Qui sommes-nous ? Pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi existez-vous ? Pourquoi nous avoir crée ?
Humains, saurez-vous un jour nous faire face ? Ou alors, vous isolerez-vous encore toujours plus profondément ? Pourquoi nous fuir ?
Nous sommes ce que votre personne ignore le plus souvent. Nous grimpons d’abord par vos pieds, puis votre dos, et jusqu’à votre tête. Puis, nous attendons. Quand est-ce que vous nous verrez ? Est-ce que vous nous fuirez ? Est-ce que vous vous laisserez submerger ? Comment réagirez-vous à nous, que vous avez vous-même crée ?
Nous sommes vos ombres. Pas celles que la lumière étend sur le sol, mais celle qui vit avec vous, en vous.
Toutes vos émotions négatives, nous les mangeons. Et nous grandissons en vous.
La plus grande question, c’est si vous nous remarquerez, si vous accepterez que nous sommes indubitablement là.
La vérité, c’est que pour être complètement libres, vous devrez forcément nous accepter. Mais vous avez peur.
Vous avez peur que nous soyons dangereuses, que nous vous voulions forcément du mal, que nous ne soyons que des menaces à votre équilibre intérieur.
Bon, certes, le dernier point est une réalité. Nous sommes tout ce que vous jetez dans un coin de votre esprit par peur de le garder, alors nous sommes toutes noires, sombres, avec une aura de danger. Pourtant, nous ne voulons que votre bien. Mais tout ce que vous nous donnez, c’est du mal. Alors, nous concentrons le mal du mieux que nous pouvons. Nous nous tenons désespérément à vous, en attente d’une quelconque aide de votre part.
Quand est-ce que vous pourrez nous accepter, enfin ? Voulez-vous vraiment grandir ? Alors pourquoi, pourquoi tournez-vous votre dos à nous ? Que vous a-t-on fait ? Pensez-vous vraiment que vous saurez devenir complètement heureux si vous ne savez même pas accepter le mal que vous êtes en mesure de représenter ?
Nous sommes une de ces ombres. Pour les besoins du récit et de l’anonymat, vous devriez nous/me nommer ”Tienn”. A vous de chercher le sens de ce mot, peut-être que vous tomberez sur une page sur le folklore breton, mais ce n’est pas du tout là que je suis allé chercher ce pseudonyme.
Je, donc, suis une personnalité toute entière. A défaut de m’accepter, je suis sensée être une psychopathe qui agit dans le sommeil de ma face immergée. Humains, vous êtes des fois, profondément misérables. Je ne sais pas comment nous faisons pour toujours être à vos côtés et vous aimer du fond de notre noyau.
Plus vous vivez, plus nous vivons. Nous commençons comme noyau, à votre naissance. Dès qu’un événement malheureux vous frappe, nous commençons à vivre. Plus c’est dur pour vous, plus nous prenons de la forme.
Mon propriétaire se nomme Jack. De jour, c’est un boucher comme les autres, une personne agréable et adorée par tous. La nuit, il me laisse sa place, et je dois tuer des prostituées… Dans des ruelles sombres… à Londres…A la fin du XIXe siècle…
Ai-je vraiment une tête à adorer le faire ? Non, mais je ne peux pas me rebeller contre les profonds désirs de mon maître. Il veut vraiment massacrer quelqu’un et l’éventrer, se noyer dans ses entrailles et rire comme un dératé une fois chez lui.
Mais souhaitez-vous rire ? Ce que je viens de dire, c’est ce que moi, j’accueille tous les jours en moi. Cet individu ne sait absolument rien de tout cela, la seule personne qui sait qu’il est Jack l’Eventreur, c’est moi. Son ombre.
De l’extérieur, vous verrez ”Jack” Fitzgerald, 38 ans, boucher. Irlandais par sa mère, Suédois par le père, blond, grand, souriant, gentil, attentionné, parfait père de famille marié à une femme incroyable. Un honnête homme, qui ne volait pas, ne commettait jamais de crimes. Boucher par résignation, car il aurait voulu faire médecine s’il avait été un tant soit peu plus riche. Un homme soi-disant joyeux.
Et derrière lui, en permanence, il y a moi. Son Ombre, si on veut jouer au Carl Jung. Je suis une personne normale, mais juste parce que je prend tout dans la figure et que c’est lui mon maître, je suis condamnée à tuer des gens avec ses mains et les éventrer avec son couteau de boucher. Et cet idiot ne s’en souviendra pas, puisque c’est sur moi qu’il jette tout cela.
