Notes de l’auteur : TW : racisme, homophobie
Je suis dans la mouise et je me suis tout de suite dit que c’est une leçon qui m’apprendra à rouler des pelles à tout le monde… Vincent fusille Ibrahim du regard avant de me demander, sans lever ses yeux de lui :
– C’est Alyssa 2, c’est ça ?
– Qui est Alyssa ? intervient Ibrahim.
– Une salope de gouine qui a essayé d’endoctriner Elza.
Ibrahim se met à regarder celui que je croyais être mon meilleur ami, bizarrement. J’ignore si c’est du dégoût, de la surprise ou de l’incompréhension mais moi, une chose est sûre, écoeurée et en colère, je le suis et je ne sais même pas pourquoi je ne me suis pas jetée sur lui au même moment. Je surchauffe et rumine, menaçant d’exploser au pire moment.
– Je n’ai rien compris à ce que tu viens de me dire…
– Ah tu veux un dessin ? D’accord, Elza, elle, comme tout le monde, elle aime les garçons et un beau jour, il y a quelques années-
– Cette fois ferme-la, Vincent ! Ibrahim, viens…
Je lui prends le bras et commence à me diriger avec lui vers l’entrée, pour laisser Vincent couiner dans son coin. Mais il ne semble pas être de cette avis puisqu’il s’empare de mon bras et me dit, du regard de rester avec lui. Furieuse, j’essaye de me dégager de son emprise, non sans l’affubler de jolis noms jusqu’à ce qu’Ibrahim intervienne, nous sépare et demande, avec agacement :
– Je sais pas pour qui tu te prends mais elle a tous sauf envie d’être avec toi. Maintenant, lâche-là.
Ibrahim pose une main sur mon épaule pour me guider jusqu’à l’entrée. Il ouvre la porte et à ce moment, je me rendis compte que depuis que je l’ai rencontré, je me sens en sécurité avec Ibrahim. C’est sûrement ça aussi, aimer ? J’avais complétement oublié quel sentiment tout cela procurait mais je me sentais bien… enfin, jusqu’à ce que Vincent n’ait l’excellente idée de crier :
– Je suis son petit ami, donc je pense qu’elle veut clairement rester avec moi !
Ibrahim s’arrête tout de suite et se met à me regarder, d’un air inquisiteur. Vincent nous rejoint, un sourire victorieux au visage et tente de s’approcher moi avant que je ne le repousse immédiatement brutalement.
– Mais qu’est ce que tu raconte ! je crie, partagée entre l’envie de le laisser continuer raconter tout les mensonges qu’il veut ou lui mettre la raclée de sa vie.
Ibrahim semble perdu et réclame froidement, avec une voix qui m’effraie :
– Je peux avoir des explications ?
Vincent prend la relève, m’empêchant d’en placer une et déclare :
– C’est ma petite amie depuis l’été. Elle n’a rien à voir avec toi. T’es juste une lubie pour elle. Elle est bourré. Regarde là, elle tient à peine debout. Et puis, regarde toi. Qu’est ce qu’elle peut te trouver ? T’es qu’un sale arabe.
Et comme si le temps s’était arrêté, aucun de nous ne trouve le temps de réagir, et Ibrahim pousse un soupire, préférant l’ignorer et se diriger vers l’entrée sauf que Vincent continue. Il continue à déblatérer des propos qui me choque probablement plus que Ibrahim sur l’immigration, l’Algérie française, la coloration, bref quoi de mieux pour attaquer une personne. Au bout d’un moment, Ibrahim se rue sur Vincent, et lui colle une gifle.
– Alors écoute petit merdeux. Quand je vois les gosses de votre génération, je me demande ce qu’on vous raconte à la maison où à l’école. J’ai pas envie de m’aventurer dans un terrain glissant mais à la base, c’est toi et tes ancêtres ancêtres qui vous êtes amené.
Vincent n’attend pas une seconde pour contre attaquer en criant :
– T’es malade, toi !
Ibrahim n’hésite pas à répliquer.
– C’est toi qui es malade à insulter sur des choses personnels alors que tu peux même pas garder un œil sur ta copine !
Et donc vexé dans son égo, Vincent tourne vite en une sorte de baston. Apeurée et tétanisée, je n’ose même pas bouger jusqu’à ce qu’il arrive à mettre Vincent à terre, visiblement malgré lui.
Je décide d’intervenir, et j’arrive à les séparer.
– Mais putain vous avez cru que vous étiez dans Rocky ? je hurle, hors de moi.
Aucun d’eux ne répond rien et se contentent de me regarder, les yeux pleins de débit.
