Les Elémentaux – Chapitre 3 : Le froid

9 mins

La porte en bois massif claqua violemment derrière Arduinna qui poussa un long soupire d’exaspération face à l’escalier dans la petite entrée de la base. Elle troqua ses talons aiguilles pour des baskets blanches de sport. Au premier étage, une brune l’attendait, assise sur une chaise roulante de bureau devant une imprimante en fonctionnement.

-J’en déduis que ça ne s’est pas bien passé ? Conclu-t-elle en la voyant arriver, criant presque pour couvrir les crissements de la machine.

Arduinna se laissa tomber sur une autre chaise.

-Ce fut un « non » unanime.

-Pas surprenant.

Arduinna lui lança un regard noir.

-Tu t’attendais vraiment à ce qu’ils acceptent d’accueillir des monstres et des êtres aux pouvoirs surhumains ? Nous sommes plus puissants qu’eux et ils le savent. Maintenant, grâce à toi, ils nous connaissent sous les moindres détails et vont pouvoir se préparer à la guerre.

-Ho non, ne recommence pas avec ça. Tu exagères toujours.

-Non, j’anticipe le futur.

-Ne parlons pas de ça, c’est juste déprimant et sans autre intérêt.

-Bien, mais quand ils nous enlèveront et nous séquestreront, tu auras le droit à un « je te l’avais bien dit ».

Arduinna s’apprêta à répliquer mais préféra laisser couler. Au même moment, un poids lourd tomba sur le parquet juste au-dessus d’elles, les recouvrant de poussière. Des exclamations et deux voix étouffés leur parvinrent.

-Ethan joue les instructeurs auprès d’un jeune mutos, expliqua la brune alors que Arduinna restait le nez en l’air, visiblement trop fatiguée pour émettre un commentaire.

– « Mutant », Halica, pas « mutos ». Je te l’ai déjà dis cent fois, marmonna-t-elle, l’esprit ailleurs.

Halica haussa les épaules, prit la feuille sortie de l’imprimante et retourna au seul ordinateur allumé. Halica avait été la deuxième -après Ethan- à avoir répondu à l’appel mondial d’Arduinna, un an plus tôt. A l’époque -et ce depuis plus d’un siècle- elle agissait à Londres, dans l’ombre de la ville et de ses occupants. Londres étant une ville cosmopolite, de nombreux individus du second peuple s’y étaient installés. Elle jouait donc, comme Ethan dans son propre pays- un rôle de Shérif entre humains et différents. Sa peau claire, ses cheveux et ses yeux sombres lui donnaient constamment un air malade et fragile. Il suffisait de sa présence pour que la température chute de plusieurs degrés. Elle était l’élémentale Froid et était née en 1806 dans la noblesse anglaise.

A l’étage, dans une salle sans fenêtre entièrement capitonnée, un sofa avait été poussé contre un mur pour en libérer le centre. Ethan et le jeune mutant libéraient leurs pouvoirs.

-Une enclume ? Sérieusement ?

Ethan regardait l’objet enfoncé dans le tapis avec la désagréable impression d’une inévitable altercation avec sa boss.

-C’est un très bon exemple d’invocation …, marmonna-t-il en jugeant les dégâts.

La porte s’ouvrit alors sur Arduinna dont le regard passa des garçons à l’enclume.

-Ta mission de ce matin, Ethan ? Demanda-t-elle bien que le ton de sa voix ressemblât plus à un l’ordre.

Ethan abandonna sa posture cool d’adulte-enfant pour une droite et sérieuse.

-Arduinna, voici Arthur. Mutant invocateur. Vit, ou plutôt vivait, dans un squat à Lyon. Fugueur, 15 ans …

-Tu vas faire tout mon CV ? Le coupa l’intéressé.

-Bienvenu Arthur. Je suppose que tu as des parents. Ils doivent s’inquiéter pour toi, nous te reconduirons à eux ce soir. Ethan, continua-t-elle plus sèchement, empêchant l’adolescent de répliquer, tu te chargeras de lui. Je veux bien que tu lui apprennes quelques tours de passe-passe mais ne te berce pas d’illusions, il repart chez lui.

