Le Cercle des Dieux

13 mins

J’ai tendu la main et trempé mon doigt à l’embouchure de son sexe, puis j’ai examiné le liquide. Ce liquide, c’est moi qui l’avais produit. Une chose concrète, réelle. Donc une bonne chose. Pourtant, par une étrange alchimie biologique, ce liquide m’apparaissait d’une consistance différente. Plus clair, plus liquide, plus translucide. Elle demeurait allongée immobile, ses seins écrasés par l’apesanteur cosmique, je me relevais afin de lui présenter mon doigt mouillé, elle m’affirma alors d’une voix calme, avant d’y goûter :
 « Quand tu jouis trop dedans, ça ressort. »
Puis elle ajouta :
«Tout finit toujours par ressortir. »

Ces explications simples que je ne lui avais pas demandé m’allaient, tout m’allait chez cette fille. La tête remplie de vide, je me sentais sur le point de connaître une Nouvelle Grande Révélation. J’ai continué à récupérer ce liquide composé de nos deux foutres mélangés pour le lui faire avaler. Lors du troisième voyage de mon doigt à sa bouche, elle m’informa que le goût était doux, quoiqu’un peu un peu salé. La compréhension d’une grande vérité s’éloignait à mesure que je l’abreuvais ; la compréhension chassée par la mécanique de ce rite s’estompait, pour retourner lentement dans l’invisible. Si la compréhension était devenue ma vie, alors le rôle de cette femme était aussi de m’en éloigner. Elle défaisait mes pièges mes concepts, et rendait à la vérité sa liberté. Cette pensée, bien qu’exacte, était injuste. Car c’est grâce à son corps à elle, lorsque j’en prenais possession, que le vide nécessaire à la compréhension des mystères de l’univers me remplissait. Simplement ensuite, sa présence m’éloignait de l’Illumination Finale. Elle remplissait de nouveau mon vide sacré de sons, d’idées et d’images, comme celle de son sexe coulant d’une nouvelle sève. Elle avait fait de mon âme une mer, sur laquelle elle imprimait son mouvement de ressac.
Je lui dis :
« Tu es comme la lune »
Elle garda le silence. Une réponse à ça aurait été superflue.

Numéro 1 n’était pas le numéro 1 que je fus. Pas dans le fond. Sa tâche lui importait moins. Ses lunettes de soleil me semblaient neuves. Et elles étaient de marque. Comme ses chaussures, comme le fait qu’il avait tenu à m’inviter pour déjeuner – et même s’il ne s’agissait que d’un troquet parisien avec plat du jour à onze euros, tout indiquait que Numéro 1 – Éros de son vrai nom – vivait au-dessus de nos moyens. Et donc, ne respectait pas les règles à la lettre. Éros comme tout bon numéro 1, se faisait prévisible, je ne perdais pas de temps à me demander la raison de son invitation. Le pourquoi arriva plus vite que nos deux plats, dès que nous nous sommes assis.
« J’en ai marre, frère.
– Je suis censé être ton père.
– Quoi ?
– Hermès. Hermès est père d’Éros, dans la mythologie.
– Arrête tes conneries.
– Et je fus Numéro 1 avant d’être Numéro 2. La symbolique… Tout est question de symbolique. »

Nous nous interrompîmes lorsque les plats arrivèrent. Une seconde de silence pour son cheeseburger, et une pour mon steak tartare. Je remerciais à voix haute le bœuf d’un : « Gloire, vos sacrifices nous nourrirons, non ils ne seront pas vains. »
C’est le moment qu’Eros choisit pour devenir désobligeant :
« Si tu crois vraiment à toutes ces conneries de dieux anciens, alors tu es pire que le vieux. »
Je lui offris un sourire qui reflétait parfaitement la couleur de mon esprit en cet instant, un sourire fatigué, et désintéressé de ce qu’il voulait me dire, et que je savais déjà.
« T’es pire que le vieux. Pourtant quand je suis rentré dans cette secte de gonzos, t’étais celui qui me paraissait le plus sympathique. T’es censé comprendre toutes les choses, non ? Alors explique, à quoi on joue exactement ?
– Tu me poses une question dont tu connais déjà la réponse, et depuis longtemps, pourquoi ?
– Je veux vivre. Je veux récupérer ma vie d’avant. C’est à cause de toutes ces pitreries, j’ai jamais voulu de ça, j’ai réfléchi et… Je crois que personne, à part le vieux, ne peut avoir envie de ça. J’ai pris ma décision : je quitte le navire. Et c’est ce que tu devrais faire aussi. Sauf que toi, tu n’en as pas le courage, tu te chies dessus ! Dis-moi, que se passera-t-il quand je perdrais le courage de partir ? Je deviendrai Hermès, le Numéro 2 ? Et toi, quel sera ton nom ? »

