Carmen
― Une voiture ?!? Amusé par ma remarque et surement par mon air de merlan fris, mon professeur m’observe, sourire moqueur et sourcils haussés ornant son visage. Je fronce les sourcils et croise à mon tour les bras contre ma poitrine tandis que son rire s’élève.
― Bien-sûr ! A quoi t’attendais-tu ?
― Eh bien… je ne sais pas, je vous imaginais en train de planer dans les airs jusque l’université. Son rire reprend de plus belle, sérieusement Carmen, réfléchis un peu avant de parler…
― Non ! Franchement, au risque de me faire repérer des humains, ils sont tellement peu ouverts d’esprits que je finirai sur une table chirurgicale à me faire disséquer par des scientifiques… Il a dit ça d’un ton on ne peut plus sérieux, tout éclat de rire a disparu de sa voix et son regard s’est assombri. Il suffit de voir comment ils vous traitent, des détraqués… Je ne relève pas sa dernière phrase.
― Alors vous pouvez vraiment voler ?
― S’il n’y avait qui ça… mais ce n’est ni le l’endroit ni le moment pour parler de ça. Dépêche-toi de monter à bord !
Je lui obéis sans rechigner et monte à bord de ce qui ressemble à une vielle Nissan grise, plus toute jeune et pas en très bon état. Couverte de coups et de griffes, je me demande si ce tas de ferrailles et toujours en état de rouler et s’il ne risque pas de s’effriter une fois passés les 30 kilomètre-heure.
― Ne t’inquiète pas pour la voiture, elle est parfaitement capable de rouler. Ne t’a-t-on jamais appris à ne pas juger les apparences.
C’est moi qui deviens folle ou ce type lit dans mes pensées ? Il sourit de nouveau sans pour autant me regarder et monte, à son tour, à bord de son tas de ferraille. Bon, oui, il lit dans les pensées…
Tandis qu’il s’installe derrière le volant, il met le contact et je me cramponne à mon siège tout en espérant que le capot de la voiture ne s’arrachera pas au premier coup d’accélération. Contre toute attente, le moteur démarre immédiatement et se met à ronronner d’une douce vibration, à peine avons-nous parcouru quelques mètres que le bruit du moteur s’estompe et disparaît. Abasourdie, je tourne la tête vers mon professeur qui me regarde, sourire au coin des lèvres, l’air de dire « Je te l’avais bien dis ! ».
***
Bien que je sois déjà venue ici auparavant, c’est comme si je découvrais les lieux pour la première fois. Même si l’immeuble est de taille assez raisonnable, il semble tout de même vétuste et en piteux état. La peinture beige ornant les murs commence à s’effriter, laissant apparaître les premières fissures zigzagant sur le béton.
Perdue dans ma contemplation, je ne remarque même pas que mon hôte a déjà avancé vers l’entrée de l’immeuble et m’attends gentiment en me tenant la porte. Je finis par le rejoindre et entre, celui-ci me fait passer devant lui et me guide vers un ascenseur, lui aussi en mauvais état. Nous entrons chacun notre tour dans l’ascenseur, je sens M. Ennon forcé de se rapprocher de moi à cause de l’étroitesse du lieu, nos épaules se touchent et mon cœur manque un battement tandis qu’un frisson me traverse le corps. Me retrouver collée à lui dans un espace aussi restreint ne me laisse pas de marbre, avouons-le. J’ai l’impression de rejouer un remake de Grey’s Anatomy avec ces fameuses scène dans l’ascenseur… Hum Professeur Mamour n’a qu’à bien se tenir… Celui-ci appuie sur le bouton du quatrième étage, le dernier, et l’ascenseur se met en route. Si mes doutes s’avèrent exacts et qu’il peut bel et bien lire les pensées des gens, il ne laisse, cette fois-ci, rien paraître sur son visage et préfère fixer la porte devant lui. L’ascenseur s’arrête, signe que nous sommes arrivés. Les portes se réouvrent et laissent apparaître un long couloir sombre et vide de monde. En sortant, je n’aperçois qu’une seule porte, portant le numéro 51. M. Ennon s’avance vers celle-ci et avant de la déverrouiller se tourne une dernière fois vers moi. Je remarque alors que je n’ai pas bougé d’un mètre et que j’attends toujours devant la porte de l’ascenseur. Je prends une grande bouffée d’air, la sens remplir mes poumons, et décide enfin à m’avancer vers lui. Il ouvre la porte et m’invite à entrer.
