Ermangarde : Une Rencontre – Part 2

5 mins

Killian disparut derrière la porte. Pour passer le temps, Erm fit le tour du petit salon d’un pas nonchalant examinant chaque objet. Elle s’arrêta devant la bibliothèque positionnée à côté de la porte d’entrée. Elle déchiffrait les caractères imprimés sur l’arrête de chaque livre. Des classiques de la littérature française et anglaise, des ouvrages philosophiques et historiques. Certains qu’elle avait déjà lus, certains dont elle connaissait uniquement les titres et d’autres dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle se saisit d’un livre à la couverture cornée. C’était un de ses romans préférés qu’elle avait découvert adolescente en classe de littérature.

Elle s’installa sur le canapé au centre de la pièce et se lança dans la lecture de Bel Ami de Maupassant. Elle se laissa porter par l’odeur du papier et les péripéties de George Duroy. Bien qu’elle connaisse cette histoire par cœur, elle appréciait toujours autant la plume précise et poétique de Maupassant. Plongée dans l’histoire, oublieuse du temps et du lieu, Erm fut soudainement ramenée à la réalité par le cliquetis de la porte que l’on déverrouillait. Elle se leva brusquement. Un homme entra, chargé de ses valises, lunettes de soleil sur le nez. Il s’arrêta net en l’apercevant.

– Oh … excusez-moi, j’ai dû me tromper de porte.

Il voulut vérifier le numéro inscrit sur la carte faisant tomber le sac de son épaule et la carte magnétique. Il se précipita pour les ramasser assez maladroitement.

– Si votre carte a déverrouillé la porte, c’est que c’est la bonne chambre. C’est moi qui n’ai rien à faire ici. Killian m’a demandé de l’accompagner.

Erm commença à ramasser ses affaires et s’apprêtait à se diriger vers la porte.

– Oh je vois …, insinua l’homme.

A la vue de l’air suggestif qu’affichait ce dernier, Erm devint suspicieuse.

– Vous voyez quoi ?

– Une jolie fille dans une chambre d’hôtel … Il aurait juste pu prévenir, je serai venu plus tard, rit-il lui adressant un clin d’œil.

– Pardon ?! Vous me prenez pour … Je suis son ex belle-sœur. Je ne suis pas …

Elle était offusquée qu’il puisse émettre de telles insinuations.
Décidément, les hommes ne changeraient jamais.

– Oh … oh … Veuillez m’excuser.

Il rougit gêné.

– Je me disais aussi, style trop discret pour une escorte.

– Ok, je vais vous laisser. Dites à Killian que je reste dans les parages. Il n’a qu’à m’appeler.

Erm se dirigea précipitamment vers la porte. L’homme l’attrapa par le bras faisant tomber sa valise. Décidément, il était particulièrement maladroit.

– Non restez. Je suis navré, je ne voulais pas vous offenser. Reprenons depuis le début, voulez-vous. Je m’appelle Edgar Richardson et vous ?

– Ermangarde Lysé.

– Eh bien, enchanté de vous rencontrer mademoiselle Lysé.

Elle serra la main qu’il lui tendait et le regarda véritablement pour la première fois. Il était jeune, légèrement plus âgé qu’elle, grand, élancé, les cheveux auburn et en bataille, les yeux verts, une mâchoire saillante. Plutôt joli garçon pensa-t-elle.
Elle ne put s’empêcher de remarquer un léger accent britannique malgré les efforts qu’il déployait pour le cacher.

– De même. Par contre, c’est Ermangarde ou Erm.

Se faire appeler par son nom de famille lui rappelait trop l’armée. C’était un passé qu’elle souhaitait mettre de côté pour l’instant.

– Moi c’est Edgar ou Ed. Merci d’éviter Eddy, dit-il lui adressant un sourire ravageur. Je t’ai dérangé, pardon, je vous ai dérangé en pleine lecture.

– Non, non, pas de vouvoiement. J’ai l’impression de prendre quinze ans.

Il rit.

– Je pensais que les français étaient plutôt à cheval sur la politesse.

Il sourit face au visage décontenancé d’Erm.

– Ton anglais est très bon avec un léger accent du Midwest mais il y a quelque chose dans ta diction qui, si l’on est attentif, trahit que ce n’est pas ta langue maternelle. Et puis ton style vestimentaire est un peu trop habillé pour une véritable américaine, en plus de tes manières, très françaises.

Erm resta bouche-bée devant tant de vérité. Il avait fait tomber le masque si bien construit en si peu de temps.
Elle ne se démonta pas pour autant et contre attaqua aussitôt.

