J’entre dans les halles d’Avignon, le marché couvert au centre de la
ville. C’est tout de suite le plongeon, l’immersion, le voyage. Je suis pris, happé, capturé par l’ambiance, l’environnement chatoyant. Voix, sonorités, partition colorée et réjouissante. Je me coule, me glisse aussitôt au cœur des sensations, dans l’animation bigarrée et bienfaisante du lieu. Ici tout pavoise. L’espace est plein, vibrant, saturé de vie. Tout est odeurs, parfums et rumeurs. L’atmosphère est gorgée d’invitations gustatives, effluves multiples, joies simples et authentiques. Tous mes sens sont en éveil. Le contact est immédiat, le plaisir au rendez-vous, sensualités et voluptés. Mon odorat est aux aguets. Chaque pas me conduit, me pousse d’îlots en îlots, perceptions olfactives puissantes et chaleureuses. Je navigue d’un rivage à l’autre, d’une couleur à l’autre. Voici le stand du pain et son univers bienheureux de boulangerie, pain d’épices, brioches et autres viennoiseries gourmandes. Puis, c’est le marchand de fromages avec son cortège éblouissant de fumets, un chromatisme de senteurs musquées et piquantes. Lait de vache, de chèvre ou de brebis. Ce sont des promesses, des tentations de délices à venir. On se croise, on se salue, on s’apostrophe, on s’interpelle. Plus loin voici les volailles, les poulets rôtis. Le stand des olives de Provence, les huiles, les anchois, les tapenades. Je m’y arrête. Je me remplis des parfums, saveurs ensoleillées, vinaigrées. J’aborde les fruits et légumes. Odeurs maraîchères, douceur des salades, notes boisées des champignons, poireaux et oignons étincelants, acidité des agrumes et fruits de saison. Je croise les pizzas odorantes, croustillantes, pâtisseries, rêves sucrés de vanille, gâteaux aux amandes, au chocolat. Tartes et quiches. Je m’approche du stand des épices. Mon imaginaire est une fois de plus convoqué par les poivres, les piments, les currys, les mélanges exotiques. Je vagabonde, je voyage vers des pays lointains, autres contrées aux horizons écrasés de lumière. Puis, l’animation monte d’un cran autour d’une buvette où les habitués se retrouvent pour célébrer l’apéro entre initiés. Eclats de rires, discussions passionnées, échanges retentissants. Appels, bourdonnement humain qui enfle au rythme des tournées. Communion dans une ivresse qui se propage, se répand. Ici l’accent provençal y domine, y claironne, affirmant haut et fort ses origines, ses racines. On pourrait presque entendre les stridulations des cigales. Une lourde vapeur de cuisine aillée enveloppe les tables. Chacun peut y manger un morceau, un plat entre copains. On apporte son filet de poisson ou une viande. Préparation et cuisson immédiate. On partage une bouteille de vin, bouchons qui sautent joyeusement. On trinque et on retrinque. Fièvre naissante, verre de blanc, verre de rouge ou de rosé et puis le parfum du café. Tout se mélange et s’imbrique pour former cette étourdissante mosaïque lumineuse de vie. Guéridons et tables se remplissent, se vident en un balai incessant au rythme du flux et du reflux. Au fond, c’est l’allée des poissonniers et le marchand d’huîtres. Là, je fais une halte, une escale marine, le temps de déguster quelques fruits de mer tout en buvant un blanc sec bien frappé. Le plaisir est là, toujours renouvelé. Echanges de nouvelles au comptoir, blagues, discussion bienveillante dans un parfum iodé. Bruissement et plaisir partagé. Le monde circule autour de moi, s’arrête, repart, se renseigne, passe commande. Vrombissement d’une ruche humaine. Je reprends ma déambulation. Je dépasse les stands des bouchers au verbe haut. J’avance, je progresse d’odeurs en odeurs, m’arrêtant parfois pour mieux m’imprégner de toute la joyeuse palette des tonalités gourmandes, métissage, mélange extraordinaire. Les charcuteries
embaument, déversant leurs puissants arômes, splendides évocations d’un repas champêtre, d’un banquet retentissant et festif autour d’une table accueillante, bien garnie. Jambons et saucissons de toutes sortes aux notes fumées. Je suis dans un tableau vivant en pleine contemplation. On ne sait plus où donner de la tête, on ne sait plus où donner du nez. Je suis en alerte, sur le qui-vive. Emotions et perceptions. Triomphe des parfums, des odeurs, c’est la grande célébration du goût.
Village qui se retrouve, se côtoie. On se connaît, on se reconnaît, on
se rencontre, on se parle. C’est l’étonnante communion populaire. Le week-end, les halles se remplissent comme une marée montante. La pleine mer est entre 11h et midi. Alors les 3 buvettes sont prises d’assaut tandis que l’allée centrale redevient presque accessible après son flot ininterrompu. C’est étourdissant. On y croise des connaissances, les bourgeois d’Avignon viennent au rendez-vous dominical, seuls ou en couple, en famille avec des enfants. C’est sans doute le pic, le point culminant de la semaine. C’est la grande vague de fréquentation. Moment de rendez-vous, promenade incontournable en fin de matinée après la messe.
Gilles de La Buharaye