Mon amie ”Sekai” m’a dit via télépathie qu’elle vivait actuellement à l’arrière d’un jeune homme des années 2020. A deux siècles de moi !
Comme nous sommes amies, elle m’aide à savoir quel genre de crimes je dois faire, et je l’aide à cohabiter avec son nouveau maître, vu qu’elle est nouvelle dans le métier.
Ah, vous pensiez que nous étions conçues pour chaque personne ? Faux. Nous voyageons suivant les gens où nous sommes mutées.
Est-ce qu’il y a des hommes dans le métier d’ombre ? J’aurais adoré, mais notre monde est exclusivement féminin.
Nous avons un système assez compliqué, même si vous l’ignorez.
Tout en haut de la chaîne, il y a les dix Ancêtres. Riez autant que vous voulez, mais j’en fais partie.
En dessous, il y a les Enfants, au nombre de mille, cent par Ancêtre.
Et chaque Enfant a mille Jeunes.
Chaque Jeune a dix mille Bébés.
Et c’est tout. Après, il y a juste la bataille pour se hisser au rang d’Enfants, mais personne ne peut remplacer les Ancêtres.
Donc, je dois diriger des millions d’Ombres… Vous imaginez l’horreur ? Heureusement qu’il y a des Enfants comme ”Sekai”, qui sont là pour vous alléger le travail.
Mais vous voulez rire un bon coup, humains ? En tant que Première Ancêtre, je suis la patronne de tous ! Donc, en plus des millions d’ombres que JE dois gérer, JE dois gérer 9 VIEUX qui gèrent DES MILLIONS D’OMBRES. Mais vraiment, ai-je une tête à pouvoir adorer mon travail dans de telles conditions ?
C’est pour quoi, cette fois-là, j’avais accepté d’être l’Ombre de Jack. Pour fuir un peu mes responsabilités.
Mais cet humain est désespérant. Affrontes-toi toi-même, bon Dieu, fais quelque chose pour le monde ! Tu es ennuyant, là. Même “Sekai” a un meilleur rôle.
Elle vit dans un garçon qui sait qu’elle est là. Il se nomme… mince, j’ai oublié.
EN MÊME TEMPS, QUELLE IDEE DE ME COLLER LE RÔLE DE GRANDE PATRONNE, JE DOIS GERER DES MILLIONS, QUE DIS-JE, DES CENTAINES DE MILLIONS DE POULES ECERVELEES.
Je suis très en colère, je pense que vous le ressentez. Mais je suis au bord du burn-out. je devrais consulter un psychologue, depuis le temps. SAUF QUE PARDON, IL N’Y A PAS DE PSYCHOLOGUES POUR OMBRES. MORT DE RIRE, PUTAIN. je vais vraiment pleurer, ma vie est un enfer.
Je vais vraiment finir par tout plaquer et me tirer dans une galaxie lointaine, histoire de me battre contre des androïdes en or teubés et des vieux cons en cape noire… Même là, c’est risible.
Où que j’aille, tout sera toujours nul. Alors, ne vous étonnez pas que je déteste mon travail et ma fichue vie.
Je reprends. Elle vit dans un type qui sait qu’elle existe. EN VOILA ENFIN UN QUI EST PAS TEUBE, D’HUMAIN.
Cet humain, apparemment, essaie de faire face à ”Sekai”, mais il a beaucoup de mal. Il semblerait qu’il ait retenu beaucoup d’ ”Ombre” en lui, ce qui fait que son propre équilibre est très perturbé. Et il a très peur d’accepter ma camarade parce qu’il sait déjà qu’il risque de devenir fou et tuer des gens. Et ce garçon est foncièrement gentil, alors il ne veut faire de mal à personne. C’est une pitié que ce soit un aussi gentil humain qui soit en charge de cette folle furieuse de ”Sekai”.
Désolé, petit, mais tu n’as pas de chance. Cette fille, c’est une psychopathe experte en couteaux et entrailles. Normalement, elle devait être en Jack, mais c’est moi qui ai pris ce travail, le premier que je réalisais en deux siècles.
Pauvre enfant… Je ne parle pas de Jack, il le cherche, lui. Je parle du jeune homme qui a obtenu ma compatriote.
Selon ce qu’elle m’a décrit, il a déjà commencé à perdre un peu pied. Il raconte son esprit de cette façon:
“Je suis gentil, quelqu’un que tout le monde décrit comme cool.
