Le conte de la Sorcière des Bois Chapitre 17 – Et si Jésus était une licorne ?

11 mins

─ Il est temps que nous parlions.

─ Où sommes-nous ? demandai-je, incapable de masquer ma peur.

─ Dans mon esprit, enfant de l’Homme, répondit la Gardienne, tranchante. Nous y serons tranquilles pour discuter. Ici, personne ne viendra nous déranger, pas même la sorcière.

Je contemplai, incrédule, la licorne debout sur l’eau. Ses yeux, l’un noir, l’autre doré, me fixaient avec intensité.

Écoute ce qu’elle a à te dire, petit mortel.

─ Hein ?

La voix chantait dans ma tête sans passer par mes oreilles. Mes tripes se nouèrent, faisant pression sur ma vessie pleine. Douleur et peur composaient un joli cocktail, dont le résultat semblait satisfaire la vieille elfe.

─ Tu as raison d’être effrayé, soutint cette dernière. Car, quand j’aurais terminé de parler, seul un fou ou un mort ignorerait la peur.

─ J’ai peur, avouai-je, espérant naïvement qu’elle me rassure en récompense.

Elle n’en fit rien. Au contraire, ses traits, taillés à la serpe, accentuèrent leur dureté. Sur ses genoux reposait un vieux livre. Sa main de charbon caressait soigneusement sa couverture en écorce, sculptée d’un symbole : un chêne, identifiai-je.

─ Sais-tu ce que c’est ?

Je déniai de la tête, la gorge trop serré pour émettre un simple « non ».

─ Le Recueil des Songes, expliqua la Gardienne en usant d’un ton de déférence. Depuis trois mille ans, les prophéties nées des rêves y sont scrupuleusement retranscrites. Vois-tu, chez le peuple du bois, certains individus naissent avec ce que nos ancêtres ont nommé « le don d’oracle ». Les détenteurs de ce don entrevoient des bribes de l’avenir dans leurs rêves. Ces bribes me sont ensuite transmises pour que je les incorpore au Recueil des Songes sous forme de prophéties. Et si je te disais qu’une de ces prophéties mentionnent ton épouse la sorcière.

C’était à peine si je l’écoutais, occupé à chercher comment j’avais atterri dans cet endroit bizarre.

─ Où sommes-nous ? interrogeai-je la vieille elfe, d’un ton que je souhaitais ferme mais qui se termina en gloussement de poule.

─ Je vais te raconter une histoire, enfant de l’Homme, déclara l’ancienne en fermant les yeux. Dans les temps anciens et oubliés, même de ceux qui n’oublient pas, à par moi, cette contrée n’était qu’une vaste mer d’eau pure. Il n’y avait ni montagnes, ni vallées, ni rivières, ni bois.

Je contemplai l’immensité aquatique autour de moi, sa surface limpide, qu’aucun brin de vent ne venait ternir, parfait miroir du ciel étoilé.

─ Un jour, un des dieux fit tomber un gland. Par mégarde ou volonté, les rumeurs se contredisent. Du gland naquit un chêne. Le peuple du bois l’a baptisé le Premier Né. Nourri par les eaux riches de vie, le chêne grandit jusqu’à menacer de percer la voûte céleste et de faire s’effondrer le royaume des dieux.

Le grand chêne prenait l’allure d’un vaisseau de bois flottant dans un espace vide scintillant de lumière. Et dans ce vide, nous étions trois à voyager à bord de ce vaisseau de bois : la licorne-qui-parle, la Gardienne et moi.

─ Alors les dieux descendirent pour sauver leurs jardins. Ils abattirent le Premier Né. Des millions de millions de feuilles, de brindilles et d’éclats d’écorces s’éparpillèrent d’une rive à l’autre de la grande mer. De la mort naquit la vie. Les dieux le savaient. Les myriades de plantes nées de la mort burent l’eau et la mer devint un bois. Ce que tu vois, dit-elle en ouvrant les paupières et en écartant les bras, c’est le monde à l’aube de sa jeunesse.

─ Une vision ? questionnai-je.

─ Un souvenir, répondit-elle.

J’observai la Gardienne, œuvrant à discerner un élément qui m’aurait échappé, mais rien ne me sauta aux yeux.

