Tenebris (cycle) : Alchimie Z

7 mins

Cette nuit une trentaine de personnes se tenaient immobiles et silencieuses sur le trottoir la tête levée au ciel et y avait de tout, des jeunes des vieux des femmes et des enfants…
J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de la lune devenue obèse, le globe d’une blancheur veinée semblait sur le point de s’écraser au milieu de l’asphalte – mais non, tout le monde fixait une banale fenêtre en haut d’un petit immeuble de quatre étages, la seule allumée, et j’y vis des ombres chinoises bouger très très vite derrière le rideau rouge de la vitre.

Je ne devrais plus sortir me balader la nuit sans but, comme ça je n’aurais pas été présent quand  cette berline déboula beaucoup trop vite et partit s’enfoncer le museau droit dans un mur. La terre vibra la voiture s’écrasa, dedans un couple qui devait être bien habillé, avant.
Le ventre de l’homme qui conduisait était écrasé par le volant, le tableau de bord s’était jeté sur lui, la femme assise à ses côtés aussi, sa tête immobile baissée dans la contemplation de ses genoux. L’homme tourna le visage vers moi et me regarda d’en-dessous, un souffle « aiiiidez moi… » et j’lui ai répondu de pas s’en faire, que j’avais déjà appelé les secours.
J’ai fait le tour de la voiture côté passager, la femme était dans un état pire, elle dégageait une forte odeur comme celle qui flottait lorsque je passais devant les abattoirs sur les coups de six heures du matin. Elle portait à l’origine une robe noire en satin dos-nu, je me dis qu’avant que ses jambes ne soient mélangées au bloc-moteur, elle devait être chaussée d’escarpins. Sa tête baissée restait immobile, j’ai relevé sa robe mais le bas s’est accroché à un bout de métal ce qui fit que je la déchirai un peu. J’ai écarté sa culotte noire en dentelles puis j’ai glissé un doigt dedans elle comme pour prendre sa température. L’homme me répéta « aideeeez moi… », je lui ai assuré d’une voix douce, le doigt immobilisé à l’intérieur, que les secours arrivaient.
Ma réponse dut le satisfaire puisqu’il piqua du nez pour se reposer définitivement.

Quand je suis rentré chez moi sur le miroir de la salle de bains quelqu’un ou quelque chose avait inscrit à l’aide du dentifrice « VI », je ne sais pas .
Je me suis allongé sur le lit pour fumer une cigarette tranquillement.

J’aurai besoin de…

D’un prêtre orthodoxe, de ceux qu’on trouve chez les arméniens… Mais dans un second temps.

La cigarette terminée je récupérai la cendre.

Je me suis mis du rock, j’ai sorti tous les éléments de la cuisine, les casseroles les plats les assiettes les verres tout ce qui pouvait servir de récipient, j’ai allumé toutes les plaques électriques, j’ai cuit des trucs au micro-onde, avant le prêtre arménien j’aurai besoin d’alambics, de cornues, de bouquins sur les anciennes sciences islamistes, Sciant artifices alchemiae species metallorum transmutari mais ce n’est pas tout, je suis persuadé pouvoir transformer l’immatériel et l’invisible.

J’ai travaillé toute la nuit.

Au petit matin une nouvelle plomberie était née du plancher, de fins tuyaux en cuivre courraient le long des murs comme du lierre. Autour de certaines vieilles jointures un liquide sombre à l’odeur aigre suintait, je remis du rock.
Je me suis visionné quelques vidéos de la femme aimée, le bruit de son rire envahit l’appartement, une autre époque joyeuse, sans alchimie-Z.

« Pourquoi gardes-tu ce casque sur tes oreilles ? »
« Hein ? »
« Pourquoi t’as ce casque son jack n’est relié à rien ? »
J’avais convoqué un ami à la terrasse d’un café.
« Ah ça ! J’entends des trucs. »
« Quoi ? »
« Des genres de trucs, si tu préfères… »
« Je peux écouter aussi ? »
« Non. Je suis venu te demander si tu connaissais un prêtre orthodoxe ouvert la nuit ? »
« Je peux regarder sur internet avec mon téléphone? »
« Oui, fais ça. »
« Y a des services nocturnes dans cette église… »
« Putain-non, une église… »

Le prêtre barbu remonta l’allée en balançant l’encensoir derrière devant.
La fumée épaisse et blanche envahissait l’endroit.
Heureusement que j’avais gardé le casque sur mes oreilles car la voix des morts recouvraient le son venant de la nef, un tremblement sonore qui à défaut de toucher mes tympans faisait trembler ma vue, et puis toute cette fumée partout… Lorsque l’encensoir amorça sa descente je vis les yeux du prêtre, entièrement noir et pleins, ils n’avaient rien d’humains. Je grinçai un « Que ma prière devant toi s’élève comme un encens », et le vase amorça une nouvelle ascension, lorsqu’il redescendit je m’aperçus que le prêtre était en réalité un cynocéphale.