– Maintenant Elza, tu viens, il faut que tu rentres chez toi.
Vincent me prend par la taille et me pousse vers lui mais je lui me débat en lui ordonnant de me lâcher alors qu’Ibrahim, encore tout rouge, peine à reprendre son souffle. Vincent beugle :
– La vache ! Tu m’as déboité l’épaule espèce de taré ! Va te faire soigner.
– Ibrahim, l’écoute pas. Tu l’as cherché Vincent.
– Je l’ai pas cherché. Il le mérite, j’aurai pu lui faire plus !
– Putain mais Vincent, ferme ta gueule !
Je lui lance un regard noir avant de m’avancer vers Ibrahim qui reste muet et immobile tout du long.
– Ibrahim ! Il ne t’aurait pas dit ça en temps normal, il est juste bourré. Je t’assure, je…
– Franchement, je sais même pas comment tu fais pour te regarder encore dans un miroir, lâche-t-il, d’un ton sec.
Cette phrase me brise le cœur et les larmes arrivent d’elle même.
– Non mais c’est que… sangloté-je. Tu fais comme si c’était moi qui t’ai insulté. Alors que tu m’as blessé, t’as… trompé ta femme. Ca n’a rien a voir mais…
Je ne trouve même plus les mots pour décrire ce que je ressens a cet instant.
– Non, je ne l’ai pas trompée. Tu ne m’as juste pas laissé parler. Toi, par contre, tu n’es vraiment pas une personne fiable. Déjà, tu traines avec des types comme lui. Donc.
– Toi aussi tu ne me laisse pas parler.
– Allez on rentre, dit Vincent.
Comme j’aime faire les choses bien, j’assène un dernier coup de coude à Vincent au ventre pour qu’il me lâche. Je ne cherche même pas à savoir comment il va et me précipite vers celui que j’aime vraiment.
– C’est comme qui dirait que je te rends la monnaie de ta pièce.
Je ne peux m’empêcher de fondre en larmes, complètement dépitée de la tournure que ça a pris.
– Je n’ai jamais trompée ma femme, non. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus ma femme. On a divorcé y a un an et demi, et j’ai eu la garde exclusive de ma fille. Mais elle est revenue parce qu’elle n’a pas réussit a subvenir à ses besoins toute seule. Alors je l’héberge entre temps. Voilà. Tu as tes réponses. T’es contente ? Maintenant, on n’a plus rien à se dire. Au revoir Elza. Enfin, Elizabeth.
Je l’appelle, je tente de le retenir mais il me repousse aussi violemment quand quand je l’ai pris sa main pour vérifier si il portait une alliance.
– Fiche moi la paix, tempère-t-il.
Je le laisse avoir s’en aller, impuissante, complétement vidée de mon énergie, versant pourtant un torrent de larmes.
Alors qu’il disparaissait complètement de ma vue, Vincent pose ses mains sur mes épaules. Je me redresse tout de suite et crie, furieuse :
– Tout est de ta faute ! On était si bien, et toi t’es venu tout foutre en l’air, comme d’habitude ! Va te faire soigner, c’est quoi ton problème ? Mais tu te rends compte, tu l’as insulté pour ses origines. Ses origines !
– Tu me demande c’est quoi mon problème à moi ? Elza, voyons, je l’ai vu, il était à deux doigts de littéralement te déshabiller.
– Et c’est mon problème ! Mais pour toi, il a juste posé sa main sur mon épaule, il allait me mettre à poil ? C’est ça, le monde où tu vis ? Tu dirais quoi si je te dis que j’en avais envie aussi, hein ? Ce sont pas tes oignons !
Je m’apprête à rentrer pour chercher Alyssa et quitter cette soirée pourrie mais toute la bande a décidé d’arriver au même moment. Putain de merde. C’est vraiment pas mon jour… enfin, mon soir.
– Ca va ? s’enquit Hermine.
– Tout va bien ? enrichit Maximilien.
– Ca fait un moment que tu es partie, Elza, dit Alyssa.
– Alyssa, on rentre. Je prends la main de mon amie. On prend ta valise, nos affaires et on se casse.
– Mais pourquoi ?
– Elza, l’autre bougnoule n’est plus là, t’es pas obligée de partir.
-Mais bordel, tu t’entends ?! C’est quoi cette appellation raciste, putain ?! Je suis qu’une crétine, je me suis trompée à ton sujet, en fait, t’es comme tout les autres.
