit de sa torpeur et hurlait à Chaya d’empêcher la rapace de décoller. L’oiseau n’attendit pas plus longtemps. Il étendit ses ailes majestueuses et d’un puissant battement, s’envola au dessus des arbres. Azilis sentit l’air lui fouetter le visage et elle comprit ce qu’il lui arrivait quand les paroles du soldat s’éteignirent. Il lui avait semblé entendre beaucoup de mouvements dans la clairière, mais la jeune fille n’en était pas certaine. Le poison lui faisait tourner la tête à tel point qu’elle n’arrivait plus à démêler le rêve de la réalité.

    Azilis fut envahie de frissons. L’air était beaucoup plus frais en altitude et elle n’avait rien d’autre que sa tenue déchiquetée par la furie. Elle se recroquevilla pour tenter de se réchauffer, mais à peine eut-elle pensé au froid ambiant qu’une douce chaleur se répandit dans son corps, arrêtant net ses tremblements. Azilis étouffa un hoquet de surprise. D’où venait cette chaleur ?

« C’est mieux ? »

Cette voix. Elle n’est pas réelle, pensa la jeune fille.

« Elle l’est pourtant. »

Azilis resta interdite. Elle avait entendu cette voix. Mais pas comme on entend le chant des oiseaux. La voix, elle était dans sa tête. De la télépathie. La jeune fille tenta d’apercevoir le regard du faucon mais sa position l’en empêchait.

« Tu parles. Tu es un oiseau et tu parles. »

    Le rapace ne répondit pas si bien qu’Azilis pensa avoir rêvé. Elle poussa un long soupir et ferma les yeux. Elle constata que sa douleur se réduisait au rythme des battements d’ailes et qu’elle ne ressentait plus qu’un profond sentiment de bien-être et de sérénité. La jeune fille était entouré d’un cocon de chaleur et elle en oublia sa situation, perchée à plusieurs dizaines de mètres dans les serres d’un immense faucon, en pleine nuit. Elle ne savais pas où on l’emmenait, mais ce détail lui paraissait dérisoire. Peut importe, se disait-elle, pourvu qu’à mon réveil je sois encore en vie. Qui sait, peut-être que ce n’est qu’un tour que me joue mon esprit.

« Sois sans crainte. »

Ces paroles résonnèrent un long moment dans son esprit. Azilis ne se sentait pas en danger, et étonnamment, elle avait confiance en cet étrange oiseau. Alors que la chaleur l’attirait dans le sommeil, la jeune fille rassembla ses pensées désordonnées pour formuler une unique question :

« Mais qui es-tu ? »

Sans attendre la réponse, Azilis sombra dans le noir.

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