À partir de ce jour, le cas Jess devint une obsession. Chacune de ses absences au réfectoire ou en étude me paraissait suspecte. Chaque fois que j’entrais dans une salle de classe, mon regard parcourait malgré moi les visages pour m’assurer si, oui ou non, il était présent. Il fallait que je me fasse discret, sinon on penserait que j’en pinçais pour lui !
Bien sûr, je n’avais révélé à personne que mon camarade de chambre faisait le mur dès la fin des cours pour ne rentrer qu’au milieu de la nuit. J’avais aussi acquis la certitude qu’il s’échappait à nouveau aux petites heures du matin, ce qui expliquait pourquoi j’étais toujours seul à mon réveil. Il devait directement rejoindre la salle de classe en rentrant car il s’y trouvait toujours avant moi. Une nuit où j’avais très mal dormi – la faute en revenait au dîner particulièrement salé qu’on nous avait servi la veille et qui m’avait forcé à me relever successivement pour boire, puis pour évacuer ce que j’avais bu – je perçus le léger chuintement que faisait le battant de la fenêtre en frottant contre le chambranle. Il était 5h30 et Jess sortait déjà !
Stan avait bien remarqué que l’entente n’était pas très cordiale entre nous et il m’approuvait de l’éviter, alors que j’avais plus l’impression que c’était Jess qui faisait son possible pour ne pas se retrouver dans la même pièce que moi.
– Si tu veux mon avis, ce type va s’attirer des ennuis, ainsi qu’à tous ceux qui le
fréquenteront.
– Je ne sais pas, éludai-je.
– Crois-moi, il ne doit pas être un élève modèle. Il a sans cesse un air de défi sur le visage.
Et encore, il ne savait pas tout !
– Tu as la malchance de partager une chambre avec lui, ajouta Stan, mais ne le fréquente pas plus que nécessaire. Moi non plus je n’apprécie pas mon camarade de chambre. Nous sommes vraiment trop différents. Il ne pense qu’aux voitures et aux filles qui iraient avec …
Stan avait continué de déblatérer sur la médiocrité de celui qui partageait sa chambre mais mon esprit était ailleurs. Peut-être qu’il avait raison et que Jess se révélerait être, tôt ou tard, un fauteur de troubles mais je n’arrivais pas à le cerner suffisamment pour me faire un avis. En tous les cas, il était certain que LUI ne m’appréciait pas du tout. Le plus étrange c’était qu’à notre première rencontre il m’avait fait plutôt bonne impression, en dehors du fait qu’il m’était tombé dessus et m’avait réveillé en entrant par la fenêtre. Il avait l’air d’un gars sympa, décontracté. Mais le lendemain, en cours, il me fusillait du regard comme si nous étions des ennemis mortels forcés de cohabiter.
Ainsi passèrent les premières semaines de ma scolarité à Saint Georges. Les cours étaient prenants mais j’avais envie de m’accrocher, alors j’y consacrais beaucoup de temps – tout de même pas autant que Stan qui ne semblait s’intéresser à rien d’autre que ce qui pouvait sortir de la bouche d’un professeur. Je compris très vite que nous n’aurions pas de points communs et encore moins de sujets de discussion en dehors des cours. Je n’avais donc plus d’interlocuteurs avec qui échanger chaque jour sur autre chose que les murs qui m’entouraient. Même ma mère, que je contactais une fois par semaine, ne souhaitait rien d’autre qu’avoir des informations sur mes cours, mes professeurs, mon environnement scolaire… Mais c’était toujours mieux que mon père, qui s’était jusqu’à présent contenté de m’envoyer une lettre, ou plutôt quelques mots sur un petit bristol, pour me souhaiter une bonne scolarité dans ce nouvel établissement. Je soupçonnais même cette initiative comme venant de Nestor et non de lui.
Moi je n’avais qu’une envie : parler de ce qui se passait au dehors. N’y avait-il pas suffisamment d’événements passionnants ou affligeants à travers le monde pour qu’on en revienne toujours aux quelques hectares que constituaient mon monde à présent ? Sur mon temps perdu, je consultais même les nouvelles en ligne, chose que je n’aurais jamais eu l’idée de faire lorsque je vivais à Londres et que l’information venait à moi, que je le veuille où non, dès que je prenais le métro ou que j’allumais la télévision. Comme je l’avais pressenti, dans ce pensionnat situé au milieu de nulle part, j’avais l’impression d’être coupé du reste de l’humanité. Je songeais de plus en plus à me carapater de temps en temps, à la manière de Jess, ne serait-ce que pour vérifier que le monde extérieur tournait toujours. Mais où aller, dans cette campagne, sans un moyen de transport ? C’était peine perdue !