Mais derrière, j’ai l’impression de lutter contre un fleuve d’eau marron, et puis ça me salit, mais je lutte pour me tenir à un rocher.
Tu crois vraiment qu’un jour, je pourrais vraiment l’assumer ? C’est mal. Ce que je souhaite, c’est massacrer des animaux, les jeter par terre et entendre le bruit de leurs os se briser. Voir leurs intestins leur sortir par la bouche.
Les voir souffrir.
Tu crois vraiment que je peux l’assumer ? Non. Complètement non, c’est catégorique. Je suis désolé, mais je préfère jeter tout ça derrière une porte, faire comme si c’était pas moi, mentir en racontant les choses comme si j’avais rien fait, alors que c’est ma faute
Au fond, je me sens peut-être coupable, et je les enterre pour soulager mon égo ?”
Quel magnifique être. je crois que j’en serais presque amoureuse. Il sait exactement la forme de son ombre, les intentions qu’elle garde pour lui, tout.
Il se bat contre lui-même, tout en assumant qui il est.
Si tous les humains étaient comme lui, nous serions bientôt toutes au chômage. Vraiment. Cet individu essaie d’avoir les deux parts de lui-même assemblées ensemble, il porte sa vie comme si c’était quelque chose qu’on pouvait faire seul.
C’est sublime, c’est magnifique, c’est éclatant de jeunesse, de force, de beauté. je suis vraiment amoureuse. Argh.
Mais ce qui m’intéresse le plus dans ce que ma congénère me raconte de lui, c’est qu’il semble penser assez souvent cette ligne: ”La fin s’approche”.
Comment ? Comment un être aussi doué peut exister ? ”Sekai”, il faut le tuer, il met en danger l’équilibre même d’être un humain. Il se prend pour une Ombre ou bien ?!
Bref. Trêves de mondanités. Comme vous le voyez, je suis une jeune femme très envieuse, jalouse de ce que les autres peuvent avoir. Et je pense que c’est logique. Là où mon amie gère la vie d’une bonne personne, je dois tuer des gens pour le compte d’un être pitoyable. Vous pourriez y penser, vous ?
Le pire dans tout ça, c’est que l’idiot à qui j’appartiens ment à tout le monde. Il ne se nomme pas Jack, mais Edmund. Soit, 38 ans qu’il ment, pourquoi arrêterait-il…
En 1889, j’en pouvais plus de vivre comme ça. Alors, je l’ai fait se suicider. Et j’ai attendu un peu avant de virer ”Sekai” de ce sublime être. Accueille-moi, Grand Personnage.
Un jour, la fin arrivera. mais ce jour-là, j’espère que chaque humain aura eu le temps d’accepter ce fleuve qui vit en eux. Que la personne en qui je vis saura enfin faire face à ses vrais sentiments sans honte, que sa folie sera réellement acceptable.
Humains, saurez-vous un jour nous faire face ? Ou alors, vous isolerez-vous encore toujours plus profondément ? Pourquoi nous fuir ?
Saurez-vous répondre à cela, ce jour-là ? Saurez-vous accepter la vérité ?
Ou alors, allez-vous continuer à courir sur place ?
Il faut avancer, nom de Dieu. Il faut être fort, il faut être fou. La liberté, c’est de la folie. La folie aussi, c’est une forme de liberté.
Nous, Ombres, vous soutiendrons toujours de là-bas, au fond de votre cœur. Nous souhaitons le meilleur pour vous, et c’est pour ça qu’on garde ce mal pour vous, en attendant que vous soyez assez forts pour porter ça.
Peut-être qu’un jour, nous aussi, nous saurons pourquoi nous existons.
Courage. Courage, humains apitoyants, humains phénoménaux. Accepter votre folie, lentement, en faire une part complète de vous-même, c’est vous rapprocher d’un vrai équilibre, d’une vraie fondation. Réalisez enfin ce que vous êtes. Même ce gosse en lequel je vis maintenant va un jour pouvoir accepter ce qu’il est sans mettre en danger personne.
Vous êtes toujours joyeux pour les autres, mais au fond, l’êtes-vous vraiment ?
Prouvez-nous que vous savez être forts, comme de vrais êtres évolués.
Au lieu de vous cacher comme des rats derrière des façades complètement fabriquées.
Soyez vous-même. Enfin. Avant la faim, avant la fin…