Je ne sais pas par où commencer. Je ne sais même pas trop quoi vous dire. Je m’appelle Kimi Kanaka, et je suis âgée de moins de vingt ans, mais plus que seize. Je dois avoir aux alentours de dix-sept ans, mais je n’en suis même pas sûre. A vrai dire, tout est flou.
Je suis née, et ai grandie, dans un foyer très stable. Je veux dire… Aucun problème de parents toxiques, aucun divorce. A la limite, je pourrais citer la mort de mes deux grands-pères, les deux avant que j’atteigne mes dix années sur Terre. Mes deux grands-mères sont encore du monde des Vivants, même si pour plus très longtemps, et mes parents aussi. J’ai un grand frère qui m’adore, et je lui rend la même.
J’ai quelques amis, mais pas assez pour pouvoir prétendre être une bombe sociable. Même, je ne sais pas trop qui est mon ami et mon ennemi.
J’ai renoncé à trop me tourmenter sur le sujet, par ailleurs. A quoi bon chercher des ennemis soûlants quand on peut être tranquille ? Et à quoi bon se mentir à soi-même, quand on peut vivre en tant que soi ?
J’avoue, c’est dur pour moi. A croire que c’est mieux d’être un garçon. Au moins, eux, ils ont beaucoup moins de mal une fois qu’ils sont devenus potes avec un autre gars. Nous, les femmes, sommes des créatures de doute et de jalousie. Mais étonnamment, je dois avoir un problème psychique, parce que je le suis moins que les autres.
Quand je parle avec des gens, j’ai beaucoup de mal à les ”entendre”. Je m’explique. Je ne suis ni sourde, ni atteinte de troubles de l’attention. Je suis parfaitement saine sur cet aspect, ou du moins, je n’ai jamais eu le loisir de le remarquer.
Si je suis intéressée par la discussion qu’on m’offre, j’entends tout, je vois tout et je comprends tout. Mais j’ai peu de passions dans ma vie. J’adore Tokyo Ghoul, un manga qui est paru quand je venais de perdre mon grand-père paternel, dont j’étais assez proche. Ken Kaneki m’a laissé une forte impression, surtout quand on découvre son passé, dans Tokyo Ghoul: re;, si mes souvenirs sont bons.
Une fille de dix-sept ans typique, habillée comme plein d’autres.
J’ai une appréciation toute particulière pour les jeans délavé et les t-shirts qui laissent voir mes épaules. C’est que j’en suis si fière, si seulement vous saviez !
Un autre chose que j’adore faire, c’est porter une barrette, pour replier ma frange vers le haut. J’ai pris l’habitude d’en porter après m’être pris une centaine de fois des poteaux électriques dans la tête, à cause de mes yeux qui étaient aveuglés par mes cheveux.
Oui, tout va si bien de dehors. J’ai une vie idéale, tout va vraiment bien, je pense que je n’ai aucune raison de me plaindre. Je suis cette fille que vous croisez tout les jours dans la rue sans trop la remarquer. La seule chose que vous retiendrez de moi si vous me rencontrez un jour, c’est mes épaules divinement sublimes.
Pourtant, mentalement, je crois que je vais mal. Comment dire ? Je crois que depuis qu’Il est mort…
Je n’ai plus aucune émotion. Tout ce que je manifeste, c’est des souvenirs passés de ce à quoi ça ressemblait un sourire, des larmes, de la colère, de la bouderie, et tout le reste.
Hier, j’ai vu un chat se faire écraser. Normalement, les gens restent sous le choc, il y en a un qui vient à contrecœur ramasser la dépouille, et qui la jette dans une poubelle, voire lui creuse une tombe s’il considère vraiment les animaux comme des êtres à part entière. Mais quand même, c’est chaud de faire ça.
Moi, je n’ai pas réagi. Le chat a été propulsé sur le trottoir, ensanglanté, et m’a éclaboussé mes baskets blanchâtres. Je l’ai regardé, j’ai donné un coup de pied dedans, et rien. Je l’ai pris dans les mains, et rien. Jamais rien. J’ai fini par le laisser sur un muret et repartir.
L’ennui… C’est peut-être la seule émotion que j’arrive à ressentir. Ce chat raide mort m’ennuyait. Ma vie m’ennuie. Mes amis m’ennuie.
Si seulement… Si seulement je pouvais trouver un moyen de m’amuser.
Je me nomme Kimi Kanaka, j’ai donc à priori dix-sept ans, et je suis, selon mon psychologue, atteinte d’anhédonie, depuis bientôt huit ans.
Je ne suis pas dépressive. Et je ne suis pas quelqu’un qui se laisse écraser par ses troubles. Au contraire, je me bats désespérément pour lutter contre ce vide abyssal que je ressens dans mon cœur.
J’ai souvent l’impression de marcher avec trois sacs de ciments, avec rien là où je suis sensée avoir un cœur. Quand j’essaye de l’entendre battre, il ne fait pas signe de vie. Peut-être que je suis vraiment devenue un monstre, exactement comme j’en avais peur.
Chaque jour, je lutte pour avoir les yeux ouverts, pour rester debout dans la tornade de mon subconscient. Le seul moment où j’arrive à me sentir humaine, c’est quand je rêve.
La majorité des gens se souviennent d’un à trois rêves par semaine. Je m’en souviens de quatorze. Dans mon esprit complètement vide de sentiments, j’accueille ce peu de flamme de la vie avec un réconfort formidable. Si je n’ai pas cédé à la petite voix qui me soufflait d’en finir, c’est car j’ai peur de ne plus jamais pouvoir rêver.
Dans mon univers inconscient, je redeviens qui je dois être. Très apathique, sans surprise, mon monde est composé d’une sorte de bureau. Meow-san, le chat secrétaire, est celui qui me donne des chances de vivre des choses que je ne suis plus capable de même penser dans le Monde d’Au-Dessus, que vous connaissez tous.
Comment fait-il ? En m’offrant des missions à l’intérieur du subconscient des gens. Là, je travaille à corriger les failles de leur esprit.
Je suis Kimi, je suis une Détective du Monde d’En-Dessous depuis plus de huit ans et je ne fais que commencer mon récit.