Après un instant de pur silence, la vieille elfe demanda :

─ Voudrais-tu l’entendre ?

─ Quoi donc ?

─ La prophétie de la sorcière ?

Mon sourcil gauche s’arqua de lui-même. Sans comprendre, je me trouvai en train de rire, les mains sur les genoux, incapable de m’arrêter. J’ignorais si c’était la stupidité de la question ou le fait que les tics de Nellis déteignaient sur moi.

─ Tu te moques de moi ? gronda l’ancienne.

─ Pardon, soufflai-je entre deux quintes de toux. C’est ma propre stupidité que je moque. Je me disais aussi que le thé avait un goût différent de l’autre fois. Plus terreux que moisi.

Un éclair traversa les rides fossiles de la Gardienne.

─ La naïveté est un trait commun à l’enfance.

─ Et la perversité à la vieillesse, rajoutai-je.

Mes pensées et les mots sortant de ma bouche, tout cela m’était étranger. Je me sentais possédé par un autre moi, et il n’était pas décidé à s’arrêter en si bon chemin.

─ Par deux fois, vous avez drogué un enfant, pour ensuite lui faire une leçon sur la bienséance et la morale. J’ai connu un démon qui avait plus de tact.

La vieille elfe ne disait rien, se contentant de me lacérer du regard depuis les entailles de ses yeux.

Même un enfant sait quand il faut se taire.

Je me retournai vers la licorne, immobile à la surface des eaux étoilées, fixant la corne couleur mousse. J’envoyai paître l’autre moi avant de finir en brochette.

─ Parlez-moi de la prophétie.

─ Le rêve dont elle est extraite, l’oracle le fit il y a trois mille six cents lunaisons, à une ou deux près, ma mémoire défaille depuis l’aube de ce siècle.

Je doutais que ce soit de l’humour d’immortelle compte-tenu du sérieux du ton et du visage.

─ Je vais faire simple et passer les détails, car le rêve n’est pas une histoire linéaire mais plusieurs récits imbriqués les uns dans les autres, aux chapitres mélangés qui se répètent et parfois de différentes façons. Chercher le sens d’un rêve est aussi complexe, et futile, que chercher le sens de la vie.

La vieillesse aime radoter aussi.

Et la jeunesse est sourde.

Un coup d’œil du côté de la licorne messianique révéla qu’elle avait accosté sur la berge de racines et m’enveloppait à présent de son ombre.

─ Quand la bouche s’ouvre, les oreilles se ferment, commenta la vieille elfe railleuse. Difficile de défaire le mécanisme, surtout quand il est rouillé par la bêtise.

─ Je n’ai rien dis ! protestai-je sans quitter la licorne menaçante des yeux.

─ Je parle de la bouche dans ton crâne de poussin, grommela l’ancienne en tapant du pied.

Je me tus, conscient d’être prisonnier de mâchoires qui, à tout moment, pouvaient me transformer en flocons d’avoine. La Gardienne poursuivit :

─ La prophétie, dans ses grandes lignes, présage de la fin de tout.

─ Comment ça ? intervins-je en oubliant la corne piquant mon dos.

Le licorne battit des sabots et renâcla. La vieille elfe fit mine d’ignorer l’interruption.

─ La prophétie mentionne une sorcière, arrivée dans le bois avec les hirondelles phénix. Elle décrit son mariage avec un enfant mortel, né dans les fumées d’une forêt morte. Et elle présage la destruction du bois par une tornade de flammes. Elle parle de la chute des dieux durant une pluie d’étoiles et s’achève par la mort du peuple du bois et l’exil des esprits survivants.

Ses paroles créèrent une multitude de nœuds, dans ma gorge, ma poitrine, mon ventre et mes jambes.

─ Quel est le rapport entre le mariage de deux êtres et la fin de tout, te demandes-tu ? La prophétie relie directement les deux évènements. Les dieux l’ont étudiée et leur conclusion est aussi limpide que le corps d’une méduse des sommets : l’union d’une sorcière et d’un enfant de l’Homme rompt le pacte entre la Nature et le Chaos qui maintient l’équilibre au sein des neuf espaces du Cosmos. Or, ce bois sacré constitue l’un des piliers de cet équilibre et sera le premier touché s’il venait à disparaître.