Jamais je n’aurais pu imaginer remplacer Numéro 3, la projection m’était impossible, même s’il s’agissait de l’évolution logique des choses. Par amitié, je fis l’effort de verbaliser mes remarques à ses propos. Des paroles qui demeuraient inscrites dans mon esprit depuis le moment où, en sortant de La Plaine, Éros m’avait rattrapé avant la bouche de métro, saisi le bras, et d’une voix faussement virile et assurée, m’avait dit « ça fait un baille qu’on travaille ensemble, et on n’a jamais parlé tous les deux. Une bouffe ? C’est moi qui régale. »
Dès ce moment j’aurais pu lui dire ces choses. Au moins, il se serait économisé une addition de vingt-quatre euros cinquante. Et le café lui aurait paru plus agréable.
« Tu es dur avec moi. Avec toi, avec le vieux. Tu sais ce que nous faisons à La Plaine, et tu sais que notre travail – ton travail – est essentiel. Simplement, tu n’en veux plus. Tu le voulais pourtant, lors de ton recrutement, dans mes souvenirs tu t’amusais, seulement… Quelque chose a changé. Tu as changé, tu ne supportes plus la vérité. La vérité humaine, celle de nos clients. La vérité de ce qui fait tourner le monde. Tu ne supportes plus la faiblesse de ceux que tu croyais fort, avant. Tu ne veux pas reprendre ta « vie d’avant », tu veux retrouver ta place au sein du Grand Mensonge. Tu aimerais vivre à leurs côtés. Et peut-être même qu’un jour, quand je deviendrai Numéro 3, alors c’est toi que nous verrions se présenter au centre du cercle. Auras-tu tout oublié alors ? Croiras-tu que nous sommes là pour t’aider, sincèrement, parce que tu serais quelqu’un d’important ? Comment pourrais-tu oublier la désinvolture des Dieux Anciens, notre profond mépris, ou tes moqueries à propos de ceux que nous traitons ? Nous savons tous deux que ce jour n’arrivera pas. Si tu reprenais le cours de ce mensonge que tu nommes « mon existence », tu ne te présenterais jamais au sein du Cercle, tu resterais un minable parmi la plèbe, se contentant d’une part du gâteau – un boulot inintéressant, des amis inintéressants, du sexe fade, pas assez d’argent, un pouvoir petit et minable que tu détiendrais sur quelqu’un comme une femme ou un enfant ? Mais même ce mensonge médiocre t’est désormais hors de portée. Car t’imagines-tu capable d’y croire ? Il te faudrait beaucoup trop d’effort pour nier ce que tu as vécu parmi nous. Non, tu ne pourrais nier, parce que personne ne le peut, personne ne peut s’aveugler à ce point. Pas quand toute la vérité lui a été révélée d’une façon si puissante. Mon conseil est le suivant : prends des vacances. Ou plutôt, va voir le vieux, dis-lui que tu as besoin de prendre l’air. Il te donnera une enveloppe remplie de billets neufs, avec tu pourrais aller à Vegas ou Pattaya, ou Belleville pour y acheter drogue stupide et putes dangereuses – je ne sais pas ce que tu aimes faire, pour décompresser. Bois une semaine, vomis huit nuits d’affilée, ou encore fais-toi interner. Puis reviens, lorsque tu te sentiras prêt. Reprends ta place parmi nous. J’ai été Numéro 1 tout comme toi, les autres m’appelaient Éros en ce temps là. Crois-moi, je sais ce que tu traverses, et c’est normal. Mais c’est passager. »

Je lui mentais à moitié, je lui disais ce qu’il avait besoin d’entendre, je lui parlais exactement comme dans La Plaine, à nos clients, mais je savais que le concernant il s’agissait d’un trouble durable, un rejet irréversible de ce que nous accomplissions. Ce garçon n’était qu’un homme incapable de devenir un Dieu.