J’étais donc studieux, faute de pouvoir faire autre chose… Et c’est sans doute cet ennui qui me poussait à vouloir élucider le « mystère » Jess. Chaque week-end, je profitais autant que le temps me le permettait, du parc du lycée. Stan n’étant pas d’une compagnie très distrayante, je passais la plupart de mon temps libre seul, à écouter de la musique ou à lire. En somme, mes loisirs n’étaient pas si différents de ceux de ma vie d’avant. Ce qu’il y avait de nouveau pour tromper mon ennui était mon ordinateur portable. C’est fou le temps qu’on peut passer sur ces machines, sans rien y faire vraiment ! Cependant, même durant les week-ends, je ne voyais jamais la moindre trace de mon colocataire, que ce soit dans le parc ou dans le bâtiment principal. Il ne semblait même pas manger au réfectoire. J’avais de sérieux doutes sur le professionnalisme des surveillants de Saint Georges, puisqu’un un élève pouvait passer tous ses week-ends hors de l’établissement sans qu’ils se rendent compte de rien. Ou avait-il une permission spéciale ? Je l’entendais pourtant rentrer toutes les nuits, c’était donc qu’il ne passait pas la fin de semaine chez lui. Il fallait que j’en saches d’avantage et je décidai pour cela d’avoir une petite conversation avec lui, au seul moment où cela était possible.
Dans la nuit de samedi à dimanche, j’avais décidé de rester éveillé pour pouvoir lui poser
quelques questions. Puisqu’il s’arrangeait pour que je sois endormi avant de revenir dans la chambre et la quitter avant même que le réveil ne sonne, il fallait bien que je sacrifie mon sommeil pour pouvoir le croiser ! Cette nuit là, j’étais donc en train de lutter contre l’endormissement quand j’entendis un léger bruit venant de l’extérieur. Comme si quelque chose raclait les pierres du mur du pensionnat. Puis je vis apparaître sur le large rebord en pierre de la fenêtre un petit tas de chiffons, rejoint ensuite par une main. Une seconde plus tard, la tête de Jess apparut et il se hissa sur le rebord. Ce que j’avais d’abord pris pour un tas de tissu inerte était en fait la main de Jess, qu’il avait enveloppée dans une étoffe. Ce devait être assez physique de faire cette ascension car il paraissait souffrir, ou peut-être était-ce à cause de sa main… Il ne me semblait pas l’avoir vu blessé en cours, mais peut-être ne l’avais-je simplement pas remarqué, ou bien il l’avait soigneusement caché pour ne
pas attirer de remarques.
J’allumai ma lampe de chevet et, derrière la fenêtre, Jess sursauta. Pendant un quart de secondes j’eus peur que la surprise le fasse tomber dans le vide et me je reprochai d’avoir signalé brusquement ma présence. Un simple regard de sa part et je compris que j’étais bien la dernière personne qu’il aurait voulu voir à ce moment là. Il replia son bras contre lui et donna un coup d’épaule dans le battant de la fenêtre pour qu’il s’ouvre, ce qui fit plus de bruit que d’habitude, puis il se glissa à l’intérieur. Pour tout salut, il me lâcha :
– Au moins, je n’ai pas à me soucier de ne pas te réveiller …
Puis, sans me laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit, il traversa la pièce et ouvrit le dernier tiroir de sa commode. Comme je n’avais pas l’intention d’en rester là, mais bien de lui tirer les vers du nez, je me levai et le suivis. Soit il ne se souciait absolument pas de moi, soit il n’avait pas remarqué que je me tenais près de lui, mais je pus voir sa blessure quand il ôta le bandage. Une large brûlure occupait la partie saillante de sa paume, comme s’il avait posé la main sur une plaque électrique. Il avait sorti de son tiroir une petite trousse, un kit de premiers secours, et tentait de s’appliquer une pommade contre les brûlures. Il s’y prenait comme un pied, appuyant sur le tube de sa main valide, bien plus de crème que nécessaire sortit du tube. Il avait là de quoi se tartiner tout le corps ! J’avais déjà soigné mon ami Zaac plusieurs fois, lui qui se faisait régulièrement des écorchures et autres ecchymoses en pratiquant le skateboard mais tournait de l’œil à la moindre petite goutte de sang. Je décidai donc de prendre les choses en main et lui arrachai le tube.