Qu’est-ce que c’est que ces sottises à deux balles ?

Les dieux ne racontent pas de sottises. Leurs mots façonnent la réalité, rétorqua la licorne, virulente.

─ La destruction et la mort, voilà ce à quoi cette union contre-nature nous condamne tous, résonna la voix plaintive de la Gardienne. Il n’est pas question de morale Jilam. Je ne juge pas ton choix ou celui de la sorcière. Je te parle d’une tragédie qui peut être évitée. Que toi seul peut éviter en fait.

Le timbre menaçant, devenu douloureux, prenait désormais des notes de douceur.

L’ancienne se leva de sa chaise de racines, aussi gracieuse et souple qu’une ballerine, et s’avança vers moi. Sa figure de crépis blanc à deux centimètres de mon nez, elle ouvrit le Recueil des Songes. Une feuille de chêne, appropriée avec la couverture, servait de marque-page. Les calligraphies se révélaient aussi splendides qu’illisibles. La vieille elfe prit délicatement ma main pour la poser sur le vieux papier, rêche et découpé de veines à l’image de la feuille de chêne nichée dans la rainure des pages. La teinte rouge des veines couplée à mon propre pouls donnait l’illusion que le livre vivait, qu’un cœur convoyait le sang à travers ses arêtes.

Je m’aperçus aussi de l’absence de pouls au contact de la paume noir charbon de la Gardienne. À moins qu’il soit lent au point de paraître inexistant.

─ Jilam. Tu es un enfant du bois à présent, par choix. Je respecte le courage qui t’as fait tenir jusqu’ici. Crois-le. J’ai le plus profond respect pour toi. Hélas, ton choix fut guidé par l’ignorance. Tu es un enfant, Jilam. Ce n’est pas une insulte que de le dire, une simple vérité. Tu ignores tout en tant qu’homme et tu ignores plus encore en tant qu’enfant adoptif de ces bois. La sorcière aurait pu t’apprendre, mais, par choix, ne t’a rien dit.

─ Vous voulez dire qu’elle savait ? la coupai-je, frappé en plein cœur par cette révélation tout en souhaitant l’avoir mésinterprété.

─ Elle connait la prophétie, oui, prononça la Gardienne, avec une tristesse qu’il m’était difficile d’imaginer feinte. Nous avons déjà eu deux discussions, elle et moi, à son sujet. Une première avant votre rencontre, l’autre peu après.

─ Et ?

Ses doigts de suif me serrèrent affectueusement l’épaule, comme s’ils cherchaient à me consoler.

─ Tu la connais, dit-elle, encore plus chagrine. Son orgueil démesuré la rend aveugle à la réalité et l’empêche d’entendre toute raison.

─ C’est pour cela qu’elle vous déteste, devinai-je.

─ Je mentirais si je disais avoir été chaleureuse avec elle au début. J’avoue que mon accueil à son arrivée dans le bois fut… disons assez timide. Je connaissais la prophétie. Elle hante mes nuits depuis trois mille six cents lunes. J’ai vu dans l’apparition d’une sorcière le premier signe de sa réalisation.

─ Les prophéties mentent parfois, et même souvent, l’interrompis-je encore, au déplaisir de la licorne qui me le signifia d’un renâclement ébouriffant.

─ Tu as raison, acquiesça la vieille elfe en me gratifiant de son sourire théâtral. Elles mentent jusqu’à ce qu’elles disent vraies. Il est alors trop tard pour en faire des mensonges. Penses-tu que la prémonition de la fin de tout est à prendre à la manière d’un jeu de dés, en s’en remettant à sa bonne étoile ?

D’instinct, mon index effleura la pierre de nacre à l’étoile gravée sous ma chemise.

─ Que voulez-vous que je fasse ? Que je donne tort à une prophétie de fin du monde ? m’emportai-je légèrement sous le poids de la vague de pensées accumulées. Comme le dit si bien votre amie, dis-je en désignant la licorne susceptible, je ne suis qu’un petit mortel.