***

Le fait divers ne l’avait pas atteint. L’insensibilité dont il avait fait preuve sur le coup n’avait pas pour cause son caractère en acier, et certes, son cœur avait tout de même bondi, lorsque l’homme avait sorti son arme et s’était mis à aboyer, mais il n’avait s’agit que de la biologie normale des choses, un code comportemental, gravé depuis la nuit des temps au fond de son cerveau reptilien. La proximité de la mort affolait, traumatisait, changeait n’importe qui…  Aucune créature ne voulait mourir, lui si. Pour rien au monde il ne l’aurait avoué, mais quand le braqueur sortit son arme et se mit à crier, une petite voix désira que tout s’arrête, brutalement, ici et maintenant, dans une flaque de sang, sur le sol carrelé de cette station service.

Le braquage ne l’avait pas atteint parce que l’âme d’un homme ne peut se briser qu’une fois. Le corps du caissier emballé dans un sac zippé de plastique épais puis transporté sur un brancard, emporté au loin … L’autre cliente, l’autre victime, la jeune-fille, et le témoin resté dehors alors qu’il prenait de l’essence, cet homme d’un certain âge qui avait fui à travers le terre-plein de l’autoroute et appelé la police… Tous avaient été emmenés loin du drame par des véhicules de secours aux sirènes endormies. Ne restait que cinq voitures banalisées sur le parking, la sienne, et celles des enquêteurs de la crim’. Son acceptation à jouer le jeu de la reconstitution si peu de temps après le carnage – le sang n’avait même pas encore été nettoyé sur le comptoir et le mur – cette mise à disposition volontaire, alors qu’il se sentait éreinté et ne souhaitait que dormir, il s’agissait pour lui du moyen de s’amender de ses crimes : le fait que pendant le braquage, il ne ressentait rien.
Et qu’il avait désiré mourir.

Sans prévenir le policier brandit son arme de service, balaya le plafond et hurla un son inintelligible. Sa voix cassa à la fin du cri. Comme un acteur ayant loupé une scène, il en rit. Quelques gloussements lui répondirent.
Puis il dit :
« Bon, nous avons tous compris le principe. Ensuite … »
D’un geste de la main, il invita sa jeune collègue à le rejoindre, la souleva, la posa sur le comptoir, et s’acharna à lui arracher pantalon et culotte. La fille subissait, un silence malsain envahit la pièce. Le flic lui ouvrit brutalement les jambes, se décala pour ne pas obstruer la vue au témoin, puis avec ses mains, écarta son sexe.
« Il a fait ça ? C’était comme ça ? Vous voyez bien, là ? C’est assez ouvert ? »
La fille pleurait, ses jambes à lui le trahissaient, il ressentait maintenant l’horreur, le contre-coup. Il dut s’avachir sur la petite table des cafés en libre-service pour ne pas tomber au sol. La voix du flic devint agressive, il perdait son sang froid :
« Elle a la chatte suffisamment écartée ou quoi ?! Vous pouvez me répondre, Monsieur ? »
 La jeune policière sanglotait violemment, ses épaules montaient et descendaient, que se passait-il, quel était ce nouveau cauchemar ? L’homme se tourna vers les autres fonctionnaires, certains souriaient goguenards, d’autres lui renvoyaient un regard féroce. Il tenta de les arrêter, il voulut leur dire que non, les choses ne s’étaient pas déroulées ainsi : un homme avait fait brutalement irruption alors qu’il se forçait à choisir des journaux sur leur présentoir. L’homme portait une cagoule de laine noire, et il avait bien sorti une arme, et crié quelque chose d’inintelligible avant de se diriger vers l’employé qui aussitôt ouvrit sa caisse et tendit les billets. Mais l’homme cagoulé sembla changer d’avis, saisit une jeune femme en train de régler son plein à la caisse – la seule autre personne présente avec le caissier et lui. Le braqueur la poussa violemment ventre contre le comptoir, essaya de lui enlever son pantalon, n’y réussit pas vraiment, le temps s’éternisa, l’intolérable se fit durable, le caissier se jeta sur le braqueur de derrière son comptoir, le braqueur le repoussa, leva son arme, et lui tira en plein dans le visage. La jeune femme gisait au sol en état de choc. Le braqueur devenu assassin s’était alors tourné vers lui, et débarrassé de sa cagoule, l’arrachant d’un geste théâtral pour découvrir son visage à bajoues d’un cinquantenaire, un visage trempé de larmes, les yeux d’un fou – il avait cru sa dernière heure arrivée puisqu’il connaissait désormais le visage du tueur, et il en était heureux. Le cinglé leva son arme vers lui, mais contre toute attente, lui déclara en pleurant comme un enfant :
« Ils m’ont obligé à le faire, je n’ai jamais voulu… »
Puis d’un mouvement rapide et assuré, l’homme plaça le canon de son arme sous son menton.
Et tira.