Contrairement au reste de l’immeuble, l’appartement de mon professeur est on ne peut plus moderne. Bien que la décoration soit sobre et ne manque cruellement de personnalisation, l’endroit est accueillant et étrangement chaleureux. Je dépose mes affaires, c’est-à-dire mon sac à dos, sur une des chaises du comptoir dans la cuisine et ose enfin prendre la parole.
― Bon… Je suppose que je suis prête, par quoi commençons-nous Monsieur… Mais il me coupe en plaçant son index contre mes lèvres. Je sursaute en ouvrant grand les yeux tandis qu’il poursuit.
― Je t’arrête tout de suite ! Pas de vous ici, nous ne sommes pas à l’université, ici je suis Kalel, je ne suis plus ton professeur mais simplement ton… il s’arrête semblant réfléchir au terme qui pourrait mieux lui correspondre.
― Entraîneur, Maître, Instructeur, éducateur ? Je peux encore vous… t’en citer d’autres…
― Entraîneur c’est bien. Bref, si tu veux commencer à t’entraîner mieux vaut arrêter de perdre plus de temps. Suis-moi, je vais te montrer la chambre.
― La chambre ?!? Je m’arrête nette, je ne vais tout de même pas le suivre dans sa chambre ! Mais je le vois soupirer et lever les yeux au ciel. Le regard sévère et glacial il me fixe avant d’enchaîner.
― Pas ce genre de chambre… Dépêche-toi de me suivre ! Honteuse, je baisse la tête et me résigne à le suivre en traînant les pieds… c’est louche cette histoire.
La cuisine n’est pas très grande comparée à l’immense salon qui meuble le reste de la pièce à vivre, à peine meublée elle comporte tout juste le stricte nécessaire pour cuisiner, elle possède néanmoins un comptoir, qui sert de bar, à couper le souffle. La cuisine mène directement au salon, donc également à la salle à manger, qui, eux, comportent tout ce dont un humain lambda pourrait avoir besoin. Kalel me fait traverser l’immense salon pour rejoindre une porte dissimulée derrière un somptueux canapé noir en cuir, orné d’une couverture en laine gris et de quelques coussins de la même couleurs, seul touche de déco dans cet appartement.
Il ouvre la porte et je découvre stupéfaite qu’il m’a emmené jusque sa chambre. Je le fusille du regard et croise les bras contre ma poitrine. J’ouvre la bouche prête à gronder.
― Pas de conclusions hâtives !
Sans même attendre ma réponse, il se dirige vers le fond de la pièce et pose la main à plat sur le mur blanc. Soudainement, un rectangle plus clair s’illumine autour de sa main et lorsqu’il l’ôte, l’empreinte de sa main se dessine clairement sur le mur. Bouche bée, j’observe le mur se dématérialiser pour laisser apparaître une double porte en fer.
Tandis qu’il ouvre la porte, qui, bien qu’elle semble lourde, n’émet aucun son, et me somme de le rejoindre. Muette j’avance vers lui et entre dans la « chambre ».
***
Cette pièce est vraiment immense, bien l’appartement prenne tout l’étage de l’immeuble, il me semble que cette chambre fasse le double de cet appartement !
L’endroit est très sombre et froid, aucune fenêtre n’a été installée pour permettre au soleil de percer ces épais mur de béton afin d’illuminer et de réchauffer la salle. Au moment même où je me fais cette réflexion, de multiples plafonniers s’allument et inondent la pièce d’une vive lumière blanche. L’éblouissement est totale et j’ai besoin de plisser les paupières en plaçant mon avant-bras en visière devant mon visage. Peu à peu, l’éclairage se fait plus doux, ou peut-être que je m’y suis habituée, et me permet de distinguer une imposante machine au centre de la pièce. A croire que la lumière n’est pas un problème pour lui, Kalel a déjà atteint cette machine et pianote sur ce qui semble être un immense clavier d’ordinateur, avec bien plus de touches. En m’avançant d’un peu plus près, je m’aperçois que le clavier est surmonté d’un petit écran encastré dans la machine, sur lequel est inscrits des dizaines de phrases écrites dans un langage qui m’est totalement inconnu. Les doigts de Kalel survolent le clavier à une vitesse folle et je vois les phrases s’enchaîner. Puis, il s’arrête net et se tourne vers moi. Il semble remarquer à quel point je suis perdue face à ce monstre de ferraille et hoche la tête tout en commençant les explications.