─ Et l’époux de la sorcière, enchaîna l’ancienne. L’un des deux maillons qui relient la probabilité de la prophétie à la destruction véritable du bois et de ses âmes. Elle et toi seuls disposez du pouvoir du choix, et la sorcière a déjà fait le sien dans ce jeu d’échecs.

M’est avis qu’il s’agit plutôt d’un jeu de dupes. Et que l’oie qui se retrouvera farcie à la fin, c’est bibi.

À ce moment, la licorne prit le relai de la Gardienne.

Tu peux sauver le bois et l’infinité de vies qui l’habitent par ta seule volonté, petit mortel. Il te suffit de rompre votre pacte de mariage. La sorcière n’y pourra rien. Ainsi, le risque de voir l’équilibre entre Nature et Chaos s’effondrer disparaîtra.

Et je me retrouverai à nouveau seul. Nellis me haïra jusqu’à la fin de mes jours… qui risquera d’être écourtée.

Je m’imaginais finir en tas de cendres en repensant au faux Diable.

Le sacrifice n’est jamais plaisant. Il s’agit d’une communion avec le vivant tout entier et contraint à l’abandon de ses désirs égoïstes. C’est ainsi que l’enfant grandit et devient sage.

Mon esprit demeura vide de pensées. Ma coquille venait de se fendre de toute part et je me vidais de mes résolutions, si durement acquises depuis cette fameuse nuit sous le dôme d’étoiles. Un songe émergea du néant. Je me sentais comme la pauvre bête, traquée des jours entiers, et qui finissait dévorée par la folie après avoir perdu trop de sang, consciente de sa fin inexorable. Le hall de la maison de mon enfance se trouvait décoré de dizaines de têtes de ces malheureuses créatures. Des trophées, sources de fierté pour mon père qui prenait davantage plaisir à exposer le récit de leur traque à ses invités plutôt qu’à vanter les mérites de ses enfants.

─ La sagesse s’acquiert par le sacrifice de soi pour le bien commun, clama, au bout d’un moment, la vieille elfe, répétant les paroles de la licorne, tout en resserrant son étreinte affective, plus malaisante que réconfortante.

J’ai déjà entendu ça ailleurs.

L’ancienne referma le Recueil des Songes qu’elle déposa, avec une déférence minutieuse, sur le siège de sa chaise, et d’une niche de racines s’empara de trois autres livres, des parpaings, qu’elle me confia sans se départir de son masque de théâtre.

─ Tu es venu pour me demander une chose et j’avais une chose à te montrer. Simple échange de bons procédés, il est normal que tu reçoives ton dû.

 Elle désigna le volume le plus épais, à la couverture d’écorce vernie de couleur verte.

─ Celui-ci résume l’histoire, les us et les coutumes des elfes, lutins, fées et farfadets.

Un résumé de deux mille pages au moins, jaugeai-je.

─ Celui-là, dit-elle en pointant le second volume, à peine moins épais, et sa couverture rouge, il se concentre sur les démons, les vampires et les démonifées. Il y a aussi quelques pages sur les ogres et les lycanthropes. L’auteur entretenait une tendance bordélique dans ses recherches mais il connaissait son sujet.

Elle pouffa comme sous l’effet d’un souvenir drôle.

─ Oui, ça il connaissait son sujet. Le malheureux, après s’être saoulé à la liqueur de démon, a terminé à un banquet de démonifées.

─ Que lui est-il arrivé ? demandai-je, effrayé par son ironie à la mention d’une histoire que je devinais morbide.

─ Les démons présents au banquet ont raconté qu’il a joué les gratterons avec une belle démonifée toute la nuit jusqu’à finir dans son lit… avant de terminer dans son ventre. On peut parler d’une fin douce-amère.

Et elle pouffa de nouveau.

─ Et ce livre ? l’interpelai-je en désignant la couverture bleue

─ Une encyclopédie qui répertorie les différents esprits du bois et les classifie par type. Un travail consciencieux, mais sujet très souvent à des interprétations douteuses.

─ Il y a les loups de fumée ?

─ Bien sûr qu’ils y sont ! s’agaça mon interlocutrice. Ils font même partie du sommet de la liste.