« Est-ce qu’il lui a écarté la chatte comme ça, monsieur ? Il a mis des objets dedans ? Une bouteille peut-être ? Quelqu’un pourrait m’apporter une grande bouteille d’eau, dans l’armoire, là-bas ? »
 
Il voulut dissiper ce nouveau cauchemar et reprendre le contrôle de sa vie, tel qu’il l’aurait fait naturellement, « avant ». Celui qu’il était avant cette descente aux enfers. Le chien qui se trouvait au-devant de la meute, le mal dominant. Il voulut leur dire d’arrêter immédiatement cette nouvelle horreur, qu’une reconstitution se faisait au moment de l’instruction d’un dossier, en présence d’un juge, et non quelques heures après un crime en molestant une femme. Il voulut leur demander leurs noms, leurs matricules, de quel commissariat ces fonctionnaires dépendaient. Il voulut leur demander s’ils savaient qui il était, à quel point il était un homme puissant … Mais il n’en fit rien, il en était incapable. Pour la première fois il le sentit, il n’était plus cet homme-là. Contrairement à ce que lui avaient promis les Dieux, cette fois, il ne s’en remettrait pas.

L’homme autrefois puissant prononça une bouillie de sons, et conclut qu’il avait dû mourir bien avant d’entrer dans cette station service, quelque temps après cette horrible nuit, où il reçut un appel à cinq heures trente-deux du matin. Il était mort, son âme se trouvait en enfer c’était mérité, et il serait maintenant placé pour l’éternité au premier rang de ce genre de spectacle. La policière émit un long son, entre le cri, le sanglot et la plainte, alors qu’elle se faisait violer par bouteille interposée. Sur la petite table devant la machine à café en libre service, il s’effondra un peu plus. Quand un nouvel homme entra.
Il s’agissait d’un autre policier plus âgé, sûrement le chef de cette troupe, qui se mit aussitôt à hurler. La jeune flic fut libérée, elle enfila son pantalon et s’enfuit à toute vitesse à travers la nuit du parking. Après avoir subi une bordée de réprimandes et d’insultes, les autres policiers, têtes baissées, allèrent se réfugier au fond de la pièce. Le nouvel arrivant aux yeux cernés s’avança vers lui, et cracha :
« Ça y est, vous vous êtes bien rincé l’œil, espèce d’ordure ! Vous avez tout vu ? Restez à disposition, pas de voyage à l’étranger, nous vous convoquerons bientôt. »

Pour sortir de la station service, l’homme autrefois puissant parcourut la distance à moitié à quatre patte, à moitié en rampant, tel un drôle d’animale en chemise Hugo Boss. Mains tremblantes, il mit du temps à ouvrir la portière de sa berline, et se jeta dedans. Le lecteur cd s’alluma en même temps que le moteur. Un son d’une grande qualité remplit l’habitacle, de la musique classique, celle qu’il écoutait avant de s’arrêter dans cette maudite station service. Habituellement l’odeur du cuir et les douces lumières du tableau de bord avaient un effet apaisant, mais pas cette nuit. Lorsqu’il entreprit un demi-tour, le monde se mit à tourner devant son capot. Il vit la policière debout appuyée contre un véhicule, elle fumait, riait, et discutait avec un type. Elle lui lança un regard étrange, malveillant, sans se départir de son sourire. Quand ses phares illuminèrent la façade de la station service, il aperçut brièvement, mais avec netteté, les silhouettes des policiers. Tous se tenaient devant la vitre, immobiles. Leurs visages dénués de la moindre expression, ils l’observaient. Une terreur pure l’envahit.