Mes amis nous regardaient tous bizarrement, de la surprise, en passant par le choc mais surtout l’incompréhension… mais les questions finissent par fuser :
– Il s’est passé quoi ? Pourquoi vous êtes en colère ? C’est quoi un bougnoule ? Vous vous êtes battus ? Pourquoi tu devrais partir Elza ?
Tout le monde pose sa question, si bien que je ne sais même plus qui parlait. Je les regarde à tour de rôle, complètement étourdite, incapable de dire quoi que ce soit. Ma tête tourne et je me sens totalement déconnectée de notre monde. Mais qu’est ce qui m’arrive ? Je n’ai rien bu, seulement une ridicule coupe de champagne, néanmoins l’impression que le monde allait s’effriter sous mes pieds me dévorait. La dernière fois que j’ai eu l’impression de tomber dans les pommes, de cette façon, j’avais 13 ans… avant l’internement.
– Un fils de pute est allée posé ses mains dans les fesses d’Elza. Putain mais vous y croyez ?!
Mes amis me regardent, complètement hébétés sans parler de moi qui ne trouve même plus rien à dire. Je tremble de la tête au pied et mon esprit m’ordonne de faire la peau à Vincent.
– Quoi ? Mais… commence Charlotte.
– Stop ! je finis par gueuler.
Plus personne n’ose l’ouvrir, pas même Vincent alors je reprends :
– J’ai l’impression d’entendre mon père. Vincent, chuis plus une petite fille. J’ai quand même le droit de laisser qui je veux me tripoter. Puis… attends mais il me tripotait même pas et t’as rien vu !
Maximilien est visiblement le plus étonné de mes propos. Il ouvre sa bouche mais n’ose même pas dire un mot.
– Écoutez moi, le mec dont vous parle Vincent c’est ni un fils de pute, ni un bougnoule comme il aime dire. Déjà, il s’appelle Ibrahim et vous savez quoi ? Désolée pour vous mais je suis amoureuse de lui. Alors, je ne vois pas en quoi ça dérange. Sérieux ? Qui ca dérange de voir avec blanche côtoyer un arabe ? On a plus de problème de ce genre, de nos jours, sans parler du fait que-
– Eh !
Salomé vient de débarquer de nul part et semble contrariée.
– C’est quoi tout ce raffut, les jeunes ?
Elle s’approche de nous et scrute chacun de nous. Je rappelle quand même que nous voulions allée à cette fête pour passer de bons moments ensemble et finalement, on se retrouve dehors, grelotant de froid en se chamaillant comme des chiffonniers.
– Je crois qu’on est fatigué et qu’on devrait rentrer, dit Alyssa.
Tous approuvent et rentrent à l’intérieur récupérer leur affaires. Il ne reste plus que Salomé, Vincent et moi.
– Alors ?
Elle lève le menton vers nous.
– J’ai rien à dire, je lâche. Rien qui ne mérite d’être mentionné.
– Elza était en train de se faire tripoter par un crétin, devant la maison. Heureusement que je suis arrivé plus tôt.
– Mais c’est quoi ton problème ? je m’emporte.
– Elza ! intervient Salomé, laisse le parler.
– Je disais donc, que Elza se faisait tripoter par un abruti devant la maison.
– Mais tu ne le connais même pas ! crié-je.
– Elza, c’est le dernier avertissement. Tu n’avais qu’à parler, quand je te l’ai demandé.
– Mais bordel de merde ! Il l’a insulté de sale arabe !
– Et ensuite, il m’a frappé, j’ai cru qu’il allait me tuer ! Je sens même plus mes épaules.
– Tu l’as pas volé. Tu l’as mérité. Il t’a même pas frappé, arrêtes de faire ta drama queen. Toi, par contre, t’y es pas allé de main morte.
Je souffle d’exaspération et retourne m’asseoir sur les marches du perron, en observant Salomé et Vincent du coin de l’œil.
– Bref, Elza avait l’air occupée avec un type que j’ai déjà vu comme il travaille à la libraire du boulevard de la piété. Mais tu sais quoi ? Il s’appelle Ibrahim Talbi et il vient d’Algérie.
– Et alors ? Où est le problème ?
– Attends, c’est toi qui me demande ça ?
– Bah carrément oui.
– Tu veux que je te fasse un cours d’histoire ou tu es déjà au courant de ce qu’il s’est passé là bas ?
– La guerre d’indépendance ? Mais redescends Vincent, c’était il y a… presque 30 ans !
– Ma famille sont des pieds noirs. Mes parents eux même sont nés en Algérie. Ils ont tous dû se barrer après les accords d’Evian, y en a qui ont même pas pu trouver de logement.
