♤ Damon ♤
Après avoir pris ma douche, désinfecter mes mutilations, les avoir bandé et m’être habillé à l’arrache, je me rends dans la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner. C’est sans grande surprise que je découvre Joshua en train de déjeuner. Il se lève toujours aux aurores parce qu’il dort peu ou presque pas à cause de ses insomnies. Il est le patriarche et le sage du groupe puisqu’il est plus âgé que moi, Tyler et Isaac. Peter est la force tranquille et le père célibataire des Virgin Scared et bien nous, c’est Joshua. À la seule différence que lui n’a pas d’enfants. Enfin, je ne crois pas. Pour être honnête, son passé nous est totalement inconnu. Contrairement à Jared, Peter, Liam et Kane, nous ne nous sommes pas des amis d’enfance, notre groupe s’est monté au feeling et nous étions des inconnus pour les uns et les autres lors de notre rencontre, il y a six ans. Nous avons appris à nous connaître et à nous lier d’amitié au fur et à mesure de nos prestations, de nos tournées et de la création de nos albums. Cependant, Joshua est le plus taciturne d’entre nous au sujet de ses origines et son histoire.
Je me rends au frigo et l’ouvre. Je prends le bidon de lait et le jus d’orange, ainsi qu’une tasse et un verre. Je remplis le mug de lait, le verre de jus d’orange puis je range le tout.
— Bonjour Dem’. Tu as bien dormi ?, me salue-t-il en baissant le journal de devant ses yeux, sa tasse de café à la main.
— Comme d’habitude, lui réponds-je en tartinant du beurre de cacahuète sur une tranche de pain grillé. Et toi ?
— Pareil. J’ai entendu Zane gueuler et calquer la porte d’entrée au réveil, c’est normal ?
— Oui, je me suis comporté comme un enfoiré avec lui.
— Ce n’est pas nouveau ça, mais j’avoue qu’avec lui, c’est la première fois. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Rien d’important, dédramatisé-je en tirant sur une des manches longues de mon haut pour cacher mes bandages.
Sauf qu’il est loin d’être con et surtout, il me connaît par cœur. J’ai à peine le temps de terminer qu’il m’attrape le poignet et me retourne vers lui. Je dissimule une grimace de douleur comme je peux sous la pression de ses doigts sur mes entailles à vif.
— Je me disais aussi… Te balader en tee-shirt à manches longues au réveil, c’est plutôt rare.
Il abaisse ma manche de sa main libre et d’un coup sec.
— C’est quoi ça ? Tu as recommencé ?
— Lâche-moi, putain… Ça ne te regarde pas !, me révolté-je en me libérant violemment de son étreinte ce qui rouvre mes plaies.
— Oh que si ça me regarde Damon ! Parce qu’à force de jouer à la roulette russe avec ta vie et de brûler la chandelle par les deux bouts, un jour, tu vas finir par y rester !
— Crever, c’est tout ce que je veux depuis l’accident !, avoué-je dans un hurlement.
— Salut les mecs, ça va ?, nous lance Tyler en arrivant dans la cuisine en baillant.
Il a la gueule enfarinée. Ses cheveux sont en pagaille et la marque de son oreiller trône sur sa joue. Son intervention surprise fait disparaître la tension palpable entre moi et Josh presque aussi qu’elle est apparu. Je rabaisse aussitôt la manche de mon sous-pull pour cacher mon bandage avant boire mon jus d’orange et de récupérer ma tasse et ma tartine. Puis je me dirige vers le salon en prenant une banane dans le saladier.
— Au fait, Dem’, Lilith m’a appelé tout à l’heure.
— Et je peux savoir pourquoi ma sœur t’a appelé ?, l’interrogé-je, accusateur.
— Déstresse, vieux. Il ne se passe rien entre ta sœur et moi. D’un, elle est trop jeune pour moi et de deux, elle n’est pas du tout mon genre. Tout simplement, parce qu’elle cherchait à te joindre et qu’elle est tombée sur ton répondeur.
