J’ai noirci toutes les surfaces possibles afin de Lui crier mon amour. J’utilisai les feuilles de papier de l’imprimante au début, et il y en avait beaucoup, presque une ramette. Ensuite je dus recourir aux courriers divers qui jonchaient le sol, j’écrivais mes prières sur leurs enveloppes, le papier toilette que je déroulai, jusqu’aux murs, au sol puis au plafond.
L’inconfort d’écrire debout en équilibre sur chaise me satisfit pleinement, comme les nombreuses courbatures et les quelques chutes que je fis. J’étais persuadé que ces choses décuplaient mes prières, comme la scarification. La pugnacité et la joie que je mettais dans cet ouvrage faisaient monter ma voix encore plus haut dans les cieux, jusqu’à Lui.
Tel le humble et courageux paysan respectant les cycles des semailles et inondant la terre de sa sueur, je finirai par récolter les fruits de son amour.
Le champ est mon corps, ma charrue le cutter qui le laboure, le fruit que j’attends est irrigué par mon sang, j’y veille constamment.
Je me sers de l’écriture et de la scarification afin de Lui prouver mon dévouement total. Il m’est impossible de comprendre la raison de Son absence dans mon cœur, cela me fait beaucoup de peine. Je l’aime tellement… Je désire seulement entrer dans Sa lumière.
Mon désespoir se fit plus fort lorsque je réalisai qu’il n’existait plus aucune surface sur laquelle je pouvait Lui écrire, et puis je pensai au papier-peint qui tapissait le mur du fond de l’armoire. Je l’arrachai pour écrire ces quelques lignes.
Dans un soucis d’économie (et cette question est cruciale pour Lui, comme celle du dénuement total dont je fais preuve depuis quelque temps), j’écrivais les premières lettres dans la plus petite taille possible. A force de travail, je réussis à écrire de nouveaux caractères en de minuscules points, un langage parfaitement compréhensible de Jésus. Les autres (tous les fils de putes vivant dehors) seraient bien incapable de déchiffrer ces lignes sans l’usage de quelques puissants microscopes !
Ce fut son premier cadeau, le premier signe qu’Il me fit afin de m’encourager dans la voie que j’avais choisie pour revenir dans son cœur. Il me gratifia de ce pouvoir comme la confirmation que mes prières arrivaient bien à lui ! Je n’avais plus aucun problème de surface puisqu’il m’était possible d’écrire entre les mots, partout, jusque dans les moindres interstices ! Et dans le cas où un jour les vides seraient remplis, nul doute qu’une nouvelle capacité me serait offerte, comme celle d’écrire, pourquoi pas, sur l’air invisible !
Cette capacité me servit également dans mes prières faites de chair et de sang, je franchis une nouvelle étape vers la lumière et la compréhension de son Amour. Les minces traits de sang que je dessinai sur mon corps à l’aide du cutter me parurent bien désuets quand, grâce à cette nouvelle dextérité de chirurgien, je fus capable de peler mon corps, d’en séparer la fine couche de l’épiderme pour laisser apparaître, dans la pénombre de mon appartement-sanctuaire, une chair rose et vive, un trésor architectural comme révélé sous de vieilles pierres. Un temple fait d’or rouge sang que je construisais à Sa gloire !
Je souhaite écrire quelques mots sur la présence dans l’appartement, celle qui défiait mon regard et se cachait souvent, étrange et facétieuse, dans l’obscurité de la salle de bains. Je ne cherche plus à la voir désormais, ni à comprendre ses desseins. Je suis beaucoup trop occupé à faire grandir l’intérêt et l’amour naissant que me porte Jésus. Vous vous souvenez sûrement qu’elle n’aimait pas me voir dormir et s’amusait à inventer mille tours afin de gâcher mes nuits. Ces choses sont terminées puisque cela fait longtemps que je ne dors plus. Jésus me réchauffe tellement par son amour que je n’ai plus de temps à perdre, le sommeil ne m’intéresse plus.
Enfin il me brûle d’arriver à ce que je voulais vous annoncer, le prodige qu’il me fit afin de me signifier le retour de Son amour dans sa grande miséricorde ! Bien que je fis tous les sacrifices , je pleurai tel un enfant devant la générosité du miracle qu’il m’accorda le jour où la faim se transforma en douleur insupportable.
La bonté que me fit Jésus était là, étalée depuis longtemps devant mes yeux imbéciles, grouillante d’amour et de vie, mais, je n’avais pas réussi à la voir. J’avais donc raison depuis le début, Jésus ne s’était pas détourné de moi, mais je m’étais détourné de Jésus !