-Je croyais qu’on devait recruter ?

-Pas chez les mineurs.

Ses yeux plus noirs que la nuit annoncèrent la fin du débat et se posèrent sur l’origine du bruit de plus de 100kg.

-Et ça ?

Ethan haussa les épaules et Arthur le pointa du doigt.

Elle soupira et s’en alla.

Ethan se détendit alors jusqu’à ce qu’une voix jaillisse de l’escalier.

-C’est à tes frais Ethan !

Enfoncée dans le tapis, l’enclume le nargua encore davantage.

-Et voilà ce qu’il faut retenir de cette petite mésaventure, Arthur, « ne pas faire apparaître une enclume de plus 100kg au premier étage d’une bâtisse qui tient à peine debout », expliqua Ethan ironiquement en la faisant fondre d’un geste de la main.

-Je n’aurai jamais eu l’idée.

-Alors, tout simplement, ne fait pas comme moi.

-Par quoi je peux commencer ? s’excita le jeune apprenti.

-Quelque chose de petit en tout cas…

-Ok !

Arthur se frotta les mains comme pour stimuler son pouvoir. Il les tendit vers un point invisible devait lui et se concentra en fermant les yeux.

Il se souvint des papillons orange avec deux ronds noirs sur les ailes qui lui faisait penser à des yeux, ceux épinglés dans des cadres au mur du professeur de sciences vivantes de son collège.

Il en imagina une dizaine voletant en groupe au bout de ses mains.

-Ouais, pas mal, entendit-il dire.

Il ouvrit les yeux pour admirer à ton tour son travail, un seul papillon voletait péniblement entre lui et Ethan. Au moins il avait réussi la couleur. Il remarqua même les deux yeux sur les ailes. De véritables globes oculaires.

-Je sais que j’ai dis « petit » mais là c’est « peu ». T’aurais pas quelque chose de plus … intéressant ?

-Comme un dragon ?

Un grand sourire se dessina sur le visage anguleux du garçon.

-Non, j’ai dit « petit ».

-Pas de problème !

Il s’empressa de reprendre sa position d’invocation.

-J’aurai dû dire « sans danger », grommela Ethan.

Il commença à se recouvrir de métal, juste en prévention des flammes sur son T-Shirt qu’il venait d’acheter.

C’est avec surprise qu’il vit se matérialiser devant lui un dragon d’à peine trente centimètres.

-T’as vu !? Je sais gérer la taille maintenant !

Ethan ne répondit pas -ce qui était assez occasionnel- il avait les yeux et les pensées bloqués sur le reptile ailé qui poussait des petits cris crissant et parfois hoquetait des flammèches dans les mains d’Arthur.

-Maintenant, vous pouvez m’appeler « Arthur Pendragon ! » clama-t-il solennellement.

La référence arracha un sourire à l’élémental, toujours plongé dans ses pensées. Un tel pouvoir devait être maîtrisé ou il pourrait provoquer d’énormes dégâts. Il était trop puissant pour un enfant de quinze ans. Son sourire disparut quand il comprit ce qui allait lui tomber sur le dos. Trop de responsabilité en vue. Et le parrainage du gosse tomberait sur lui à coups sûr. Lui qui aimait tant sa liberté allait devoir passer ses prochaines années à jouer les professeurs au mutant qu’il avait trouvé.

Ses pensées furent interrompues par la lumière rouge au plafond qui annonçait un visiteur.

Il demanda à Arthur et son dragon d’attendre sagement dans la salle de repos sans rien brûler, déchirer ou autre verbe dans le lexique de la destruction.

Il ne manquait qu’un membre de leur team, Ash, et ce dernier avait bien fait comprendre que son séjour dans sa terre natale durerait plusieurs semaines. L’appréhension que ressentait Ethan allait donc de paire avec les imprévus que pouvaient amener l’inconnu de la porte d’entrée.

Les marches en bois grinçantes du vieil escalier dont Ethan continuait d’en négocier le changement en métal annonça son arrivée dans la salle des communications, au premier étage.