– Hé, protesta-t-il.
– Laisse-moi faire sinon on est pas couchés ! Ça ne va pas pénétrer si tu mets autant de crème …
Je prélevai une petite quantité de l’énorme plâtra qui débordait du tube et gouttait dans son tiroir, tapissant les serviettes de toilettes rangées là. La brûlure avait l’air superficielle mais il avait dû la sentir passer.
– Ça n’a pas dû être facile d’escalader le mur de l’école avec une main dans cet état.
– Non, tu crois ? répondit-il, sarcastique.
Malheureusement pour lui, je tenais encore sa main; la mienne eut une réaction incontrôlée
face à un énième sarcasme de sa part et appuya un peu plus fort que nécessaire pour faire pénétrer la pommade sur la peau douloureuse. Il retira alors sa main avec vigueur.
– Ouch !
– Laisse, il faut y mettre un bandage.
J’enroulai aussi soigneusement que possible sa main avec la bande de gaze que je trouvai dans la trousse et l’attachai avec quelques bouts de sparadrap. Ce faisant, j’essayai de ne pas empiéter sur le bracelet en cuir qu’il portait au poignet. C’était un bel objet artisanal au centre duquel était fiché un médaillon en métal cuivré aux découpes travaillées. Je n’eus pas le temps de comprendre quel en était le motif que mon patient se relevait déjà.
– Merci … pour ma main, baragouina-t-il en agitant vaguement celle-ci.
– De rien. Mais il faudra que tu mettes à nouveau de la crème demain. Dis, comment t’es-tu fais ça ?
– C’est rien, c’est juste une accident, éluda-t-il.
– Hé bien, tes virées hors du bahut sont plus dangereuses que je ne le pensais ! ajoutais-je
l’air de rien.
– C’est pas dangereux, j’ai juste … mis la main où je n’aurais pas dû.
– Tu devrais peut-être me dire où tu passes tes nuits, juste au cas où tu t’exposerais à d’autre brûlures de ce genre et que tu aies besoin de secours d’urgence.
– Pas la peine, je m’en tirerai très bien tout seul.
Le ton sec qu’il avait employé me fit comprendre que la conversation était terminée pour ce soir. Il allait falloir que j’emploie d’autres moyens pour savoir où il se rendait et ce qu’il y faisait.
Le lundi suivant, je mis mon plan à exécution. Après le déjeuner je m’étais plaint de maux de
ventre et avais prévenu Stan que je monterai directement m’allonger à la fin des cours – je sécherais donc l’étude. Je savais maintenant quel passage empruntait mon coloc pour sortir du lycée sans être vu et je prévoyais de le suivre pour découvrir où il se rendait ainsi chaque jour.
À la fin du cours de physique, je m’appliquai à traîner pour rassembler mes affaires de classe. Comme d’habitude, Jess s’éclipsa sans que personne ne fasse attention à lui. Je le suivis à bonne distance pour qu’il ne se doute de rien. Il emprunta la sortie située près de la salle d’étude qui donnait sur la cour arrière. Pour lui, tout cela semblait parfaitement normal, et il ne s’inquiétait pas qu’un surveillant ou un professeur lui demande pourquoi il se dirigeait vers le parc alors qu’il aurait dû être en étude. C’était en tout cas ce que moi je redoutais, et je devais avoir l’air suspect à longer les murs et regarder sans cesse autour de moi. Une fois le bâtiment principal dépassé, il tourna à gauche en direction des écuries, qu’il longea avant de bifurquer vers le lac. Je ne pouvais pas m’engager à sa suite sur cette vaste zone découverte : il suffisait qu’il se retourne et il découvrirait que je le suivais. J’attendis qu’il ait franchi la lisère des arbres pour le suivre en pressant le pas. Il y avait ensuite quelques mètres de sapins avant de tomber sur le mur d’enceinte. Pourtant haut de trois mètres, c’était par ce mur qu’il s’échappait. Je devais bien trouver un moyen … Je levai la tête pour inspecter les pierres vétustes et remarquai dans les branches de l’arbre au-dessus de moi quelque chose qui n’étais pas censé s’y trouver. Il y avait là comme un paquet en plastique bien garni et sanglé à la base d’une grosse branche. C’était trop fort pour être une coïncidence, Jess laissait quelque chose dans cet arbre avant de s’enfuir ! En examinant de plus près le sapin je remarquai que l’écorce étaient abîmée en plusieurs endroits, comme râpée. Après avoir déposé, en équilibre sur une branche basse, mes livres de cours, je décidai d’emprunter les branches écorchée pour parvenir à celle qui surplombait le vieux mur. Mon ascension fut loin d’être aisée, mon uniforme rendant mes mouvements moins amples et – je devais l’avouer – je n’étais pas un as de l’escalade. Je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j’avais grimpé à un arbre… Le péché de curiosité étant déjà commis, je pris sur moi une indiscrétion supplémentaire en consultant le contenu du paquet laissé par mon coloc. Il y avait là, bien pliés et à l’abri de l’humidité, son uniforme et ses affaires de cours. Il devait sûrement y laisser d’autres vêtements, ceux qu’il portait en ce moment, lorsqu’il rentrait au lycée. Ainsi son uniforme ne gardait pas de traces de ses activités. Car c’était pour le moins sportif de grimper jusqu’ici et je ne savais même pas encore comment redescendre de l’autre côté du mur ! Il est certain que j’aurais dû y songer avant de me percher dans cet arbre mais je poursuivais ma cible et, malheureusement, j’agissais avant de penser au guêpier dans lequel j’allais me fourrer.