– Et toi, je peux te retourner le compliment, répliqua-t-elle sur la défensive. Ta diction étudiée et précautionneuse pour cacher un accent régional, des manières policées légèrement hautaines par moment ; pas assez cool pour un américain. Britannique donc.

– Pourquoi britannique ? Je pourrais être australien ou d’Afrique du Sud. Il existe pleins de pays anglophones.

– Tu es bien trop pâle pour un pays ensoleillé.

– Ah oui, ce n’est pas comme si j’étais connu et que tu avais déjà la réponse.

– Oh là là et moi qui commençait à croire que tu n’étais pas une de ces stars à l’ego surdimensionné. Raté !

Il rit de bon cœur.

– Me voilà démasqué, sourit-il lui adressant un regard séducteur. Je devrais te laisser reprendre ta lecture.

– Ce n’est rien.

– Pas très captivant ?

– Je le connais par cœur. Il était rangé dans la bibliothèque. C’était pour passer le temps en attendant Killian.

Edgar avait pris l’ouvrage et le feuilletait.

Bel Ami, lut-il. Tu le connais par cœur ?!

– J’avoue que c’est un peu exagéré mais je l’ai tellement lu et étudié que je connais chaque personnage comme si je les avais côtoyés. Le portrait des personnes féminins qu’il dresse est superbe.

– Tu vas pouvoir m’aider alors. Il va y avoir une adaptation cinématographique et j’ai été choisi pour interpréter le personnage de Bel Ami.

– Tu vas jouer George Duroy ! Des anglais vont adapter un roman français !

Erm éclata de rire avant de se reprendre et de s’excuser.

– Ne t’excuse pas.

– Si, ce n’était pas très gentil.

Elle étouffa un nouveau rire.

– Pardon.

– Je ne serai donc pas très crédible en Bel Ami.

Le fou rire d’Erm s’arrêta net. Songeuse, elle le regarda avec attention en comparant avec la description de George Duroy qu’elle venait de relire. Elle remarqua la nuance bleutée dans ses iris vertes derrière ses longs cils bruns. Il avait quelque chose de malicieux dans le regard. Ses lèvres fines légèrement entrouvertes esquissaient un sourire séducteur. Il était beau, pensa-t-elle.

– Si, tu ferais un très beau … euh très bon George Duroy.

Elle baissa les yeux, gênée par ce lapsus. Comment se faisait-il qu’il la mettait dans un état pareil ? Elle avait dirigé de nombreux soldats, des hommes bien plus imposants physiquement et particulièrement coriaces. Pourquoi perdait-elle ses moyens face à ce jeune homme plutôt insignifiant. Killian sortit de la chambre tirant Erm de ses réflexions.

– Désolé Erm, je ne pensais pas que ce serait si long.

– Ce n’est rien. J’étais en charmante compagnie, avoua-t-elle évitant de regarder Edgar.

– Oh Edgar, tu es déjà là, dit Killian en relevant la tête.

Killian étreignit Edgar pour le saluer. Ils avaient l’air de bons vieux amis ne s’étant pas retrouvés depuis longtemps. Après les accolades et rires des retrouvailles, Killian reprit.

– Je te présente Ermangarde, ma belle-sœur.

– Ex belle-sœur, corrigea Erm en le fusillant du regard.

– Oui pardon, éluda-t-il. Elle va passer un peu de temps ici, si ça ne te dérange pas bien sûr.

– Pas de souci, sourit Edgar.

– Ça vous dit qu’on aille manger en morceau tous ensemble ? Je meurs de faim. Ed, tu poses tes affaires et on y va ?

– Ce sera sans moi malheureusement. Mon assistante m’a bien rappelé que j’avais quelque chose de prévu ce soir. Ne me demandes ce que c’est, je n’en ai aucune idée, rit Edgar.

– On se verra sûrement demain alors ?

– Peut-être. Si tu veux avoir une idée de mon emploi du temps, tu devrais appeler Marta.

Killian secoua la tête et rit de bon cœur.

– Décidément, tu ne changeras jamais. Toujours à côté de la plaque ! Erm on y va ? Une petite terrasse sur le port ?

– Super, un dîner spectacle !
, ironisa-t-elle.

Killian leva les yeux au ciel.

– Je n’avais pas prévu de devenir une bête de foire, s’agaça-t-elle.

– Ne t’inquiète pas à côté de moi, personne ne te verra, la taquina Killian.

Elle lui adressa un coup de coude dans les côtes en le regardant de travers.

– Dépêche-toi, avant que je ne change d’avis. A plus tard, dit-elle à Edgar timidement.

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