Il se pensait à terre, il se pensait détruit, il se pensait au bord de la folie, il se trompait.
Ces choses arrivèrent définitivement un peu plus tard, quand il rentra chez lui.

***

Zeus m’avait prévenu, le Cercle avait souvent connu des problèmes avec ses Éros, ses Numéros 1. Toujours dernier fraîchement arrivé, la passion de caractère demandée à un Numéro 1 induisait aussi une grande instabilité, et ce que nous faisions … Notre tâche était suffisamment grave, et folle, pour ne pas faire bon ménage avec l’instabilité. Je le savais pour être passé par là, pour être entré dans le Cercle en tant qu’Éros. A l’époque, je bénéficiais d’un très bon Numéro 2 pour faire tampon avec le vieux. Notre société, notre fonction comme notre relation à tous trois m’apparaissaient plus légères qu’aujourd’hui. N’ayant aucune idée du destin réservé à celui qui sortirait du Cercle, depuis notre déjeuner en tête à tête avec Éros, je commençais à redouter les évènements à venir. Si cette histoire venait à dégénérer, je doutais être à la hauteur de mon prédécesseur. Je doutais pouvoir désamorcer ces crises. Zeus avait vieilli, il se montrait plus irritable. Instable. Et donc dangereux. Je n’aimais pas y penser, mais à mesure que le vieux vieillissait, il semblait moins en prise avec l’empathie nécessaire pour pencher dangereusement du côté de la colère. Et si Éros nous quittait, l’équilibre du groupe serait rompu. Depuis la Grèce antique, les histoires de Dieux devenant mortels n’annonçaient jamais rien de bon. Et nous étions des Dieux puissants, compréhensifs ou furieux, alors … Comment cette histoire pouvait-elle finir ?

Nous avions fini de faire l’amour, elle se leva assise sur mon matelas jeté au sol, enfila un marcel qui la moulait, et tendit un long bras brun pour prendre une cigarette blonde dans le paquet qui traînait par terre. Elle l’alluma en silence. Je m’assis également et me rapprochait d’elle. Par-dessus son épaule, je pouvais voir ses seins en poire tendre le tissu. J’apercevais leur naissance sur ses flancs, à travers la large échancrure de son vêtement. Ses seins petits et gros à la fois, ses seins qui remontaient, leurs larges auréoles foncées … Je passais un doigt sur le fin duvet dessinant une fine ligne sombre sur sa nuque. Sa simple proximité, la voir habillée de ce t-shirt, suffisait à me donner envie de la rebaiser, encore. Mais je ne fis que rôder, car je savais qu’elle n’aimait pas les prolongations. Pour elle, cet instant où notre désir comme notre satiété s’éloignait, faisait partie du plaisir. Pour elle, cet instant était une fête d’après match. Une fête d’après match parfaitement silencieuse. Où l’on fumerait … Une cigarette. En silence. Et c’est tout.
Mes bonnes intentions s’arrêtèrent là, je me mis à rôder plus fort. Mon souffle sur sa nuque, mon visage lui tournant autour, très près… Je me sentais comme un prédateur repu effrayant une proie par jeu. Elle tendit une main, fit ce geste comme pour chasser un moustique, je me calmais.

– J’ai envie encore, j’ai joui au fond de ton ventre, mais cette fois, je veux t’enculer bien à fond.
– Tu sais emmener les choses avec tact, toi. Tu es très fort, pour embobiner les gens. Un vrai … Retourneur de cerveau.
– Ne te moque pas, je sais que ce genre de propos vous excite.
– Vous ?
– Les femmes.

Elle souffla une longue fumée et se tourna vers moi, un petit sourire moqueur aux lèvres.

– Oh. Tu as l’air d’en savoir beaucoup sur les femmes.
– J’en sais beaucoup, oui. Et sur un tas de choses.