De la branche où je me trouvais, je passai sans encombre au mur d’enceinte et me penchai pour observer ce qui m’attendait. De l’extérieur, le mur était soutenu par des contreforts et il y en avait justement un à mon niveau. Il était en très mauvais état : plusieurs pierres descellées étaient tombées à terre, laissant des ornières où l’on pouvait mettre le pied et permettant, si on était casse-cou, d’escalader l’enceinte. Il était délicat cependant de procéder de cette façon sans abîmer l’uniforme de l’école et j’atterris par terre un peu plus rapidement que je l’avais prévu. Heureusement, le champ qui jouxtait cette partie du domaine était désert, et celui que je suivais avait disparu. Il n’y avait aucune culture mais la terre semblait avoir été retournée peu de temps auparavant. Il était facile de relever les traces de pas laissées dans le sol meuble, traversants le champ. Je n’avais plus qu’à les suivre en pressant l’allure pour rattraper le retard que j’avais pris dans ma filature.
Enfin, arrivé de l’autre côté de la parcelle, je n’eus d’autre solution que d’enjamber la clôture d’un pâturage où paissaient des moutons. Dans cette herbe il était impossible de suivre la piste de Jess et je commençais à désespérer de le retrouver, quand j’aperçus une silhouette au loin. Durant un instant d’hésitation je jaugeai la taille de l’individu. Il semblait trop petit pour un adulte et celui que je cherchais n’était pas particulièrement grand. Mieux valait que je ne rencontre pas le propriétaire de ce pâturage qui n’apprécierait sûrement pas que je me balade sur ses terres. Rapidement, la silhouette prit la direction d’une zone boisée et disparut. J’avais l’impression de courir après un fantôme ! Une fois arrivé dans le sous-bois je dus faire attention où je mettais les pieds : si je marchais par mégarde sur une branche tombée à terre et qu’elle craquait sous mon pied, je serais découvert. Au loin, je voyais Jess apparaître de temps à autre, puis disparaître parmi les arbres. Cela faisait un moment que nous crapahutions dans ce bois et j’espérais qu’il savais où il allait car moi j’étais incapable de me diriger. Perdez-moi n’importe où dans Londres, je saurais toujours retrouver mon chemin, mais ici…
La nuit commençait à tomber et l’obscurité était encore plus grande sous ces arbres. Enfin
j’entendis des sons provenant de la civilisation : des paroles et d’étranges bruits métalliques. Y-avait-il un village en bordure de cette forêt ? Je m’arrêtais à la lisière des bois, encore dissimulé par l’ombre des arbres. Une question s’imposa à moi et me paniqua : comment allais-je rentrer une fois la nuit complètement tombée ? Je doutais sincèrement de pouvoir traverser à nouveau la forêt pour rejoindre le pâturage par lequel j’étais passé. Quand à retrouver le contrefort éboulé qui me permettrait de franchir le mur, c’était difficile à envisager. J’avalai ma salive avec difficulté en pensant à la seule solution qui me restait : révéler à Jess que je l’avais suivi et le prier de bien vouloir m’accompagner sur le chemin du retour. En effet, il n’était pas envisageable que je le « file » dans le noir comme je l’avais fait à l’allée. Cependant j’étais toujours là, tapi derrière un arbre, et il fallait que je me décide. J’étais arrivé jusqu’ici, autant continuer.