J’avais arrêté de m’alimenter lorsque des insectes s’étaient mis à naître dans la nourriture que je possédai. Je m’étais dit qu’il s’agissait là de Sa volonté, qu’Il voulait que je jeûne comme lui l’avait fait, afin que je lui prouve mon amour et ma détermination. Malheureusement je ne suis qu’une faible créature, et même si ma foi ne faiblissait pas avec le temps, je sentais mon corps dépérir, de plus en plus rapidement. Je me dis qu’il devait s’agir là de Sa volonté, celle de me rappeler à lui, et que cette mort douloureuse ne signifierait peut-être pas un échec, mais simplement ma récompense sous la forme d’un juste repos à ses côtés. Et puis ce jour-là, lorsque Sa lumière éclaira enfin mes paupières, je compris.
Il ne s’agissait pas d’insectes qui naissaient dans la nourriture, mais des bienfaits qu’Il m’offrait, des fruits coque à pattes qu’Il me donnait afin que je vive pour continuer de le louer !
A cette compréhension, je me mis à pleurer de bonheur, ma bouche chanta entre mes larmes «Bénissez Seigneur la table si bien parée, emplissez aussi nos âmes si affamées, et donnez à tous nos frères de quoi manger » puis je me jetai sur le frugal repas qu’Il m’offrait !
Un repas croustillant et craquant dont le jus épais avait le goût de miel !
Le temps passe et je ne sens plus ni odeurs ni douleurs.
Mes prières de chair et de sang ont atteint un paroxysme.
Au-delà de l’épiderme, j’ai commencé à me débarrasser de ma chair, sur mes membres tout d’abord.
Par une large tranche ensuite sur mon thorax.
Comme la trappe des jouets de mon enfance, celle qu’il fallait soulever pour accéder aux piles.
Pas de piles me concernant, mais un cœur.
Je peux le voir battre sous mes côtes, si je me place debout face au miroir de la salle de bains.
Il y a une membrane laiteuse tout autour, je l’enlèverai aussi un jour, à l’aide du cutter.
Ai pensé aux icônes de madones et à leurs cœurs couronnés, ai pleuré d’un étrange bonheur.
Aujourd’hui je suis sorti de l’appartement sans le vouloir
M’a fait du bien.
J’étais étendu allongé sur le sol, à apprécier l’amour de Jésus qui m’inondait par vagues.
Allongé sur le sol, je me suis envolé, en dehors de mon corps.
Le pouvoir des prières.
La sagesse pour ceux qui se reposent dans l’amour de notre Seigneur.
Mon âme s’est élevée, et j’ai vu mon corps étendu en dessous.
J’ai vu mon corps et mon cœur qui battait dedans.
Mes yeux ouverts et fixes.
Ai constaté que la trappe de chair près de mon cœur était devenue noire.
Ai constaté que des fruits-insectes naissaient dans ma chair.
Me suis promené sous le plafond en pur esprit
Comme un plongeur sous la surface de la mer.
Me suis glissé par la trappe d’aération située dans la salle de bains.
Je ne crains aucunes ténèbres, car mon chemin est éclairé par la grâce de notre Seigneur.
Ai monté un étage dans l’immeuble, en esprit jusqu’à l’appartement du dessus.
Suis sorti par une autre trappe d’aération, en bas d’un mur.
La pièce était sombre, volets fermés , Un homme nu allongé dans la pénombre écoutait l’oreille collée contre le sol.
L’homme ne se reposait pas dans l’Amour de Jésus.
L’homme avait des yeux de chèvre.
Suis redescendu par la bouche d’aération pour reprendre possession de mon corps.
Une fois mon enveloppe charnelle réintégrer, des troubles étranges sont apparus.
Impossible de me concentrer, impossible d’écrire en tout petit.
Mes gestes sont devenus violents, amples et saccadés.
Je ressemble à une marionnette manipulée par quelqu’un de mauvais.
D’inexpérimenté, je veux dire.
Il règne une certaine agitation autour de l’appartement-sanctuaire.
Les ouvriers qui travaillent dehors se sont rapprochés de mes volets.
Le son de leur voix me parvient étouffé.
N’entends que des bribes, j’entends le mot « odeur » et le mot « cris ».
Je crie souvent d’une façon aussi désordonnée que mes gestes.
Ne contrôle plus trop ce corps on dirait.
