Le temps s’écoule sans se soucier du monde qu il gouverne, il poursuit sa route indéfectiblement… et je poursuis la mienne sans me soucier du temps qui passe, il n a plus de prise sur mon esprit. En connexion avec tous les éléments de ma dimension liquide, je ne remarque pas que le ruisseau qui me porte a été rejoint par des rus venus des monts au travers desquels il serpente. De méandres en méandres, de confluence en confluence, il a pris une ampleur considérable pour le plus grand plaisir des poissons et crevettes d eau douce qui sillonnent ses eaux. J’admire toute cette activité aquatique, comme lorsque je pénétrais en secret dans le grenier de mes grands- parents et y découvrais les trésors accumulés au fil de leur vie. Je me sens grandie moi aussi, empli de cette nouvelle expérience.
Lorsque je remonte mes pensées à la surface du cours d’eau devenu fleuve, les milliards de gouttelettes accumulés depuis le début de ma liquéfaction semblent ralentir… Elles sont de plus en plus immobiles, et s’entassent face à un immense mur gris qui barre l’horizon. Par moment, certaines sont happées dans un tourbillon puissant et disparaissent. Un barrage. Cette construction monumentale empêche le fleuve de poursuivre son rythme comme bon lui semble.
Une angoisse sournoise s’insinue dans mon cœur. Si je suis à mon tour aspirée, serai-je assez forte pour supporter la pression ? Je n’ai pas envie d être pulvérisée. Mais je ne peux retourner en arrière. Alors que faire ? Nager sur place et me contenter de mes dernières découvertes, ou tenter de franchir cet obstacle avec courage -au risque d y perdre quelques gouttes- et affronter la suite du parcours ?
Le lac formé au pied du barrage bouillonne d’énergie, une énergie retenue. Je me sens oppressée désormais, à l étroit au milieu des éléments dont l’immobilité génèrent un trop plein d’ondes perdues qui se fracassent les unes contre les autres, privées de leur liberté. Je dois quitter cet espace. Je m approche des vannes qui me mèneront au delà du mur…