BILLY ET TCHAD : DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR – CHAPITRE 2

5 mins

    Comme vous avez pu le voir, mon grand-père n’est pas d’une grande tendresse, et n’a pas un tact particulier. Il n’a jamais vraiment su comment dire les choses avec finesse. Quand il parlé de mon père cela m’a empli d’un profond sentiment de colère, une rage que j’ai de plus en plus de mal à cacher. Quand on grandit, on veut savoir d’où l’on vient, qui sont nos parents. Mon histoire est difficile mais je vais vous la raconter.

    Je suis né en Arizona, dans la ville de Phoenix, un état et une ville réputés pour connaitre des températures qui frôlent souvent la barre des 40 degrés. Pour ne rien arrange, je vois le jour un 18 juillet, en plein milieu de l’été. Selon mon grand-père, c’était l’une des journées les plus chaudes qu’il a connu. Le thermomètre a atteint la barre des 45 degrés. Mais bon ne nous attardons pas trop là-dessus. Ce jour-là, ma mère, Caroline, accouchait de son deuxième enfant, 3 ans après ma sœur, Emily. Quant à mon père, Gabriel, était fier et ému de présenter son fils.

    J’étais un enfant timide et introverti, vivant chaque jour avec la peur d’être rejeté par les autres, de ne pas pouvoir m’assimiler à un groupe, à une masse qui grouillait et qui m’effrayait. Souvent dans mon monde à m’imaginer tout un tas de choses.

    Le mercredi 8 octobre 1975, reste un jour que je ne peux pas effacer de ma mémoire, les images sont restées gravés dans ma mémoire, comme imprimées à l’encre indélébile sous mes paupières, pour que je ne les oublie jamais, même en dormant. Des souvenirs à m’en glacer le sang et à m’en pâlir le teint. Mon père avait prévu un petit week-end en famille pour fêter l’anniversaire de ma mère. Nous nous rendions donc en voiture à Cleveland, dans l’Ohio, ville de naissance de ma mère. Mon père voulait l’emmener sur la trace de ses souvenirs d’enfance et nous faire profiter de deux jours dans une ville magnifique au bord du lac Érié. Mon père conduisait notre Ford Taunus dans ce gigantesque dédale de rues.

     J’étais confortablement assis à l’arrière, à ma droite, ma sœur, la tête posée contre la vitre, à regarder les immeubles défiler au rythme du morceau qui passait à la radio. Mes parents étaient joviaux, chantant à tue-tête toutes les musiques qui passaient. Une belle journée d’automne semblait s’offrir à nous, d’autant que le soleil était de la partie.

    Nous arrivions à un carrefour, mon père s’arrêta naturellement au feu rouge. Nous patientions tranquillement, mais le feu semblait refuser de repasser au vert. Une minute, deux minutes, cinq minutes. Mon père se voulant rassurant nous dit que tout était normal. Ma mère, n’étant pas de cet avis, lui demande de sortir et de chercher une cabine téléphonique pour tenter de contacter le service de maintenance de la voirie. Il sortit et commença à s’éloigner, cherchant du regard une cabine. Il finit par en trouver une, il y rentra et composa le numéro, 1-227-555-987 sur le combiné. Un homme décrocha et se présenta :

Homme au téléphone – Allô !

Gabriel – Bonjour !

Homme au téléphone – Que me vaut votre appel ?

Gabriel – Je me présente, Gabriel Davis, moi et ma famille sommes bloqués au feu rouge depuis maintenant plus d’une dizaine de minutes et ce dernier refuse de repasser au vert

Homme au téléphone – Je me présente, Tobias Lloyd, responsable général de maintenance de la voirie de Cleveland, quels est votre position ?

Gabriel – Notre véhicule est arrêté au carrefour entre la 25ème et Lorain Avenue

Tobias Lloyd – Nous vous envoyons une équipe, ils seront là d’ici une dizaine de minutes

Gabriel – Je vous remercie, bonne journée !

Tobias Lloyd – À vous aussi. » Mon père raccrocha le combiné et revint à la voiture.

    Ma mère était sortie et avait entamé une discussion avec les gens arrêtés juste derrière nous. Mon père se joint alors à la conversation.

