Quand la force revient au point d’être en mesure d’ouvrir une paupière, je me rends compte que je suis sur un lit médicalisé, le corps couvert de bandages, de pansements et autres attèles aux membres inférieurs. Subitement, et en dépit des anti-douleurs que le corps médical m’a administré, je perçois une vive inflammation à la mâchoire et au poignet droit. La brute du sous-sol m’a réduit à l’état d’éponge. Sans consulter un médecin, je sais déjà que j’ai au moins une fracture du poignet et des métatarses. Ma vue se brouille, le décor tangue, j’ai l’impression d’être sur un voilier au milieu d’un Atlantique déchaîné par une tempête. Aussitôt, je vomis sur moi. Une vase laiteuse se répand sur ma chemise de nuit, concentré de médicaments et de nourriture d’hôpital envoyé par sonde directement dans un estomac tuméfié. J’ignore le jour et l’heure et, plus important encore, j’ignore où est Lucy. Dans la chambre, la décoration me rappelle que je suis toujours à Moscou. Une photo encadrée de Vladimir Poutine en témoigne au-dessus de la table sur laquelle repose des gobelets vides et des gants en latex. A travers la porte vitrée, médecins et infirmières vont et viennent dans tous les sens, sans doute affrétés au secours de personnes vulnérables pendant la tempête. J’ai le sentiment d’avoir été à la fois mis en sécurité et au placard, que tant que quelque chose de grave ne m’arrive pas, personne ne viendra requérir de mes nouvelles. Pas un seul membre du voyage n’est présent, pas un seul bouquet de fleurs comme il est de coutume. Rien. Juste moi, mes souffrances et ma solitude. La réflexion, exercice souvent chronophage, demeure tout ce qu’il me reste, momifié sur ce lit aux ressorts grinçants. Je pense évidemment à Lucy et à cette bande de merdeux. Comment ce connard a-t-il pu employer un cogneur comme la brute aux Marlboro pour “éliminer” un problème comme moi ? Quel est le but avoué derrière leur acharnement contre elle et, par extension, contre moi ? J’ai soudain très peur en imaginant les conséquences d’un viol collectif ou, pire encore, que l’on ne retrouve jamais son corps. Sans trembler, les larmes se forment dans mes yeux aux vaisseaux sanguins déjà éclatés. Je me dis que toute cette merde n’est arrivée que par ma faute. Pourquoi ai-je voulu m’interposer pour la défendre ? Pourquoi ai-je joué les durs ? Mais surtout, la question qui me turlupine : pourquoi suis-je venu dans ce pays à la publicité aguicheuse et à la réalité si brutale ? J’esquisse malgré tout un sourire difficile en pensant à ma Twingo garée à l’arrache à l’aéroport. Ou encore au chat d’une voisine qui prenait de plus en plus l’habitude de pisser sur mon paillasson. Ces choses du quotidien me manquent, je ne suis ici clairement pas à ma place. Qu’est-ce qui me retient de rentrer en France ?
Lucy.
Pourquoi ne sort-elle pas de ma tête ? Pour elle, je suis immobilisé sur ce lit. Pour elle, j’ai frôlé la mort dans ce sous-sol. Pour elle, j’ai presque sacrifié tout ce que j’avais. Et pour quoi ? Non seulement, je vois bien dans ces paroles et ces gestes qu’elle ne sera jamais plus qu’une amie voire une confidente mais en plus, ma présence dans sa vie l’a sans doute mené vers un chemin hostile, pour ne pas dire fatal. Je n’ose pas croire que ces types aillent jusqu’à l’absolutisme meurtrier mais, sait-on jamais… Des histoires de ce genre qui finissent mal pour effacer les preuves, combien en existent-ils chaque année ? Pas de corps, pas de crime. Une disparition sur un territoire grand comme la Russie d’une touriste française qui, selon d’éventuels témoins, s’amusait à boire un verre entre copines, pourrait être perçu comme un souhait de s’affranchir. Les autorités mettraient peut-être une semaine, un mois avant d’entamer des recherches sans la moindre conviction. D’ailleurs, j’y pense mais je n’ai pas souvenir d’avoir été interrogé par un quelconque flic depuis mon arrivée ici. Malgré mon état, n’y ont-ils pas vu, au regard de mes blessures, l’importance d’une déclaration ou d’un dépôt de plainte contre x ? Je ne sais plus si les médicaments me font perdre la tête ou si les coups ont contribué à un traumatisme crânien. J’ai une envie terrible de fumer et de quitter cet endroit. Je me fais la promesse intérieure de prendre le premier avion pour Roissy, avec ou sans Lucy.
La porte s’entrouvre doucement et s’immobilise un instant. J’entends deux voix communiquer en russe sur le pas. Un homme et une femme. Puis, la femme entre et referme derrière elle. Infirmière, blonde, la quarantaine, les traits du visage tirés à l’extrême par une fatigue tout aussi extrême. Elle inspecte les notes médicales au pied du lit, jette un œil vers ce qui reste de Maxime Duplantier et marmonne quelque chose d’incompréhensible avant de remettre le dossier sur le socle et de s’approcher de moi. Elle vérifie les différents dispositifs reliés à moi par cathéter et appuie sur les boutons d’un moniteur ECG. Tant que je n’entends pas de sonnerie bizarre, je continue de respirer normalement. Elle vérifie si mon lit est propre et si j’ai fait mes besoins avant de retirer les draps supérieurs pour mettre des propres au pied du lit. Puis, elle m’aide à me relever. Ô joie, ô bonheur, je vais sortir !! Mais, la joie n’est que de courte durée, elle m’entraîne juste sous la douche, ôte ma tenue salie par le vomi et, malgré les câblages, me fait une toilette rapide et vigoureuse. Je me sens à la fois comme un bébé et humilié par cette impuissance. Cette fois, je ne peux m’empêcher de fondre en sanglots sous le regard compatissant de l’infirmière.
Au fond de ma tête fracassée, j’ose une prière : “Lucy, si tu es quelque part près d’ici, j’espère de tout cœur qu’il ne t’est rien arrivé de dramatique. Aussi, je souhaite que tu me retrouves si tu en es capable. Rentrons en France. Je t’attends Lucy.”
Quand Lucy arrivera à se dépatouiller de sa brute. Elle viendra sauver Maxime !
Juste un petit "grrr" pour le cliché de la photo de Poupou dans la chambre d’hôpital. On peut trouver ça à la rigueur dans le bureau du directeur de l’hôpital mais dans les chambres… franchement, hein ?!
Gaëlle, dit bien à Lucy qu’elle n’oublie pas le ramasse miette quand elle viendra sauver son Maxime, hein ?! Non parce que vu l’état où il semble être…
Mdr, oui il faut une éponge pour le ramasser le pauvre bougre, c’est vrai qu’il a prit très cher.
Pour le tableau de Poutine, c’est vrai que ça fait cliché mais j’ai vu des photos de chambres d’hôpital russe avec c’est pour ça que je n’ai pas hésité. Comme si le fait de voir leur guide aidait les patients à guérir vite lol. En tout cas les suites arrivent plus vite désormais