Christine Tannenbaum est psychiatre cognitivo-comportementaliste. Comme elle aime à le dire, elle vit dans ‘’l’ici et le maintenant’’ et est très consciente de ses pensées dysfonctionnelles et inadaptées. Elle est sous antidépresseurs depuis plusieurs années et consulte son psychothérapeute deux fois par semaine, quand tout va bien.
Christine a des Troubles Obsessionnels Compulsifs qui se traduisent par des comportements répétés et ritualisés : Elle est incapable de jeter et accumule les vêtements, dans son cas les robes, les sous-vêtements, les chapeaux et les chaussures qui remplissent une dizaine d’armoires, s’entassent sur les meubles, les chaises, dans des cabas en papier répartis dans tout son appartement. Elle tient un décompte précis du nombre de ses robes, plus de 789 et se demande si tout cela est vraiment raisonnable.
Elle se déplace toujours avec plusieurs sacs, au minimum trois, dans lesquels elle a des habits de rechange, un imperméable, de la nourriture, des médicaments, des livres, une paire de chaussures, une gourde, des outils, ses affaires de toilettes. Elle sait très bien qu’à la fin de la journée elle rentrera chez elle, mais sait-on jamais…
Elle ne prend jamais les transports publics, n’a pas de voiture, pas de vélo et fait chaque jour des kilomètres à pied. C’est son fitness dit-elle.
Christine est belle, grande, élégante et stylée. Elle raffole des robes vintage et passe presque tous les jours jeter un coup d’œil dans sa boutique de second hand préférée :
‘’ Les Fringantes’’, à deux pas de la rue de Carouge. Les vendeuses la connaissent bien et lui mettent de côté leurs meilleures pièces. Elle craque à chaque fois.
Christine est mariée depuis 20 ans à Donato di Betto Bardi, un galeriste réputé du quartier des Bains. Un homme raffiné, d’un grand savoir vivre et d’une immense culture artistique. Ils ont parcouru ensemble les musées et les expositions d’arts contemporains du monde entier. Ils n’ont pas eu d’enfant et n’ont jamais souhaité vivre ensemble. Donato souffre d’une addiction aux vidéos pornographiques et leurs rares rapports sexuels, très ritualisés, n’ont jamais été vraiment satisfaisants. Elle se prête pourtant, tant bien que mal, à ses désirs : Porter des escarpins, l’accueillir en lingerie fine, se caresser devant lui pour, éventuellement, ca ne fonctionne pas à chaque fois, provoquer une rigidité suffisante permettant un acte sexuel, la plupart du temps, court et sans grande intensité.
Traumatisée très jeune à la vue de son père prenant sa mère en levrette, ses deux mains agrippées fermement à la poitrine maternelle et soufflant comme une bête. Christine a développé une relation anxiogène face à toute forme d’intimité. Les hommes la troublent mais la représentation qu’elle s’en fait l’empêche d’éprouver un quelconque désir. Pendant toutes ces années, elle ne s’est jamais exposée à la source de ses angoisses et Donato, en bon missionnaire, n’a jamais fait ressurgir l’image bestiale et ahanante de son père.
A quelques jours de son 50ème anniversaire, Christine, particulièrement angoissée à l’idée de franchir ce cap, est allée voir son psychothérapeute quatre fois en une semaine. Son existence, centrée sur ses études, son cabinet, Donato, lui semble vide. Elle a l’impression d’avoir mis sa vie de femme de côté : Elle n’a pas eu d’enfant, n’a pas de vie de couple, ne se rappelle plus de son dernier orgasme, c’était avant son mariage. Elle a maintenant envie de chaleur humaine, de sentir les mains d’un homme sur son corps, d’expérimenter ce qui se passe dans les vidéos de son mari.
Son thérapeute, décontenancé, après s’être plusieurs fois raclé la gorge et gratté la barbe, lui propose, temporairement, d’augmenter la dose de son antidépresseur et, très graduellement, de se confronter à ses peurs lors de mises en situations potentiellement anxiogènes.
Avant de mettre fin à la séance, il lui suggère d’expérimenter la méthode dérivée du best seller de Marie Kondo : L’art du rangement. La planification d’un rangement massif, le tri des affaires et l’élimination du superflu devant générer un sentiment de joie et de renouveau.
Christine, pensive, se lève, récupère ses trois sacs et quitte le cabinet. Elle vole le fascicule de Marie Kondo qu’elle avait repéré dans la bibliothèque de la salle d’attente.
– Quel con ce psy se dit-elle, il va falloir que je me reprenne en main toute seule !