De retour chez moi plein de ces nouvelles connaissances j’arrivai à appeler un chat dans un long sifflement, l’animal entra nonchalamment dans l’appartement je le tuai d’un grand coup de pied puis en écrasant sa nuque du talon.
Sa tête pendait ridiculement sur le côté lorsque je le soulevai, à l’aide d’une seringue sans aiguille je lui fit boire ma mixture, je réussis à le faire revivre pendant sept minutes et quarante-deux secondes, très exactement.

Ce n’est ni de la nécromancie ni de la magie.
L’objet n’était pas la résurrection due chat mais la résurrection d’une science oubliée.
L’alchimie-Z

Complètement par hasard quelques gouttes tombèrent au sol. Une goutte de mixture noire à cet endroit, méfiant je pris un torchon que je pliai et repliai et quand j’ai frotté la tache, le faux-plancher s’effaça. C’était un peu transparent, il me sembla voir quelque chose bouger à travers le sombre comme s’il s’agissait maintenant d’une serrure contre laquelle j’aurais collé un œil.
Je renversai l’intégralité de la casserole, je l’étalai à l’aide d’une serpillière et j’ai vu des gens dessous, se tenant debout à ma verticale, la chair de leurs corps semblait étrange…
Une de ces créatures plus petite mit ses pieds dans les miens, quand je levai la jambe elle levait la sienne dans une parfaite synchronicité de mouvements. Je notai mentalement « travailler sur la synchronicité en plus, l’intégrer comme je le ferais avec un ingrédient ou une température de cuisson spécifique ». Je reposai le pied la créature reposa le pied aussi, j’eus alors l’idée de m’allonger face au ras du sol en suspension sur les paumes afin d’observer ses traits s’il faisait la même chose, j’aurais pu aussi bien me toiser à travers la surface d’un lac, il s’agissait d’un enfant je crois, un enfant avec un masque, un masque gris, j’espère que ce n’est pas mon enfant-mort (ne pas penser à ces choses).
J’approchai encore plus mon visage il fit pareil, je vis ses yeux humains rouler à travers les gros trous du masque.
Je poussai soudain un cri de surprise, une sensation chaude contre ma main, l’enfant- créature d’en dessous décolla son bras dans une parfaite symétrie.
Je reposai ma main doucement, c’était bien la chaleur de sa paume que j’avais sentie.

Je passai la journée entière à sortir toutes les créatures qui se présentaient à moi en les tirant, j’ai le bras long ahah !
Elles étaient toutes différentes, j’en ai rempli mon petit appartement, certaines étaient nues, d’autres habillées, le premier fut l’enfant, au bout d’un moment j’ai arrêté et nous avons tous attendu la nuit, chaque invité restait immobile debout et en silence, les yeux de celles et ceux qui ne portaient pas de masques étaient comme ceux du prêtre, entièrement noir .
Lorsque le soleil se coucha je les fis toutes sortir discrètement dans la rue.

C’était une belle aventure mais je suis heureux qu’elle s’achève afin de retourner à mes recettes.
Une heure plus tard un message arrive sur ma boite mail et me distrait, habillé uniquement de gants de cuisines en caoutchouc j’ai décidé de prendre une pose bien méritée, le mail disait :
« J’ai les intestins serrés et les épaules déchirées, j’avance sans m’arrêter, sans jamais me retourner. A quoi ça sert ? Vous blaguez là ? Bah… A tuer les gens comme vous. Un clown et une hôtesse de l’air se sont chacun déchiré la jugulaire ! – bonhommeclind’oeilsourire. »
Bordel de merde de foutu spam ! C’était sûrement pour me vendre un truc ! Non je ne mettrai pas ma carte bancaire !
Alors machinalement j’ai peaufiné ma recette sur le petit carnet :
« Ne jetez rien ! Après un bon repas, pensez à récupérer les indigestes morceaux. Débarrassez-vous de ces choses impropres à la consommation, débarrassez-vous de l’amour-rire-pleurer et du sens des mots, jetez tout aux chiens, eux s’en égaleront. »
J’ai jeté mes gants qui ont atterri au sol dans un bruit flasque histoire de fumer une clope et j’ai rajouté au stylo dans le petit carnet :
« Ne jamais porter les choses à ébullition laissez faire le temps. Le temps sera seul juge comme pour toi, il te mettra dos au mur, ce mur que tu façonnas à partir de tes mensonges et de tes illusions. Ce sont des mathématiques qui ne connaissent aucunes pitiés. Un jour le temps t’enlèvera tout, jusqu’à ta dignité. Et il te fera bien fermer ta sale gueule. »