Halica le regarda descendre la dernière marche et s’empêcher volontairement d’effacer les quelques mètres qui le séparait de l’intrus. Elle était assise devant son poste d’ordinateur préféré, dans une de ses postures décontractées et un point insolent dont elle était le maître. Il était difficile de l’imaginer avoir porté un jour une robe du XIXe siècle anglais.

Arduinna et l’intrus l’attendaient, plantés au milieu de la salle.

L’homme était un militaire avec galons. Ethan ne connaissait pas les rangs et uniformes de l’armée française et préféra ne rien supposer d’avance. Mais il avait suffisamment vécu et voyagé pour analyser et juger l’humain. Mesurant un bon mètre quatre-vingt-dix, il était taillé comme les pictogrammes masculins sur les portes de toilettes, en triangle. Épaules larges, bras puissants, torse saillant sous sa veste d’uniforme boutonnée, grandes et solides jambes, mains larges de manuel, mâchoire carrée et musclée. Cela n’aurait pas été trop de dire que cet homme était tout en muscle, des pieds à la tête. Il avait même la taille marquée par une grosse ceinture. Ses yeux fins et gris s’illuminèrent à l’arrivée d’Ethan. Un sourire se dessina sur son visage, lui prêtant des traits chaleureux.

-Parfait ! J’aimerais que vous soyez tous présent pour entendre la nouvelle, déclara-t-il.

-En réalité, il en manque un, il est au Japon et ne rentrera que dans trois semaines, corrigea Arduinna.

Ça ne parut pas le déranger pour autant et si ce fut le cas, il le cacha parfaitement.

-Ce n’est pas grave, je compte sur vous pour tout lui expliquer à son retour.

-Nous le ferons.

Il frappa dans ses mains et Ethan se retint de sursauter. Il semblait plus heureux d’annoncer la nouvelle que les sceptiques qui allaient la recevoir.

-J’apporte une grande nouvelle ! Lors de votre prestation devant le conseil de l’Union Européenne, mademoiselle, vous n’avez réussi qu’à effrayer tous ces politiciens. Et les quelques rares intéressés n’eurent pas le cran d’accepter. Une décision du conseil se fait à l’unanimité et la réunion n’est pas terminée tant que tous les votes sont unidirectionnels. Pour couper court à cette « plaisanterie » (il mima les guillemets avec ses doigts), plusieurs états n’ont pas réfléchi et ont simplement suivit le mouvement. Mouvement qui malheureusement ne penchait pas en votre faveur. Mais j’ai le plaisir de venir en personne vous annoncer la décision personnelle du président de la république française. Puisque l’Europe n’est pas prête à vous accueillir, la France fera le premier pas.

Il sortit une enveloppe de l’intérieur de sa veste, l’ouvrit et lu le contenu du papier officiel portant la signature du président et le tampon de l’Élysée. Le document expliquait avec artifices et moult formules de politesse le souhait du président de créer une organisation constituée de différents ; élémentaux, surnaturels, mutants et autres encore méconnus ou non catalogués ; contre les menaces du même genre sur le territoire français et pour une sécurité renforcée. Ce groupe serait cependant sous la responsabilité et le commandement du colonel Loptr, ici présent, et affilié à l’armée française.

A la fin de sa lecture le colonel Loptr cachait difficilement sa joie et sa fierté. Un silence tomba, bercé par le ronronnement régulier des machines.

Ethan n’était pas sûr d’avoir tout compris mais il avait saisi l’idée principale : ils avaient gagné ! Le second peuple allait pouvoir s’intégrer à la population. En France pour commencer et, peut-être, plus tard, l’Europe et le monde entier.