Aux anges, je commençai à feuilleter les pages du premier livre, celui sur les elfes et leurs cousins proches. Puis la réalité me revint.

─ Tu sais ce qu’il te reste à faire, parla doucement mais avec fermeté la Gardienne en constatant les traits tendus de mon visage.

Je marquai un silence avant de me mettre à bégayer comme un gosse qui apprend le langage.

─ Je… J’i… J’ignore si… si je… si je vais… si je vais y arriver.

Son regard, de glace fondue dans un brasier, m’agrippa telles des serres.

─ Aujourd’hui, en tant qu’enfant de l’Homme, tu disposes du choix face à la mort. Les dieux t’ont fait cadeau de ce don. Aujourd’hui, Jilam, tu es immortel. Tu es un dieu qui tient dans sa main la vie. Tu as le choix de la préserver au prix d’un sacrifice ou de la détruire pour maintenir ta bulle d’égoïsme. Si tu choisis de te sacrifier, les âmes du bois te vénéreront pour les siècles et les millénaires et ton souvenir vivra éternellement.

─ Et si j’échoue ?

Ma voix tressautait comme un volet mal arrimé.

─ Il n’y aura personne pour te haïr, si c’est là ta question, car nous serons tous morts.

J’expirai un rire angoissé.

─ Et vous appelez ça un choix ?

La Gardienne ignora la question, consciente de son ironie.

─ À présent, Mnemosynequus va te faire traverser cette mer et tu te réveilleras.

La licorne vint se planter au côté de la vieille elfe.

Ne te fatigue pas, petit mortel. Appelle-moi Mnemo.

─ Euh… Nemo.

Ne m’appelle pas.

─ Mnemo fut le premier Gardien de ces bois et mon maître avant de me laisser les rênes, conta l’ancienne en passant sa main charbon sur le crin argenté.

La licorne au nom imprononçable avança d’un pas sûr jusqu’à la rive de racines. Le grand chêne présentait toujours l’aspect d’un vaisseau de bois flottant dans l’espace étoilé. Rien dans le paysage n’avait changé, les eaux paisibles, le vent absent et les astres étincelants, alors que mon esprit était en proie à un raz-de-marée. Je m’attendais à ce que la licorne marche sur la surface mais elle plongea. Quelques secondes plus tard, un hippocampe émergea dans une gerbe d’écume. Sa queue turquoise scintillait comme le nacre en battant les eaux désormais traversées de rides.

Je jetai un regard inquiet à l’intention de la Gardienne qui se contenta de m’adresser un large soutire espiègle.

Dépêche-toi, petit mortel. Je ne suis pas un cheval d’écurie que l’on peut faire poireauter.

D’un pas hésitant, je m’immergeai jusqu’aux cuisses avant de me hisser gauchement sur le dos de l’hippocampe. À peine installé, la créature mythique démarra comme un hors-bord. Je m’accrochai de justesse à sa nageoire dorsale, les jambes en l’air battant à la manière d’un pavillon. La corne de licorne, épargnée par la transformation, fendait la mer étoilée telle une fusée de nacre projetée à la vitesse de la lumière dans le vide de l’espace. À force de me tordre dans tous les sens, je parvins finalement à me placer en position de cavalier… enfin, plus ou moins. Les soubresauts harcelaient ma pauvre vessie et faisaient chanter mon coccyx, mais qu’importait ces douleurs futiles.

Merde ! Je chevauche un hippocampe ! Merde ! Merde ! Merde !

 Sur son dos, je fendais les eaux comme une tornade. L’écume avalait les étoiles. Le monde ne se résumait plus qu’à un milliard de perles blanches suspendues dans l’air.

Mes pensées dérivèrent.

Comment appelle-t-on un truc pareil ? songeai-je en fixant la corne frontale de ma monture. Une licampe ? Un hippocorne ?

La seconde suivant cette réflexion, je me retrouvai à plusieurs mètres en l’air, à battre des bras comme si c’était des ailes. Les astres m’entouraient partout où mon regard se posait. Durant trois secondes, j’eus la sensation de flotter dans l’espace.

Le rêve s’acheva sur ma rencontre, brutale, avec la réalité.

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