De tous je réclame le silence.
A votre demande, ici commence
Une chanson qu’en votre présence
Il me faut dire en long.
C’était avant que ne soit le monde.
Aucun champ ne portait l’orge blond,
En la mer une écume inféconde
Et ténèbres les cieux.
Nés du ciel, de la Terre rocheuse,
Étonnés, s’éveillèrent les dieux,
Déjà dans la plaine ténébreuse
Investis de science.
Dieux des choses et dieux des vivants,
Ils méditaient, sondaient le silence,
Étant de toutes choses savants,
Artisans Très-Habiles.
Ils se mirent sitôt à bâtir
Au milieu du désert infertile
Une cité pour leur seul plaisir.
Drèmée nous la nommons.
Il y avait de vides maisons,
Jardins secs et marchés sans sermons,
Temples où nul n’oyait d’oraisons,
Le lieu de leur repos.
Or arrivaient à Drèmée la Haute,
A pieds, sans vêtements sur leurs peaux,
Hommes et dieux. Ils cherchaient un hôte
En cette obscurité.
Ils venaient, en deuxième éveillés,
Guidés vers Drèmée par sa clarté,
Les dieux bons allant émerveillés,
Les hommes trébuchant.
Le Ciel éveilla ces dieux cléments
Pour apparaître le plus puissant
Et la Terre pour son agrément
L’humain au pas pesant.
Édole, dont le renom fut grand,
Dieu forgeron, chef des artisans,
Menait ces hommes et dieux errants
Devant les dieux Premiers.
Il vit Drèmée, si bien façonnés
Ses murs, si bien dressés ses piliers !
Il jalousa l’art de ses Aînés,
Alors il fit la lune.
Il la lance – un feu point, qui ne fume ;
Elle s’élève, éclaire la dune
Et ce plat désert gris qu’elle allume
En un rayon austère.
Grande joie des hommes : il voyaient –
Le monde n’était plus un mystère –
Ils chantaient Édole, ils le croyaient
Digne d’être leur roi.
De cela, Tempête prit ombrage.
Il s’avança dans le désert froid,
Prétendit pouvoir faire un ouvrage
Entre tous excellent.
Il fabriqua, fort habilement,
Le soleil qu’il fit bel et brûlant,
Le lança, roue dans le firmament,
Fit du jour sa parure.
Et le Rival étonné perçut,
Jalousa cette lumière sûre ;
Il courut à l’ire qu’il conçut
Défier le grand Tempête.
Les hommes, les dieux, se divisaient
Pour savoir qui tiendrait à leur tête
Un sceptre ; bientôt ils s’épuisaient
A la première guerre.
Édole et Tempête s’affrontaient
Sous les deux luminaires ; la Terre
A leurs pas tremblait, les cieux branlaient ;
En hargne ils n’ont de pair.
Calide adopta dès son éveil
Pour l’expression de toute colère
Et de joie le meilleurs des conseils
Et la paix pour tout vœu.
Elle frappa les astres aux cieux ;
La lune seule gâtée – aveu
D’un ouvrage entre tous consciencieux
Or imparfait – d’une ombre,
Édole s’humilie, plein de honte ;
Il acclame en louanges sans nombre,
En des vœux dont on ne fait le compte,
En roi, son adversaire.
Tempête, empli de juste sagesse,
Assigna pour chaque luminaire
Un destin : roi du jour et maîtresse
Au milieu de la nuit.
Sous le ciel nocturne, Édole mit
Des gemmes ; toujours, la voûte luit
Qui souvent au voyageur permit
De trouver un chemin.
Depuis viennent et passent sans fin
La nuit, le jour, veille et lendemain ;
Jour pour les travaux grossiers et fins,
La nuit pour le sommeil.
Les ruines de Drèmée s’effondraient
Sur des humains morts sous le soleil.
Il fallut – tous alors les pleuraient –
A la Terre les rendre.
Le repos réclamait les vivants.
Certain dieu fit alors l’herbe tendre ;
Ici dormirent également
Le dieu bon, l’humain preux.
Au réveil des vivants en ces lieux,
Sur la tombe aux glorieux malheureux
Avait crût un grand Arbre ; à cent lieues
Ses rameaux jetaient l’ombre.
Ses fruits semaient arbres et buissons
Selon chaque rêve, bel ou sombre,
Offert par ceux-là qui songeront
Toujours sous ses racines.
Toute chose, hôtes, se doit finir :
En ce point ce récit se termine ;
Il est ce qu’estiment, sans mentir,
Les hommes sur tout.
© Cédric L. Martin, 2021.
© Sarah Poncet, 2017, pour l’illustration.