― Bien. Tu te trouves actuellement dans ma chambre forte. Cette pièce a été créée spécialement sur demande et ne fait pas réellement partie de l’appartement, ici l’espace est infini, elle me permet à la fois de m’entraîner contre des machines mais également dans des paysages tous plus réels les uns des autres. Le tableau de bord qui se trouve juste devant toi est en fait le moteur de la chambre, il permet de créer tout ce dont j’ai besoin pour m’entraîner.
Il s’arrête un instant dans ses explications pour contourner la machine et je le suis, curieuse d’en apprendre d’avantage. Il me montre un bouton sur lequel il me demande d’appuyer. D’abord réticente à l’idée de déclencher une catastrophe je finis par m’exécuter. Une trappe se dessine alors sur la parois de la machine et un tiroir jaillit en dehors de la parois. Dans ce tiroir se trouve ce qui semble être un scanner d’empreinte digitale. Kalel acquiesce tout en attrapant mon poignet droit pour y déposer ma main. Au contact de ma peau, le scanner s’illumine et trace le contour de ma main. Je sens une douce chaleur jaillir sous ma main et traverser mon corps. Puis, le scanner s’éteint, j’ôte ma main et la trappe se referme immédiatement. C’est alors qu’une voix retentit et je sursaute.
― Bonsoir Carmen, bienvenue. Je suis Nox, l’ordinateur de bord de cette chambre forte. Je suis là pour vous guider à travers votre apprentissage.
Abasourdie, je tourne le visage vers Kalel en l’observant avec des yeux ronds. Comme s’il s’adressait à une vraie personne, Kalel informe le robot qu’il n’a pas besoin de lui pour l’instant. Nox, lui souhaite alors une bonne journée avant de s’éteindre.
Encore un peu étourdie par cette découverte, je finis par enfin prendre la parole.
― Bien, et comment fonctionne cette… chambre forte, en quoi Nox peut-il m’aider lors de mes entrainement.
― C’est très simple, maintenant que tu es enregistrée dans la machine, Nox va se connecter à ton cerveau, ou plutôt à tes pensées. Cette chambre forte se contrôle par la pensée. C’est-à-dire, que lorsque tu seras en pleine phase d’entrainement, dès que tu penseras ou imagineras quelque chose celle-ci prendra vie sous tes yeux.
― Simple, en effet… il lève les yeux au ciel et continue.
― Au début, c’est moi qui contrôlerai et choisirai chaque séance que tu devras réaliser. On va commencer par quelque chose de simple avant d’entrer dans le concret. Assis-toi, Nox peux-tu baisser la lumière s’il te plait ?
Immédiatement, la lumière se tamise et plonge le visage de Kalel dans l’ombre. Ses traits s’adoucissent alors qu’il se concentre et je ne peux m’empêcher de l’observer dans les moindres détails. Ses épais sourcils mettent parfaitement en valeur ses yeux sombres et intenses qui prennent une toute autre teinte avec la lumière, à moins que ce ne soit à cause d’autre chose, ses lèvres fines remuent à chaque fois qu’il ouvre la bouche. En l’observant de plus près, je le trouve vraiment beau et incroyablement attirant. Je plonge mon regard dans ses prunelles d’une noir intense et les vois s’illuminer en croisant mon regard. Soudain son rire me sort de ma contemplation. Honteuse, je détourne le regard et sens mes joues se réchauffer. Heureusement que la luminosité est trop faible pour qu’il me voit rougir…
― Tu arriveras mieux à faire ce que je te demande si tu m’écoute. Même si le ton de sa voix est moqueur, je sais qu’il s’impatiente et qu’il aimerait pouvoir passer à autre chose. Je hoche la tête et tente de me reprendre.
― Bien, alors comme je te le disais, avant de passer aux cas concrets et de te lâcher dans l’arène, voyons si tu es capable de ressentir ton pouvoir et d’en maîtriser la force. Parfaitement concentrée, je bois chacune de ses paroles et m’exécute immédiatement, il faut à tout prix que je m’améliore.
― Tu vas d’abord fermer les yeux, je veux que tu ne te concentres que sur toi-même et sur le son de ma voix, oublie le reste, oublie où tu te trouves et pourquoi tu es là, ne pense plus à rien mis à part ton pouvoir.
Au fur et à mesure que Kalel me donne ses instructions, je me détends et me concentre un peu plus.
― Il faut que tu parviennes à le ressentir, à sentir sa présence en toi, laisse-le venir à toi, ne le rejette pas. Il fait partie intégrante de toi. Imagine-le, imagine sa couleur, sa forme, l’aspect qu’il pourrait avoir en toi, imagine-le se propager dans ton corps, telle une fumée qui se propagerait dans l’atmosphère, sens-le se déplacer, remplir l’entièreté de ton corps ; tes muscles, tes organes, ta peau, chacune de tes cellules.