Peux m’importe puisque je suis dans l’amour de Jésus !
Ai tout de même été devant le miroir de la salle de bains.
Me suis cramponné au lavabo pour arrêter mes gestes ridicules.
La chose que je vis était censée être moi, mais je ne me reconnus pas dans le reflet, me suis mis à pleurer.
Espère que Notre Seigneur Jésus ne m’en voudra pas trop.
Suis créature faible pas comme lui.
Me suis allongé dans le salon pour sortir un peu de ce corps devenu étranger, suis resté au plafond.
Pas envie de retourner dans l’appartement du dessus.
N’aime pas l’homme qui y est allongé avec ses yeux de chèvre.
N’ai pas peur mais n’aime pas, c’est tout.
Je n’éprouve ni haine ni colère.
Il est aussi une créature de notre Seigneur.
Alors suis resté contre le plafond crémeux.
Je Suis bien. Besoins de rien.
Quelqu’un a sonné à la porte, et à ma grande surprise, ai vu mon corps bondir et se mettre à hurler.
Pourtant je ne l’avais pas réintégré.
Et… Mon cœur ne bat plus, je le vois d’ici.
Mon cœur ne bat plus et mes yeux sont blancs révulsés.
Qui peut bien se trouver aux commandes de ma marionnette-corps ?
La chose facétieuse qui se cachait dans l’obscurité ?
Est-elle entrée dans mon corps alors que j’étais dehors ?
L’homme aux yeux étranges allongés dans l’appartement du dessus ?
Mon corps vidé de mon esprit donne des coups partout maintenant, il hurle de terreur et de colère alors que la porte de l’appartement-sanctuaire est sur le point d’être enfoncée.
Des ouvriers sont entrés, mais la marionnette fut plus rapide et plongea ses dents dans le cou d’un des hommes, la marionnette avait faim, et arracha morceau de chair, énorme. Les autres ouvriers s’enfuirent terrorisés, et la marionnette mangea partiellement le visage de l’homme qui convulsait au sol, puis lorsqu’il mourut, Marionnette-corps s’allongea tranquillement à ses côtés.
Même si le spectacle m’étonnait, je n’éprouvais aucune émotion particulière pour le destin de ces créatures qui s’agitaient dessous.
Elles sont toutes des enfants de dieu.
Ma marionnette-corps s’est enfin endormie, morte. Mais je ne peux plus la réintégrer.
Ai essayé aussi le corps de l’ouvrier mort, ai presque réussi, dedans à faire bouger son bras mais pas plus, je me suis retrouvé de nouveau dehors au plafond, et ça n’a plus marché.
Pleins d’hommes sont entrés, des policiers et des pompiers, ils ont enlevé les marionnettes.
D’autres sont venus plus tard. Des inconnus qui ont pris toutes mes affaires. Tout moi. Ils ont pris toutes les choses qui étaient à moi, je leur ai crié d’arrêter, je les ai suppliés, mais ils ne m’entendaient pas.
Je sais que cela ne devrait pas me peiner, mais j’ai mal, j’aimerais que quelqu’un prie pour moi.
Quand la pièce fut vidée, des hommes effacèrent les mots que j’avais écris sur les murs le plafond et le sol.
L’appartement-sanctuaire est devenu vide et blanc.
Je ne comprends pas pourquoi les hommes ne m’ont pas débarrassé avec mes affaires, ni pourquoi Jésus ne me rappelle pas à Lui.
Des hommes et des femmes sont entrés visiter l’appartement-sanctuaire, et une femme revint plus tard seule, avec ses affaires.
Je la regarde tout le temps.
Elle a posé sur un meuble une photo d’elle et d’un homme.
Mais l’homme n’est jamais venu.
Elle ne me voit pas mais sent ma présence.
La nuit j’aime jouer à la réveiller, je suis facétieux.
Je m’ennuie la nuit je ne veux plus être seul, maintenant que je sais que Jésus m’a toujours abandonné.
La femme a eu peur, je me suis fais voir deux fois par accident, une fois en bas de la porte de la salle de bains, l’autre fois dans l’angle entre le mur et la douche.
Avec le temps la femme à moins peur de moi.
Elle commence à écrire sur des feuilles de papier des prières adressées à Jésus.
Je suis content, je ne l’embête plus, et de toute façon, bientôt elle ne dormira plus.
Je reste souvent caché dans le sombre de la salle de bains.
Dans cette ombre, nous sommes nombreux.
Dans cette ombre, nous sommes facétieux.