C’est vrai… J’ai oublié à mettre mon téléphone à charger, hier soir.
— Qu’est-ce qu’elle voulait ?
— Elle voudrait te présenter son nouveau crush, ce soir.
Encore, un ? Ma parole, elle les collectionne !
— Ah et elle veut que tu la rappelles aussi.
— Ok. Je le ferais après mon petit-déj’, conclué-je.Je me remets à marcher, mais il m’interpelle.
— Dernière chose. Jared t’attend dans le salon et il est seul.Cette nouvelle me fige sur place et j’en lâche ma tasse. Elle se brise en morceaux et le lait se repend sur le carrelage. Comme si mon début n’était pas assez pourri, il ne manquait plus que ça…
Qu’est-ce que Jared fait ici ? Qu’est-ce qu’il me veut ?
Notre dernière discussion remonte à un an, le jour de notre arrivée à Paris. Je l’avais surpris sous sa douche et il m’avait donné un coup de boule dans le nez. Sincèrement, je ne sais pas ce qu’il m’a pris de le toucher et d’embrasser sa peau comme si de rien était ce jour-là… Je crois que j’espérais naïvement, voire égoïstement qu’il m’aurait pardonné et accepterait de me redonner une chance. Malgré les années passées et mes erreurs, je n’ai jamais pu l’oublier, ni même cesser de l’aimer.
Pourtant, je me suis comporté comme un enfoiré de première lorsque l’ont été ensemble et j’étais incapable de lui montrer à quel point, je l’aimais. Tout simplement parce que à l’époque je n’arrivais pas à gérer mes sentiments à son égard ni à les canaliser car ils étaient beaucoup trop intenses, et ça m’effrayait. De plus, j’ai toujours eu la fâcheuse tendance à détruire tout ce que je touche et cela depuis mon enfance. Sauf qu’en voulant le protéger de cette fatalité, j’ai échoué comme d’habitude.
— Damon, m’appelle Joshua en posant sa main sur mon épaule. Tu veux que dis à Jared de repasser plus tard ?
Déconnecté de la réalité, je ne réagis pas à son contact ni à sa voix dans l’immédiat. Il me faut un moment pour revenir à moi.
— Non, c’est bon. Je… Je vais aller le voir.
— Tu es sûr ?, insite-t-il, inquiet.
— Oui… Fuir éternellement, ne m’apportera rien.
— Tiens, me dis Tyler en me tendant une nouvelle tasse de lait.
Je le remercie d’un signe de tête en la récupérant avant de me rendre dans le salon d’un pas incertain. S’il n’y avait que moi, j’aurais évité ce face-à-face avec mon enfer personnifié. Malheureusement, je n’ai pas le choix. De toute façon, cela me servirait à rien puisque Jared est particulièrement tenace lorsqu’il le veut. S’il est là aujourd’hui, ce n’est pas sans raison. De plus, la dernière fois que nous avons parlé tous les deux, il m’a envoyé chier en beauté. Ce qui me conforte dans l’idée que sa visite n’est pas anodine. Peut-être qu’il a réalisé qu’Andreas n’est pas fait pour lui . Et qu’il va accepter de m’accorder une seconde chance ?Non, je rêve tout debout là. Je le connais par coeur et je sais qu’il est vraiment amoureux d’Andreas et heureux avec lui. Aussi difficile à admettre que ça l’est pour moi, c’est la vérité. Il va falloir que je me fasse une raison et j’abandonne l’idée que Jared me reviendra un jour, je le sais bien. J’ai beau me haïr moi-même, jouer à la roulette russe avec ma vie et vouloir crever depuis l’accident, je n’ai qu’un égal face à tout ça et ce sont mes sentiments pour lui qui n’ont pas changé.