    L’équipe de technicien arriva et commencèrent donc à réparer le feu tricolore. L’un d’eux semblait fixer mon père avec un regard plein de mépris et mauvaises intentions. Mon père le fixa du coin de l’œil et l’homme détourna le regard. Après dix bonnes minutes, les deux hommes s’en allèrent. Mes parents remontèrent dans la voiture, s’assirent et bouclèrent leurs ceintures. Mais lorsque mon père voulu démarrer, rien, la voiture ne voulait rien savoir. Il réessaya, encore et encore, presque une dizaine de fois. La douzième fois, le moteur gronda, la voiture brouta, mais finit comme par miracle par démarrer.

    Mon père sourit en serrant le poing en signe de victoire. Il commença à accélérer doucement et à s’engouffrer dans le carrefour. Alors que nous roulions encore à faible allure, ma mère hurla en pointant du doigt une monstrueuse semi-remorque qui fonçait sur nous à toute vitesse. Mon père appuya de toutes ses forces sur la pédale d’accélérateur. Nous arrivions à nous dégager progressivement du carrefour, le plus dur semblait fait, mais le camion percuta violemment l’arrière de la voiture. Cette dernière se mit à tournoyer dans tous les sens sans que mon père ne puisse plus rien contrôler.

    Elle termina sont numéro en s’encastra dans un poteau électrique. La violence de l’impact projeta mes deux parents en avant et ils percutèrent le tableau de bord, ce qui le tua sur le coup. Ma sœur eut moins de chance, car sa tête fracassa la vitre, son crâne se mit alors à saigner abondamment. Ses yeux étaient révulsés, elle semblait doucement partir, jusqu’à ce qu’elle s’évanoui. Quant à moi, j’étais comme au départ, confortablement installé. Pas une seule égratignure, même pas une griffure sur le visage alors que le choc avait eu lieu de mon côté. J’étais simplement un enfant assis dans ce que l’on peut désormais appeler une « épave », spectateur d’un joyeux désastre.

    Quelques minutes, plus tard, les services d’urgences arrivèrent. Le vent fouettait une épaisse fumée noire qui sortait du moteur. L’un des pompiers regarda par la fenêtre et m’aperçut. Son regard dans le mien, je lus dans ses yeux une forme d’admiration et de stupeur. Il me sortit de la carcasse métallique et me coucha dans l’ambulance. Je fus emmené à l’hôpital, sans prendre conscience de tout ce qu’il s’était passé. Mon grand-père, Horace, fut mis au courant de l’événement et s’empressa de quitter Phoenix pour venir me rejoindre. Lorsqu’il arriva, je dormais profondément, les médecins m’avaient prodigué de puissants calmants. Mon grand-père m’installa sur la banquette arrière de son pick-up et m’enroula dans une épaisse couverture.

    Le trajet du retour était difficile, Horace répétait sans cesse « Pourquoi seigneur ? », il avait l’air fatigué, usé, brisé. De grandes poches sous ses yeux témoignaient de son immense fatigue. Je me souviens l’avoir entendu pleurer, hurlant et frappant le volant avec une rage inqualifiable. Il faut dire qu’Horace avait traversé beaucoup de choses, la pauvreté, la faim, la guerre, la mort de ma grand-mère, il y a 8 ans, et maintenant celle de son fils.

    Après de longues heures de route, nous y voilà, le ranch Davis, mon grand-père l’avait construit de ses propres mains et y élevait des chevaux pour gagner un peu d’argent. Malheureusement, cette passion semblait évanouie et il n’arrivait plus à travailler. Cette vielle maison était notre seul refuge, mais elle regorgeait de douloureux souvenirs à présent. Il porte la marque d’un profond déchirement alors Horace condamna l’ancienne chambre de mon père. Chambre qu’il avait laissée en état après son départ il y 18 ans.

    Bientôt 11 ans que cela s’est produit, Horace ayant peu à peu tenté d’effacer tout ça de sa mémoire en se réfugiant dans l’alcool, un vice qui est en train de lui prendre la dernière petite part d’humanité qu’il lui reste. Le temps a été le meilleur remède, mais a laissé de profondes cicatrices que mon grand-père préfère cacher.

    J’ai grandi sans modèle, sans aucune fondation sur laquelle me reposer, j’étais seul, essayant tant bien que mal de me forger une personnalité, un caractère pour affronter la difficulté du monde et cette cruelle réalité. Les choses sont toujours plus faciles à cacher qu’à avouer, c’est pour ça que j’ai choisi cette timidité, ce caractère hypocrite, dissimulant mes blessures profondes avec de grands sourires.

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