Je fronce les sourcils en sentant mon pouvoir se manifester, je le sens bouillonner dans mes veines, ne désirant qu’une seule chose, que je le libère. Je tente d’abord de le repousser mais ça ne sert à rien, alors je le laisse faire. Je le sens exploser en moi, une vague de chaleur se propage dans tout mon être. J’en frissonne de plaisir et ne désire plus qu’une chose à mon tour, le libérer. Les mains posées sur les genoux, je sens la chaleur sortir de mes paumes de mains, la sensation est incroyablement agréable. Je finis par briser complètement cette carapace dans laquelle je m’enfermais et laisse cette douce chaleur sortir de mon corps.
― Ouvre les yeux maintenant.
La voix de Kalel me sort peu à peu de ma torpeur et je me reconnecte avec la réalité en ouvrant progressivement les yeux. J’observe alors dans mes mains, deux boules de vapeurs étrangement colorées de rouge. Ébahie, je les observe tourbillonner dans mes paumes de main. L’atmosphère se réchauffe et la pièce est bientôt inondée d’une douce lumière rougeâtre. Le sourire de Kalel s’élargie lorsque je prononce.
― Le feu !
Ce n’est certainement pas ce à quoi je m’attendais. Inconsciemment, le premier pouvoir invoqué est celui que j’aurais normalement immédiatement refoulé. Immédiatement, l’angoisse resurgit et je tente de refouler ce pouvoir, la lumière s’affaiblie déjà tandis que la voix de Kalel reprend le dessus.
― Ne fais pas ça. Même si tu as peur de revivre cet incendie, laisse-le s’exprimer. Laisse-le sortir, laisse-le te montrer toute la force de son pouvoir, de TON pouvoir. Tu es capable de le faire, ne laisse pas la peur te bouffer de l’intérieur et t’empêcher de révéler la force de ton talent.
Sa voix s’adoucit et je sens peu à peu la peur diminuer quelque peu. Respirant à plein poumon, je me reconcentre sur ma tâche. L’adrénaline battant dans mes veines, l’angoisse est désormais un mauvais souvenir et je sens mon pouvoir m’enivrer une fois de plus. Mais cette fois-ci, je le libère complètement. La lumière s’intensifie tout autant que la chaleur, le visage de Kalel est désormais baigné d’un puissant halo rouge. Je sens que je peux pousser un plus mon pouvoir, celui-ci vibre toujours dans mes veines. Je fronce les sourcils et sens mon cœur s’emballer, je commence à fatiguer mais je ne me laisse pas abattre pour autant, la lumière s’intensifie et la boule de vapeur se métamorphose en véritable feu. Une flamme ardente brûle au creux de mes mains. Je l’observe danser dans mes paumes de mains, la chaleur est douce contrairement à ce que j’aurais pu penser.
Le regard plein de fierté, Kalel m’observe attentivement, un immense sourire fiché au coin des lèvres. Ses pupilles brillent désormais d’une douce couleur orangée, reflétant la couleur de la flamme qui jaillit de mes mains.
Haletante, je finis par être obligée de renvoyer mon pouvoir qui, bizarrement, se laisse faire pour une fois. La flamme disparaît peu à peu tandis que l’adrénaline quitte elle aussi mon corps. Je me sens alors trembler comme une feuille. La respiration hachée, je sens mon cœur battre la chamade. Je relève enfin les yeux vers Kalel et admire son sourire. Enfin, il prend la parole.
― Passons aux choses sérieuses maintenant !
***
― On va commencer en douceur.
La voix de Kalel raisonne dans mon esprit. Bien qu’elle paraisse lointaine, comme tout droit sortie d’un haut-parleur, je l’entends distinctement me dicter ses consignes.
― Normalement, la machine aurait dû directement être reliée à son utilisateur, c’est-à-dire toi, mais pour aujourd’hui, elle ne sera connectée qu’à mon esprit seul.
Il s’écoule un long moment durant lequel Kalel ne dit plus rien, à un moment, j’ai même l’impression qu’il a disparu. La salle d’entrainement s’efface progressivement de mon champ de vision pour laisser place aux ténèbres. Je ne vois ni n’entends plus rien, le froid s’empare peu à peu de mon corps, me faisant frissonner.
La lumière finit par revenir lentement, inondant agréablement la pièce d’une faible lueur orangée, tandis qu’une douce chaleur vient caresser ma peau, arrêtant au passage les quelques frissons qui perduraient.