Bientôt, j’arrive dans le salon, où j’y découvre Jared qui tourne en rond avec nervosité. Notre pièce de vie est spacieuse et lumineuse, grâce aux baies vitrées qu’elle comporte. Quant à la décoration, elle mélange le moderne et le bois. Il y a un immense écran 4 K, un home cinéma, les canapés sont principalement d’angle et ils ont presque la taille d’un lit king size. Il y a aussi une grande cheminée sur lequel et posé d’innombrable photos de notre groupe, ainsi qu’une en souvenir de notre tournée avec Jared et les membres des Virgin Scared. Il s’arrête dessus, la prend et s’attarde dessus avec un très léger sourire aux lèvres, à peine visible.
— Shane avait dû t’obliger avec l’aide d’Andreas à poser parce que tu ne voulais pas être à côté de moi, lui rappelle-je en m’installant dans le canapé.
Je pose ma tasse de lait, ma tartine et ma banane sur la table basse avant de prendre une cigarette dans le paquet de Joshua.
— Je m’en souviens, confirme-t-il en la remettant à sa place.
Puis il pose ses yeux sur moi et mon cœur se met à tambouriner à tout rompre dans ma poitrine. J’ai des sueurs froides, les mains moites, des papillons dans le ventre et je tremble légèrement.
— C’est bien la première fois que je ne te vois pas torse nu au réveil. Si ce n’est pas à poil tout court.
— Étrangement, je me les gelais en sortant de mon pieu, ce matin. Alors, j’ai foutu les premières fringues qui me tomber sous la main.
— Ce n’est pas plutôt parce que tu as une nuit mouvementée et bestiale avec le type à moto que j’ai vu sortir de la villa en arrivant ?
J’esquisse un sourire moqueur audible sous ses mots dissimuler la gêne que je ressens.
— Je vois que je ne peux toujours pas te la mettre à l’envers. N’est-ce pas ?
— Effectivement, je te connais par cœur. Alors, c’est qui ce gars ? Ton plan Q de la veille ? Ton régulier ? Ou ton mec ?
— Tu tiens vraiment à parler de ça ?, l’interroge-je.
— Non. Mais comme tu as trouvé une excuse pour ne pas parler de lui, j’en déduis que tu as un minimum d’affection à son égard. Je me trompe ?
— Si tu es là, c’est uniquement pour me rappeler que je baise tout ce qui bouge, et que je suis un enfoiré ? Ou c’est pour autre chose ?, lui rétorqué-je, piqué au vif en le regardant.
— Non. Je suis venue parce que Shane m’a parlé de ta visite dans sa chambre d’hôtel lors de la tournée.
Super… Il manquait plus que ça. C’est vraiment la matinée la plus pourrie de ma vie ! Zane, Jared et maintenant ça ? Bon sang, je suis maudit ou quoi !?
— Je ne sais pas ce que Shane t’a raconté, mais j’étais déchiré ce soir-là. Je me souviens même pas de ce que j’ai dit ou fais, ni même qui j’ai baisé. Alors, si tu es venu pour ça, tu peux repartir…J’écrase ma cigarette et je récupère ma tasse de lait, ma banane et ma tartine.
— Je n’ai rien à dire !, déclaré-je en me levant.
Ceci dit, je m’en vais pour quitter le salon, mais il m’attrape le poignet pour m’en empêcher. Je serre les dents sous son étreinte pour ravaler mon grognement de douleur.
— Damon, attends.
Je dois me concentrer sur son rythme cardiaque que je perçois pour endurer cette sensation de brûlure au fer rouge insupportable exercé par la pression de ses doigts sur mes mutilations.
— Ça n’a pas été évident pour moi de faire le premier pas ni de venir ici. Alors peut-être que toi, tu n’as rien à dire, mais ce n’est pas mon cas. S’il te plaît, reste…
Je reste figé quelques instants à peser le pour et le contre. Je n’ai aucune envie de parler de cette nuit-là, ni de l’accident. Je veux juste m’enterrer dans un trou de souris, ne plus en ressortir et disparaître de la surface de la terre à tout jamais ! Tout comme je n’ai aucune envie de me replonger dans ce cauchemar éveillé ou non qui me hante 7/7j pendant les 365 jours de l’année. Oublier ? Je ne peux pas et vivre avec non plus. Je me contente de survivre contre mon gré sans rédemption possible depuis le jour, où je l’ai laissé pour mort dans cette foutue voiture et ce putain de ravin. Je ne comprends pas pourquoi il est là, ni ce qu’il veut me dire, mais je ne veux pas l’entendre. Je ne peux pas, c’est au-dessus de mes forces.