L’endroit semblait tenir du hameau plus que du village. Les maisons étaient bâties en grosses pierres de la région. Les terrains n’étaient pas délimités de façon précise : pas de barrières ni de murets. D’ailleurs il n’y avait pas de rues à proprement parler, ni de routes… seulement des chemins vaguement pavés qui serpentaient parmi les habitations. Cela donnait à l’ensemble un air de reconstruction historique, comme si on avait bâti ici un village typique d’une époque révolue. Cependant, à y regarder de plus près, tout ne semblait pas d’époque : quelque part sur ma gauche je pouvais entendre de la musique, provenant d’une station de radio qui passait de vieux tubes.
Traversant le hameau, je remarquai plusieurs granges : l’activité ici devait être principalement agricole. Au détour de l’une d’entre elles je m’arrêtai, stupéfait de découvrir d’où provenait le martellement que j’avais entendu depuis les bois : il y avait dans cette bourgade perdue au milieu de nulle part un maréchal-ferrant ! Mais où m’étais-je aventuré ? Je ne voyais qu’une explication qui ne relevait pas de la dérive religieuse ou sectaire : cet endroit était un parc à thème. Peut-être les habitants de cette bourgade s’amusaient-ils à vivre à la manière d’autrefois et faisaient-ils payer la visite guidée aux touristes ? Je regardai autour de moi, espérant apercevoir une boutique de souvenirs – qui dit attraction touristique dit forcément boutique de souvenirs. Jess vivait-il ici ou s’y rendait-il pour une autre raison ? Animer des visites guidées ou vendre des tickets d’entrée par exemple…
Une chose était certaine vue la taille de ce hameau, si je croisais quelqu’un, il saurait immédiatement que je n’avait rien à faire ici ! Heureusement, les gens dînaient à cette heure.
Comme de nouveau je ne savais pas où était passé mon camarade de chambre, je décidai de me dissimiler à l’intérieur d’un bâtiment, ainsi je pourrais observer la rue et apercevoir Jess quand il passerait de nouveau. Je me dirigeai vers la grange la plus proche, celle située à côté du maréchal-ferrant.
J’allais me glisser par la porte entrouverte quand j’entendis justement la voix de celui que je cherchais, provenant de l’intérieur.
– Salut ma belle ! Comment te sens-tu ce soir ? Rien n’a changé à ce que je vois… Oui je sais, je ne devrais pas être ici. Si ma mère l’apprend, je suis mort.
Jess venait donc voir une fille ? Pourquoi n’avais-je pas envisagé cette situation ? Peut-être me paraissait-il trop asocial pour les relations amoureuses… Pour les relations tout court à vrai dire… Mais pour toute réponse à sa question, il n’y eu qu’un puissant bruit de souffle. Était-il avec un cheval ? Je ne pus m’empêcher de sourire à l’idée d’une romance secrète au clair de lune entre Jess et un cheval… Pour en avoir le cœur net je risquai un coup d’œil par l’entrebâillement des portes de la grange.
J’avais peur que Jess m’aperçoive mais il me tournait le dos : assis dans la paille et adossé à une poutre, il avait ouvert sur ses genoux un manuel de cours et semblait prêt à étudier. L’espace d’une seconde, je me demandais ce qui valait le coup, ici, pour qu’il y vienne toutes les nuits et se contente d’étudier. Mais rapidement, mon attention fut détournée par ce qui se trouvait au centre de la grange et que Jess avait l’air observer. J’aurais naïvement pu croire qu’il s’agissait d’un œuf d’autruche posé au centre de ce petit brasier – bien que celui-ci soit vert et marbré d’une teinte plus soutenue, et qu’il faisait au bas mot le double d’un œuf d’autruche – si je n’avais prêté attention à la créature qui se tenait derrière. Mais comment ne pas la voir ? Couchée dans la paille elle mesurait déjà plus de deux mètres. Je ne percevais que vaguement ses formes dans l’obscurité, mais je la reconnus tout de suite : c’était un dragon ! Il était aussi majestueux et impressionnant que dans les représentations des livres mythologiques. Majestueux ? Impressionnant ? Pourquoi de tels adjectifs me venaient en tête ? C’était une bête effrayante qui aurait pu se servir de mes os comme de cure-dents ! Que faisaient les dragons dans les contes ? Il mangeaient les troupeaux et brûlaient les villages. J’avais lu Tolkien et je savais parfaitement qu’il fallait se méfier de ces créatures.