Je me demande ce que pouvaient faire les créatures sorties du plancher ? Où se trouvaient t-elles ?
Je suis sorti me balader un peu il faisait beau dehors.
Au feu le vieux type avait du mal à réfléchir, il n’arrivait pas à formuler la moindre pensée cohérente :
« Il va falloir tout prendre ! Tout bouffer ! Tout niquer ! »
Je dus mettre les choses au point une bonne fois pour toutes :
« Tu as pris ma passion pour de la folie, mon amour pour de la faiblesse, mon talent et mon ambition comme le langage d’un faible, il est temps que mes tours s’envolent loin, ailleurs, j’ai soif de nouvelle magie ! Alchimie-Z !
Mais elle s’en foutait ! Elle voulait voir le grand jeu de real Tv où des dealers se faisaient bastonner, et je dois dire que ça me faisait marrer aussi à l’époque, voir des gangsters adipeux et mals habillés roués de coups et couiner lorsqu’une pluie de genoux, de pieds et de poings s’abattait sur eux, bien drues entre deux coupures pub.

Dehors les statues dans la fontaine s’animèrent un peu. Cela n’a rien à voir avec les créatures que je sortis du plancher ? Je l’espérais …

Je suis rentré chez moi. Quel bordel ! Quel enfer !
Je fis réchauffer le liquide blanc épais marbré de rouge, je m’en suis mis une goutte dans chaque œil (je sais ce que je fais, je préfère doser peu que trop…), j’ai cligné des yeux et j’ai entendu la voix de l’ange Gabriel :
«  L’enfer est un parquet ciré, une surface propre au-delà de l’humanité. C’est une rue privatisée en plein Paris, une grande terrasse, des arbres, un jardin suspendu, et puis au sol une connasse qui agonise en overclocking, elle n’en finit plus de crever à se tortiller au sol comme un poisson.
L’enfer, c’est la saleté, l’enfer est dans les boucles de tes cheveux, dans le moindre de tes souffles expiré. L’enfer n’existait pas avant que tu naisses. Le Mal ne fut pas créé pour servir le Bien par contraste. Une usine construit quand l’autre déconstruit, dans le vacarme hurlant et mécanique des chaînes d’assemblage et de désassemblage. Le reste n’est qu’abstraction qui dépend de la nature profonde de chacun, du côté de la chaîne où l’on se trouve. Comprends-tu ? Même le chaos n’est que tromperie. Aujourd’hui j’ai compris qu’il y a beaucoup d’amour et d’empathie dans la destruction, et Il a réalisé qu’il existe beaucoup de malveillance au sein de la création. Pourquoi sinon, serions-nous autant en colère ? Pourquoi aimerait-il apparaître déguisé en petite fille ? La vérité est que même nous sommes impuissants, Dieu nous a abandonné, nous déraillons. »

Puissante cette potion !
Je pris une pose allongé sur le lit avec une cigarette (penser à récupérer encore la cendre), c’était fou ce que j’avais travaillé en quarante-huit heure ! Deux potions fondamentales déjà ! Il m’en faudrait encore cinq pour arriver à la partie alchimique des choses, ça avançait bien !

Sans le vouloir je m’endormis et je rêvai…
Le gros berger-allemand se retourna pour me regarder sous un soleil noir, dehors un « clac », comme deux boules de pétanque que l’on entrechoque. Quelques secondes plus tard le même clac qui semble plus proche. « Clac » encore plus près. « Clac » sous ma fenêtre, puis « Clac » dans la bouche de la femme endormie à mes côtés.
Je l’ai réveillé pour lui demander ce qu’il se passait, elle me dit « Je suis la princesse véhémente et tu es le prince inclément. »
Tout ceci me conforta dans ma décision d’exercer une violence sans limite sous forme de pression, afin de générer explosions interne et éclatements. La pression que j’infligerai à travers mon alchimie sera verticale, horizontale, et diagonale à leurs axes d’existences.
« Vous me parlez souvent des « autres », mais pouvez-vous m’expliquer qui sont « les autres » ? »
« Tous hormis les déesses et les dieux, les anormaux et les enfants. »

Je me remis au travail.

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