— Je suis désolé…, s’excuse-t-il.
Ces trois mots me hérissent les poils et me mettent dans une rage folle et silencieuse. Je détourne mon visage vers lui et le fusille du regard.
— Pourquoi tu t’excuses ? Tu es la victime, pas le bourreau. Alors, ne dis plus jamais ça, tu’entends !?
Il sursaute devant mon accès de colère incontrôlée et se fige quelques instants. De mon côté, je n’en mène pas large. Je me sens nauséeux et mon poignet me fait un mal de chien. Je me bouffe l’intérieur de la joue pour gérer la douleur et pour lui avoir crié dessus. Aujourd’hui comme hier, je suis incapable de contrôler mes émotions face à lui. Son regard, son visage, sa présence, les effluves de son parfum flottant dans la pièce et notre proximité me désarme complètement et me rend vulnérable.
— Toi aussi Damon, tu es une victime et non, un bourreau.
— Si c’est pour dire ce genre de conneries, rentre chez toi. Ça vaut mieux.
Je libère mon poignet de son étreinte, quitte à rouvrir définitivement mes blessures et je me remets à marcher sans demander mon reste.
— Pourtant, c’est la vérité. Tu n’es pas responsable de d’accident. De plus, celui de nous deux qui en a le plus souffert et continue de le faire à l’heure actuelle, c’est toi… Et seulement, toi, Damon.
Je m’arrête sous ses mots et serre la mâchoire de toutes mes forces. Dites-moi que je rêve ? Comment il peut dire ça ? Je suis l’unique responsable de cet accident et de ce qu’il a enduré par la suite. Si je n’avais pas bu ce jour-là… Ni même rouler à une vitesse dépassant l’entendement ou grillé cette putain de priorité, rien de tout ça ne serait jamais arrivé. Il n’aurait pas fini dans le coma. Il n’aurait pas été paraplégique et il n’aurait pas eu à subir ces opérations pour retrouver l’usage de ces jambes. Non. Tout ça, c’est de ma faute et uniquement de la mienne parce que je suis un désastre ambulant. Une arme de destruction massive depuis que je suis gosse. Je ne sais rien faire d’autre que de bousiller les gens que j’aime et baiser tout ce qui bouge. Je suis condamné à être seul pour le restant de mes jours parce que c’est le seul moyen que j’ai pour protéger les autres de la calamité que je suis. C’est la seule chose à laquelle j’ai le droit et mérite pour le mal que j’ai fait. Surtout a l’homme que j’aime. Ma kryptonite. Mon enfer personnifié et personne ne pourra jamais changer ça.
— Damon, écoute-moi. Tu…
— La ferme ! Tu crois me connaître, mais tu trompes ! Tu ne sais rien de moi ! Je t’ai abandonné dans ce ravin pour aller baiser Isaac parce que je suis un enfoiré ! J’en avais rien à foutre que tu sois mort ou vivant ! Je me faisais chier avec toi et j’en avais marre de jouer au petit couple ! D’ailleurs, qui te dit que je n’ai pas fait exprès de picoler et de griller cette priorité pour justement me débarrasser de toi !? Personne ! Alors, arrête de croire que tu m’as cerné parce que tu es loin du compte, mon pauvre Jared !
Je m’interromps un court instant pour reprendre mon souffle et de continuer en baissant d’un ton.
— Un conseil, occupe-toi de ton cul, de ton mec et dégage d’ici ! Je ne veux plus jamais à voir dans les parages. À partir d’aujourd’hui, tu es sur la black-list de la sécurité. Elle ne te laissera plus entrer et cela sous aucun prétexte.
Ceci dit, je quitte définitivement le salon et je regagne ma chambre à l’étage en claquant la porte.