Comme chaque année, Donato lui a préparé une fête surprise pour son anniversaire. Tous leurs amis sont présents et des serveurs en pantalons moulants tournent avec des plateaux remplis de coupes de champagne et de petits fours. Elle s’est achetée une robe neuve, une paire de Manolo Blahnik et a coupé ses cheveux. Elle ne prend plus son Lexomil. Le matin même elle a contacté le Centre Social Protestant pour se débarrasser de tous ses vêtements. Elle a jeté ses trois sacs.
Elle prend Donato à part et lui annonce leur séparation. Elle file à l’anglaise par la porte de service.
Matteo a été le premier à ‘’matcher’’ son profil sur le site de rencontre que lui a recommandé un de ses patients souffrant d’addictions multiples. Il est jeune, tatoué et son air chafouin l’a immédiatement attirée. Son orthographe approximative est compensée par l’envoi de nombreuses photos: Lui à moto, lui à la plage, lui au fitness, lui en boite de nuit, lui en érection. Très vite elle l’a rencontré. Très vite il l’a prise. Très vite elle a joui.
Philippe a pris le relais, son sexe était étonnamment coudé ; puis Daniel, entièrement rasé ; Pierre-Alain, musculeux avec de tout petits testicules ; Richard, aux pratiques surprenantes ; Freddy est venu avec son ami Stéphane, une découverte ; Manu et ses grandes mains calleuses ; Antonio, un peu grassouillet ; Nicolas, obnubilé par son entrejambe ; Didier, avec qui elle est allée dans un club échangiste ; Olivier, qui est venu avec Lisa son épouse…
Et puis il y a eu Charles.
Charles est docteur en psychologie, il enseigne à l’université. Il fait très sérieux sur la photo de son profil. Des lunettes ovales, cerclées de fer, font ressortir ses petits yeux inquisiteurs, il est légèrement dégarni. Le philtrum, entre son nez bien droit et ses lèvres fines, forme une fossette très creusée, presque en forme de bec, qui sépare les poils de sa moustache en deux parties. Pour tout dire il ne respire pas vraiment joie de vivre.
Après 3 semaines d’échanges (durant lesquelles Christine a enchaîné les rencontres, dont une, particulièrement intense, l’ayant obligée de consulter en urgence les services gynécologique d’une clinique privée), Charles l’invite à prendre l’apéritif sur la terrasse d’Andrea’s un charmant restaurant italien, face au parc Bertrand.
Christine est conquise par son calme, son intelligence. Elle discute avec un confrère et est en terrain connu. Ils ont eu les mêmes professeurs, ont fréquenté les mêmes cours, parlent le même langage. Christine est conquise, son regard ne quitte pas ses yeux. Elle se lève, contourne la table et l’embrasse sur la bouche. Charles s’essuie les lèvres du bord de sa serviette.
Deuxième rendez-vous. Charles passe la prendre chez elle. Christine adore sa voiture, une Porsche Cayenne, le siège en cuir lui chauffe les fesses. Ils vont chez lui. Il a préparé un émincé zurichoise et des röstis. Il s’occupe de tout à la perfection, est très prévenant. Ils s’installent dans le jardin d’hiver pour prendre le café. Christine, prend à nouveau l’initiative, elle l’embrasse goulument, il entrouvre la bouche. Elle ouvre son pantalon, baisse son slip kangourou et se met à le lécher. Son vit, est de bonne taille, elle le prend entièrement dans sa bouche, l’aspire, le mordille, le suce… il demeure désespérément mou.
– Les débuts sont toujours un peu compliqués lui dit-il, j’ai besoin de temps.
Il la ramène chez elle, l’embrasse sur les deux joues avant de la quitter.
Troisième rendez-vous, cette fois chez Christine. Elle a commandé chez son traiteur un plat vietnamien avec un extra gingembre, a préparé un cocktail à base de la même racine et pour accompagner le café, des bâtonnets de ginseng confits enrobés de chocolat… Ce soir, elle veut conclure.
Charles arrive à 19h30 précise, il lui offre un pot de fleur avec un hortensia blanc.
Le dîner se passe bien, il semble être à l’aise et plaisante même sur le décolleté, très échancré, de la robe portefeuille qu’elle vient de s’offrir. Elle n’a pas mis de soutien-gorge, ses tétons dardent sous le tissu. Quand elle débarrasse, elle fait en sorte de bien se pencher dans sa direction. Un sein s’échappe, il détourne le regard.
Ils s’installent dans le sofa, elle lui prend la main et la met dans son corsage.
– Chérie, ce soir il y a un documentaire sur la première que j’aimerais beaucoup voir. On allume la télé ?
Elle se lève pour aller faire la vaisselle.
Quel con ce psy, pense t’elle très fort.