Arduinna préférait ne pas gâcher son moment de victoire. Même si un seul pays avait répondu à l’appel, ils n’étaient pas au point mort, l’intégration pouvait commencer, lentement mais sûrement. Le temps ferait le reste. Elle priait pour que ni Ethan ni Halica n’interrompent le silence jouissif qui s’était imposé. Un moment de tranquillité bien mérité. Elle analysait déjà, bien sûr, les conditions qui suivraient cette autorisation. Les réactions du peuple, les débordements, les incompréhensions et surtout les avantages que pensaient en tirer le gouvernement pour avoir accepté. Car, elle n’était pas dupe, aucun politicien n’acceptait de s’ajouter des ennuis et des heures de travail pour rendre tout bonnement la liberté d’un peuple. Le président (ou son entourage) pensait tirer un quelconque profit et elle allait devoir le découvrir. Il faudra aussi qu’elle garde un œil sur leurs agissements et un semblant de contrôle des opérations.

De son côté, Halica avait fait en sorte de garder son air désintéressé et son attitude décontractée pour ne pas laisser paraître son trouble. Comme depuis toujours, la politique se mêlait de tout et le gouvernement mettait sa patte dans leurs affaires. Une bonne nouvelle venait obligatoirement avec une mauvaise, elle l’avait compris depuis longtemps. Ce militaire était ici pour les encadrer et peut-être même détrôner Arduinna. Leur groupe clandestin allait devenir un organisme superpuissant de l’armée, le MI6 français, et l’insertion du second peuple allait prendre des années à se concrétiser. Si toutefois elle avait lieu. Elle voyait mal le gouvernement français faire face volontairement aux émeutes de ses citoyens pour avoir sorti de l’ombre des êtres différents et partout présents depuis toujours.

-C’est un honneur, pour moi, de collaborer avec des êtres aussi exceptionnels, ajouta le colonel Loptr en rangeant la lettre dans sa veste.

Halica s’enfonça davantage dans son siège, elle n’aimait pas la fausse flatterie.

-C’est un honneur pour nous aussi, répondit poliment Arduinna. Pourrais-je garder la lettre ?

-Ho ! Oui bien sûr.

Il la lui tendit et lança un regard circulaire, jugeant sa nouvelle propriété.

-Bien entendu il faudra changer certaines choses, annonça-t-il en faisant le tour de la pièce comme pour en inspecter tous les recoins. Certaines règles…

Arrivé au niveau de Halica, il arqua un sourcil devant les pieds soutenus par le bureau mais ne dit mot.

-Pour commencer je vais vous incorporer dans une de mes unités…

-Excusez-moi, l’interrompit Arduinna, ça ne va pas être possible. Nous n’opérons que de cette base, avec cette équipe. Vous ne nous intégrerez pas dans votre armée. Nous voulons juste aider les citoyens dans la légalité.

Il ouvrit la bouche pour répliquer mais la main levée de la brune l’arrêta.

-Je vous préviens tout de suite. Vous pouvez tirer les ficelles, mais je suis et resterai la coordinatrice de cette équipe et de cette base. Vous n’êtes que l’intermédiaire, vous vous occupez des lois et du contact public. Autre chose ! Cette unité a été créée pour aider les différents, le second peuple, les aider à s’intégrer dans la société, aider les novices à comprendre et gérer leurs capacités et stopper ceux qui en abusent et sont un danger pour la population. Nous nous chargerons bien sûr des délinquants humains dangereux ou des situations délicates si besoin mais c’est avant tout pour notre peuple que nous faisons tout ça.

Il y eu un silence gêné, Arduinna avait su faire régner son autorité et Ethan craignait que le colonel ne l’écrase et ne l’humilie, ce qui engendrerai sûrement un ras de marais dévastateur, littéralement.

Mais l’inquiétude d’Ethan était un peu éloignée de la réalité, Arduinna aurait su rester sage. Le self-control était ce qui empêchait les primaires (les quatre éléments premiers) de ravager la planète. Et elle tenait trop à cette entente pour la briser dès le premier jour.

Fort heureusement, le colonel Loptr resta parfaitement calme et se contenta de sourire amicalement d’une rangée de dents éclatante.

-Bien entendu. Comme je vous l’ai dit, je suis sincèrement heureux de travailler avec vous et je ferais tout pour vous convaincre que notre collaboration ne peut être que bénéfique.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx