Cauchemar – 13

4 mins

                                    ONZE — MAËLLE (suite)

    Le lendemain, il vint encore, il m’ignora encore, il paraissait encore à bout. Le surlendemain aussi.

 C’était maintenant le quatrième jours qu’il venait après son absence prolongée. Et il paraissait chaque jour un peu plus fatigué. Fatigué de la vie, fatigué du monde.

 Nous étions en cours de SVT, je discutai avec ma voisine, Léane, et Alexandre somnolait derrière moi. Soudain, son téléphone sonna. Il se leva et sortit pour décrocher. Le prof paraissait aussi surpris que nous et il se dirigeait vers la porte pour le réprimander. Mais Alexandre revint aussitôt, se précipita vers sa place, attrapa ses affaires et ressortit en courant.

 Sans réfléchir, je pris mon sac et sortit aussi pour le suivre. Léane tenta de me retenir mais je l’esquivai.

 Je le rattrapai alors qu’il avait escaladé le grillage. Je grimpai et il me remarqua.

 – Qu’est-ce que tu fais ?

 Sa voix était dur.

 – Je te retourne la question, répliquai-je en sautant à son côté.

 – Ça ne te regarde pas. Maintenant retourne en cours.

 – Non. Je veux des réponses. Pourquoi tu m’ignores comme ça ? Pourquoi tu t’absentais souvent après ton arrivé ? Pourquoi tu t’es absenté pendant deux jours ?

 – Crois-moi, il vaudrait mieux pour toi de retourner gentiment en cours. Tu n’as pas vu ce que j’ai fait à Samuel en janvier ?

 – Je n’ai pas peur de toi. Samuel n’est qu’un abruti, pas moi. Si tu ne me donne pas de réponses j’irai demander aux profs directement.

 – Oh, parce que tu crois qu’il sont au courants. Non, si tu vas leur demander il te diront : « Je crois que ses parents l’ont abandonné à la naissance » mais un autre va te dire : « Ses parents sont en voyage d’affaires ».

 – Mais ils sont où, pour de vrais, tes parents ? Et ton frère, il est vraiment malade ou c’est juste une autre invention ?

 Apparemment, mes questions l’avaient énervé encore plus. Ses yeux me jetèrent des éclairs et il me plaqua contre le grillage. Il enfonça son pouce sous ma clavicule. Je hurlai de douleur, j’avais senti l’os se déplacer. Il retira sa main mais l’os ne reprit pas sa position et la douleur était décuplée. Je gémis et sentis les larmes me monter aux yeux.

 – Tu m’énerve, gronda-t-il. Tu vas aller à l’infirmerie et me laisser tranquille. Et si j’entends encore une fois tes questions, je te casse vraiment un os. C’est clair ?

 Sa voix était menaçante mais je voulais avoir des réponses, et puis, je ne saurait pas quoi dire à l’infirmière. Alors je le défiai du regard.

 – Tu as peur. Peur du regard des autres. Peur de l’avenir. Et les gens qui ont peur ne me font pas peur, je veux juste les aider, dis-je.

 Ma réplique l’avait perturbé, car il savait que j’avais raison. Je profitai de son silence pour donner le coup fatal :

 – Je veux juste t’aider. Je vois bien que tu ne tiens pas le coup, je peux t’aider. S’il-te-plaît…

 Il hésitai. Mais il souffrait trop, il avait besoin d’aide. Il soupira.

 – J’avais neuf ans, commença-t-il brusquement.

 Sa voix était rauque et morne.

 – Ma vie était parfaite, j’avais des parents merveilleux, un grand frère aimant, et une belle maison. Ma vie était un rêve, et je me suis réveillé.

 « C’était un soir d’hiver. On était en train de jouer à un jeu de société comme tout les mercredis soir, lorsque l’on entendit la porte se faire crocheter. Papa réagit très vite, ils nous cache sous la table. Cinq hommes cagoulés entrent dans la maison. Ils nous trouvent très rapidement. Quatre d’entre eux se sont saisis de chacun de nous. Celui qui me tient est le plus jeune. Le chef est le cinquième, il nous contemple en ricanant. Il fait un geste à l’homme qui tient maman, qui lui ouvre le bras en long. Maman hurle. Papa se débat mais celui qui le tient le maîtrise. Maman se fait lacérer l’autre bras, puis les jambes… et enfin, la gorge.

 Alexandre s’est mis à pleurer. Sa voix à flanché sur ce mot. Il s’arrête un instant. Je suis bouche bée, l’histoire qu’il me raconte est vraiment atroce, je ne m’attendais pas à ça. J’avais toujours extrêmement mal à la clavicule mais son histoire m’aidait à l’oublier.

 – Elle s’effondre sur le sol, continua-t-il doucement. Papa est en rage, il se débat. Sébastien, qui pleure depuis le début, hoquette d’horreur. Moi, je ne réagis pas.

 « Le chef s’est mis à rire quand maman est tombé. Il sort un couteau de sa poche et s’approche de Papa. Le chef attrape le bras de Papa. Et avec son couteau, il lui coupe un doigt, Papa hurle de douleur. L’homme s’approche de moi avec le bout de main et dit :

 « – Regarde, c’est un morceau de ton papa. Garde-le pour te souvenir de moi.

« Et il met le doigt dans la poche de mon pyjama.

 « Finalement il coupe la main de Papa. Je la vois tomber sur le sol, éclaboussant le parquet de sang. Je n’entends même pas le cri de Papa. L’homme approche de nouveau son couteau de Papa. Et il lui coupe la gorge. Le sang me gicle au visage. Papa me regarde. Sébastien crie. Moi, je ne réagis pas.

 « Je sens l’homme derrière moi trembler, moi, je suis de marbre. Le chef ordonne à ses hommes de nous lâcher. Et, sans un mot de plus, il s’en vont.

 « Sébastien appelle les secours et on est évacués. On est suivis pas un psy mais il ne peut rien pour nous. On est placé dans un orphelinat, pendant cinq ans. Quand Sébastien à eu vingts ans, on a décidé de partir, alors on est venu ici.

 Alexandre s’arrête brusquement. Il me regarde et approche doucement sa main de ma blessure. Il appuie un coup sec sur l’os. Je crie mais je sens que l’os est revenu à la normal.

 Je ne sais pas quoi dire, alors je m’approche doucement et je le prends dans mes bras. Pendant un moment, on reste comme ça. Puis il dit tout   bas :

 – Maintenant, Sébastien est à l’hôpital. Il a fait un arrêt cardiaque. C’est pour ça que je ne venais plus. Et ce matin, l’hôpital m’a appelé pour me dire qu’ils avaient les résultats du scanner qu’il lui ont fait au cerveau… Il a failli mourir, et je sais que s’il meurt je mettrai fin à mes jours.

 Je hochai la tête. Oui, il devait y aller. Mais j’irai avec lui. Je lui pris la main et l’entraînait vers le trottoir. Et nous marchâmes jusqu’à l’hôpital.

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