― N’oublie pas, la machine se sert de tes peurs pour alimenter la simulation. Rien de ce que tu verras n’est réel, même si tu as l’impression d’être blessée, ça ne sera jamais le cas.
Comment peut-elle se servir de mes peurs alors qu’elle n’est pas reliée à mon esprit …
La voix de Kalel disparaît pour de bon et un paysage de flamme se dessine progressivement devant moi.
***
« Rien de tout ceci n’est réel… Rien de tout ceci n’est réel… ». Pourtant, j’ai clairement l’impression que les flammes devant moi le sont. La chaleur émanant de ses flammes me brûle la peau, c’est une véritable fournaise.
Je regarde autour de moi, il n’y a rien d’autre que des flammes, des flammes immenses prêtent à se jeter sur moi et m’engloutir. Terrifiée, je tente de reculer mais la brûlure du feu est si vive que j’en hurle. Je me roule en boule, cherchant à me mettre en sécurité, et prends ma tête entre mes mains. J’essaie de me calmer, en vain. Les tremblements et les sanglots refusent de se calmer et bientôt je les entends de nouveau. Les voix, les cris, les fenêtres qui explosent sous la chaleur. Je sens presque l’odeur de bois qui flambe et de chair brûlée. J’ose alors ouvrir les yeux et un cris d’angoisse jaillit de ma gorge. Les murs en flamme, les vitres explosées, les poutres menaçant de s’effondrer et de m’assommer. Le paysage prend lentement la forme de cet immeuble où j’ai lamentablement laissé ces pauvres innocents mourir. C’est beaucoup trop réel, je n’y arrive pas. La voix de Kalel raisonne de nouveaux dans mon esprit, il m’ordonne de me reprendre, de maîtriser ma peur, mais c’est beaucoup trop. J’entends de nouveaux les morts me hurler que c’est ma faute, que je n’ai pas su les aider, que je ne suis qu’une incapable. C’est trop, il faut que ça cesse !
― Arrête ! Je t’en prie arrête !!
Roulée en boule, la tête entre les mains, je me balance d’avant en arrière, telle une enfant apeurée. Le corps secoué par les sanglots, je ne remarque même pas que la simulation à soudainement pris fin. Je ne me réveille brusquement que lorsque Kalel pose ses mains sur mes épaules et tente de me relever.
Même si tout cela n’était pas réel, la brûlure est encore ancrée sur ma peau et le contact des mains de Kalel sur mes épaules ne fait que raviver la morsure de la brûlure.
Je me jette en arrière, rampant au sol pour échapper aux mains de Kalel et regarde autour de moi, guettant l’apparition de la moindre étincelle, de la moindre flammèche. Il s’approche de moi et tente de me rassurer.
― C’est terminé, tout va bien. Calme-toi, tu es en sécurité…
Ces mains s’approchent de moi et je hurle cherchant à le repousser.
― Stop ! Ne t’approche pas de moi, ne me touche surtout pas ! Comment as-tu pu faire ça ?
― Il fallait te confronter à tes peurs, pour te permettre de les maîtriser et de maîtriser ton pouvoir…
― Mais c’était beaucoup trop tôt !
Recroquevillée sur le sol, j’entoure mes genoux de mes bras et y enfouies ma tête. Les larmes ne cessent de couler. Je tremble comme une feuille et gémis de peur et de douleur.
Lamentable… Je suis tout simplement lamentable, mais je m’en fiche. J’entends encore les voix des victimes de l’incendie me hurlant que je les ai laissé tomber, que je n’ai pas été assez forte pour les sauver…
Les bras de Kalel finissent par m’entourer et me serrer dans une douce étreinte. Il me tient tendrement contre lui et me caresse doucement le sommet du crâne, approchant mon visage de son torse. Je finis par m’accrocher à sa chemise, reniflant entre deux sanglots qui ne semblaient pas vouloir se calmer, bien au contraire, mes larmes coulaient abondamment sur mon visage et sur la chemise de Kalel, détrempant une bonne partie de son torse.
― Tu… Tu n’avais pas le droit… Parvins-je à murmurer.
Il ne dit rien. Se contentant de me serrer dans ses bras et de me caresser les cheveux. Et à vrai dire, il ne m’en faut pas plus pour me sentir mieux et me calmer. Rapidement, les sanglots et les tremblement se calment, ma respiration se fait moins chaotique et je finis par m’endormir dans ses bras, complètement épuisée.