Elle dut comprendre à ma réponse que sa remarque me vexait, elle ajouta :
« Mais oui, cela m’excite, quand tu utilises ces mots. Parce que je sais que dans ta bouche, ce ne sont pas que des mots. Mais j’aime être tranquille. Tu m’enculeras plus tard. Aujourd’hui, ou peut-être demain, si nous le faisons après minuit. Tu m’enculeras comme tu en as envie. Bien à fond. »

Je savais qu’elle aimait être tranquille, je savais une quantité de choses sur ses fonctionnements, même ses rêves et ses douleurs m’étaient familiers. Je savais tout, et je connaissais toutes les raisons. Alors soudain, je me demandais pourquoi, pourquoi j’avais insisté comme ça auprès d’elle, à la façon d’un enfant faisant un caprice, oui pourquoi j’avais … Qu’est-ce qui me dérangeait … Et je compris. Je venais de me comporter comme « avant ». Brièvement, j’étais redevenu l’homme aussi con qu’avant. Mes mots étaient ce reflet de moi, en plus jeune, plus impétueux. J’étais redevenu le mortel que je connus, avant de devenir un dieu.
Je le réalisai soudain. Cet autre, cet abruti qui insistait pour une sodomie …
Cet homme appartenant au passé manquait à ma vie.

« Qu’est-ce qu’il t’arrive, j’ai dit quelque chose … Qu’est-ce qu’il y a ? »
Elle avait pris mon visage entre ses mains ; ses yeux exorbités, ses narines dilatées sous ses respirations violentes, je ne compris pas pourquoi elle paniquait ainsi.
« Rien. Il n’y a rien, calme-toi …
– C’est ton visage !
– Quoi ? Je …
– L’expression sur ton visage, ce fut bref, mais … Ton expression, mon dieu …Elle était si terrible ! »
Ses yeux se remplirent d’humidité, à mon tour je pris son visage entre mes mains.
« Calme-toi, ce n’est rien. J’ai simplement pensé à … A quelque chose… Une bonne chose, je te l’assure. »

Elle s’écarta un peu et reprit ses mains pour s’éponger les yeux. Elle essaya un ton joyeux.
« Tu m’as fait peur … Tellement que j’en pleure, putain ! Pleurer, ça ne m’arrive pourtant pas souvent. Je dois ressembler à une fille stupide.
– Non, non.
– Mais cette expression sur ton visage … C’était … Affreux.»
Elle renifla et ajouta :
« J’espère que tu n’as pas réalisé m’aimer subitement, parce que je te l’ai dit, l’amour, j’aime pas ça. Je trouve que c’est un truc de blaireaux.
– Non, ne t’inquiètes pas.
– Alors tu ne m’aimes pas … Bien. Sincèrement, je préfère ça. Mais quelle que soit cette chose, à laquelle tu as pensé, c’était si bien, pour que t’aies besoin de faire une tête horrible à ce point ?
– Je ne l’ai pas fait exprès, pardonne-moi. Je suis désolé de t’avoir effrayé. Et oui, ce fut une très belle pensée. Une pensée pour moi. Mais simplement, je ne m’y attendais pas »

Elle s’excusa encore d’avoir pleuré, d’avoir eu l’air stupide, je m’excusais de lui avoir gâché sa fête silencieuse. Elle ne comprit pas cette remarque, mais me sourit. Puis elle se moucha dans le bas de son t-shirt, et d’un commun accord tacite, nous avons décidé de passer à autre chose.
Mais nous n’avons pas vraiment réussi.
Les autres problèmes me hantaient … Se bagarraient tous dans mon cerveau…
Zeus, qui devenait irascible, dangereux pour tout le monde…
Eros, qui choisissait précisément ce moment pour vouloir partir.
Et le pire, le pire …
Si je me trompais à propos de cette fille ?
Si les vérités entrevues à son sujet étaient fausses, et si le plan que j’avais échafaudé en secret contre elle, nous menait tous à la ruine ?
Eros, elle, Zeus, moi …
Si je me trompais, si j’étais devenu fou …
Alors je risquais l’effondrement de l’humanité entière.

Par un accord tacite, elle et moi avions décidé de passer à autre chose, mais c’était impossible.
A croire que ce soir-là, assis face à face sur le matelas, la gravité s’était collée à nos dos.

a sUIVRE

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1 Commentaire
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VERTIGE Frederik
3 années il y a

Captivant ! Ecriture fluide et agréable à lire. J’attends la suite du Cercle des Dieux.

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