Je ne lui ai annoncé mon départ qu’à la dernière minute. Je crois que j’avais tout simplement trop peur que notre amitié change et je n’ai pas oser prendre de risque. C’était ma dernière récréation…et la dernière fois que je le voyais.
– Je déménage dans deux jours, j’ai lancé.
Voilà, c’était dit. À quoi bon chercher le tact alors que le choc était inévitable ? Je l’ai sorti d’une voix terne et monotone, comme si tout cela était normal et sans importance.
Quand Théo m’a pris dans ses bras, j’ai senti son parfum « goût bubble-gum », celui qu’il met pour arranger sa journée. Il s’est tu et a posé sa tête contre mon épaule. J’ai senti qu’il me serrait fort contre lui, comme s’il s’attendait à ce que je m’en aille d’un coup, comme s’il savait que la séparation serait inévitable. Il a fini par me lâcher pour me regarder. Je ne devais pas être belle à voir parce qu’il a grimacé avant de me tendre un mouchoir. Théo était mon meilleur ami, nous nous étions promis de ne jamais nous quitter. Et voilà que je l’abandonnais. J’aimais son calme, cette sagesse avec laquelle il avait accepté mon silence, sa douceur quand il m’expliquait que la vie est ainsi et qu’on ne choisit pas. Toujours ce sourire au coin de la bouche, cette joie propre à lui, cet amour envers l’humain qu’il avait toujours eu. Il était ce garçon discret, qui n’en fait jamais trop, celui avec qui on aime passer du temps.
Du coin de l’œil, j’ai vu que mon père m’attendait. Je l’ai regardé une dernière fois puis j’ai lâché sa main et je suis partie. J’ai senti son regard me suivre jusqu’à la voiture pour me laisser partir, une bonne fois pour toutes. Papa n’a rien dit et m’a laissé dans mes pensées durant tout le trajet. À ce moment précis, je ne saurais dire si je lui en voulais vraiment. Les choses sont ce qu’elles sont et on n’y peut rien. Et même si je mourrais d’envie de courir loin d’ici, pour ne jamais avoir à les suivre dans cette pente qui, selon moi, n’était qu’une magnifique dégringolade, je suis restée assise sur mon siège, sans bouger.