Cannes, France, 14 mois après
Le hall de l’hôtel était bondé tout comme le quartier. Après plusieurs heures de périples, sept heures de route, deux heures de bouchon et encore une heure pour trouver une place de parking, Erm réussit enfin à atteindre la réception de l’hôtel Martinez.
– Bonjour monsieur, je viens voir Mr Pope Killian. Pourriez-vous le prévenir de mon arrivée s’il vous plaît ? Je suis Ermangarde Lysé.
Le réceptionniste hésita et dévisagea Erm.
– Il a dû vous prévenir de ma venue.
Bien qu’elle eût conscience de la nécessité de cette sécurité, tous ces obstacles sur son chemin commençaient à l’agacer fortement. Face au regard noir que lui adressait Erm, le réceptionniste vérifia auprès de son responsable avant de saisir le téléphone et de prévenir l’acteur.
– Mr Pope descend. Vous pouvez l’attendre au bar.
Il lui indiqua une salle au fond de l’hôtel. Erm s’y avança et s’installa dans l’un des fauteuils du salon. Pourquoi Killian lui avait-il demandé de venir ? Elle avait ruminé cette question tout le long de la route la menant à Cannes. Comme elle le craignait, c’était sûrement pour lui parler de Daniel. Elle regretta soudain d’être venue. Elle ne voulait plus entendre parler de toute cette histoire. Tout cela était bien trop douloureux, bien plus que ce qu’elle avait subi en mission. Elle avait besoin d’avancer. Elle secoua la tête pour s’efforcer de chasser ses pensées.
Pour se distraire, elle se concentra sur l’agitation autour d’elle. Tout le monde semblait courir partout très affairé. L’organisation du plus important festival cinématographique de France ne devait pas être de tout repos. Elle en voulait à Killian de l’avoir fait venir à Cannes, surtout en plein festival. En plus des neuf heures de route qu’elle avait dû parcourir sur la journée, elle allait devoir rester plusieurs jours dans une ville bondée. Il y avait tellement de monde, plein de photographes, de journalistes, de fans. Au-delà du fait qu’Erm n’aimait pas la foule, cela ne laissait surtout aucune place pour l’intimité.
Le lounge était plutôt désert à cette heure de l’après-midi. Le barman dans son smoking blanc essuyait les verres oublieux du tumulte extérieur. Le calme avant la tempête pensa Erm. De l’autre côté du hall, la réception paraissait débordée. De nombreuses personnes se ruaient au desk et le téléphone ne cessait de sonner. Le responsable semblait avoir des sueurs froides.
– Salut Erm !
Elle sursauta.
– Salut Killian, dit-elle sans entrain.
Alors qu’elle se leva, Killian l’étreignit pour la saluer.
– Je suis content que tu sois venue. Ça fait plaisir de te voir.
– Euh oui, moi aussi, bredouilla-t-elle le regard fuyant.
– Tu veux boire quelque chose ?
– Non, ça va aller merci.
– Tu es sûre ? Un café, un thé ?
– Killian dis-moi plutôt pourquoi tu m’as convoquée ici ? s’impatienta-t-elle.
– Je ne t’ai pas convoquée, dit-il surpris. Je voulais simplement te voir et discuter.
– Ecoute Killian, je ne retournerai pas avec Daniel. Je te l’ai déjà dit, c’est terminé ! Je te remercie pour la traversée du pays. Cannes est très jolie mais j’ai autre chose à faire.
Alors qu’elle comptait partir, Erm se ravisa face à l’air meurtri de Killian. La fatigue de la route et la foule l’avaient rendue irritable et elle s’était exprimée avec plus d’emportement qu’elle ne l’avait envisagé.
– Ecoute … je suis désolée, je ne voulais pas te blesser. C’est juste un peu compliqué en ce moment.
– Je ne t’en veux pas. C’était maladroit. C’est juste que tu as quitté le pays tellement vite, sans explication. Je voulais te voir pour qu’on discute. J’aimerais comprendre pourquoi.
– Il n’y a rien à comprendre Killian. C’est fini et c’est tout. Il n’y a rien à ajouter.
– D’accord.
Killian encaissait le coup. Il n’avait pas anticipé une telle rebuffade. Il se ressaisit.
– Tu as l’air épuisée. Que dirais-tu si on passait ces quelques jours ensemble ? Promis je ne parlerai pas de Daniel. Quelques jours à Cannes, loin de ton quotidien, ça te changera les idées. Et puis, tu me manques, tu sais. Ces derniers mois, sans avoir de tes nouvelles, ont été particulièrement longs.
Devant l’air contrit de Killian, Erm finit par acquiescer. Il est vrai qu’il n’était en rien responsable de ses soucis. Maintenant qu’elle avait fait la route, elle pouvait s’octroyer quelques jours au bord de la mer.
– Oui, tu as sûrement raison.
Erm jeta un coup d’œil à l’extérieur. En apercevant les photographes aux à guets, elle se dit que passer du temps avec l’une des stars du festival n’était peut-être pas une si bonne idée finalement. Toutefois, elle ne se voyait reprendre sa parole. Killian en serait blessé.
– Viens, on va aller dans un endroit plus tranquille, dit Killian devinant ce qui traversait l’esprit d’Erm.
Il la conduisit jusqu’à l’ascenseur. Ils s’arrêtèrent au 8e étage et arpentèrent un long couloir jusqu’à la chambre de Killian. Les murs du couloir étaient de couleur vert pistache avec des moulures au plafond. Erm suivait les volutes dessinées sur la moquette lorsque Killian s’arrêta devant une double porte qu’il déverrouilla à l’aide d’une carte magnétique. Erm entra s’attendant à une banale chambre d’hôtel mais c’était oublier à côté de qui elle se tenait.
En réalité, elle pénétra dans un salon qui lui paraissait immense pour une chambre d’hôtel, une suite comprit-elle. Le salon avait été décoré dans un style impérial : papier peint rayé bleu comme celui qui habillait les appartements de l’impératrice Eugénie, meubles en bois aux volutes complexes, vases de porcelaine, de grandes tentures bleues le long des deux immenses fenêtres qui illuminaient la pièce. Un immense tapis carré ornait le parquet et au centre duquel se trouvait une table basse encadrée par un grand canapé et deux fauteuils en bois aux tapisseries bleu marine.
L’atmosphère générale qui se dégageait de cette pièce était une impression de luxe à la française, une déco de magasine plus qu’un lieu de vie. Le salon desservait deux portes de part et d’autre des fenêtres.
– C’est désarçonnant la première fois.
– Oui, avoua Erm dans un souffle.
Le téléphone de Killian sonna. Il vérifia le nom de l’interlocuteur.
– Ah mince, j’avais oublié. Je dois répondre. Assieds-toi, prends un café, je risque d’en avoir pour un moment.
Il se dirigea vers la porte de gauche, la chambre pensa Erm. Killian fit volte-face à mi-chemin.
– N’en profites pas pour te sauver !
– Promis.