Ah oui ? Seulement eux ? Dois-je insister sur le fait que la famille de Vincent est à l’origine espagnole ? Et les harkis ? Ils sont devenus quoi ? Y a eut quoi pour eux, à la fin ?
Salomé ne dit rien, comme si elle est consciente d’avoir frôlé une corde sensible. Pour ma part, je ne dis rien. Ma famille a toujours été anti-colonialisme. En fait, j’ai grandi dans une famille ouverte, très ouverte même. Des questions comme le mariage homosexuel ou le métissage n’ont jamais vraiment été source de problème chez moi. Au contraire.
– Ecoute Vincent, au village comme partout en France, je ne compte plus les gens qui ont dû se barrer des colonies quand elles ont eu leur indépendance. Donc, t’es pas le premier à avoir entendu tes parents parler le soir.
Aucun de nous ne réplique. J’étais plutôt fière de Salomé pour ce qu’elle avait dit, et je me promet de bien lui revaudre ça un jour. Mais pas maintenant. Parce que maintenant, je sais que j’ai la rage. Je sais que les parents de Vincent avaient dû plaquer leur vie entière suite à la guerre en Algérie, il y a très longtemps et que ça avait dû être extrêmement douloureux mais il fallait bien qu’ils trouvent un compromis. Bien que cela n’a visiblement pas été possible… mes amis ont finis par revenir et heureusement.
– Bon bah… commence Maximilien, on va rentrer, hein.
Charlotte s’en va, sans rien dire à personne et je reconnais que je la comprends… Hermine nous fit un petit signe de la main avant de prendre la route. Quand Salomé s’assure qu’on est tous prêts pour rentrer, elle s’en va avec Maximilien, comme ils prennent le même chemin. Et avant que je m’en aille avec Alyssa, qui vient de me remettre mon manteau, je m’approche de Vincent et lui murmure :
– Que ce soit bien clair, en amitié, tout est finis entre nous. Alors ne pense même plus à venir me parler, mon vieux.
Je me barre avec Alyssa qui me suit, armée de sa petite valise. Sur le chemin, elle ne cesse de me lancer des regards furtifs, qui me dérangent assez mais ne dit pas un mot. Elle a sûrement peur de dire quelque chose de travers ou rumine juste ce qu’elle vient de voir. Quoi qu’il en soit, ça m’arrange. Une fois rentrées, on constate que mon père regarde Le père Noël est une ordure et il était mort de rire… bah lui, on peut dire qu’il passe une bonne soirée. Alyssa a l’air amusée.
– Salut pa’.
Il se retourne furtivement et éteint la télévision.
– Ah vous êtes là ?
Il semble étonné et se lève pour aller à notre rencontre.
– Bah c’est une surprise, je croyais que vous y resterez encore une heure ou deux.
Comme je ne réponds rien, et fais même la tête dans mon coin, Alyssa interveint :
– Le voyage m’a fatiguée et vous savez comme Elza est altruiste, alors on a décidé de rentrer ensemble.
– Je vois.
La réponse d’Alyssa n’a pas convaincu mon père mais il se contente d’acquiesser.
– En tout cas, je suis ravie de te revoir, Alyssa, poursuit papa.
Il lui sert la main, un énorme sourire aux lèvres.
– Moi aussi, je suis contente d’être rentrée, vous n’avez pas changé, vous êtes toujours aussi gentil.
Il rit et se permet de dire :
– Je croyais qu’Elza serait contente aussi mais elle fait la tronche dans son coin.
– Eh ! Merci de parler de moi comme si j’étais pas la. Ca fait plaisir !
Je soupire et retire mes chaussures alors qu’Alyssa fait de même.
– Ne le prends pas mal, je blaguais. Au fait, Alyssa, pour dormir, je te laisse ma chambre, ça ne me pose pas de problème et comme tu reste le week-end end, je t’en pris, fais comme chez toi.
Elle a un sourire plein de gratitude et les joues toutes rouges de bonheur, elle ne cesse de remercier mon père. Il se dirige vers la cuisine et Alyssa en profite pour aller dans sa chambre, déposer ses affaires tandis que je m’enferme dans la salle de bain. Je soupire et commence à retirer l’élastique de mes cheveux, en essayant de ne pas grimacer de douleur. J’imbibe légèrement mes cheveux d’eau pour qu’ils reprennent leur forme habituelle.
Comment on en est arrivé là, sérieusement ? Si seulement je n’avais pas du tout vu Ibrahim et m’étais simplement contenté de rester avec mes amis… mais sa présence, je ne pouvais plus m’en passer. Mais si Vincent ne nous avait pas surpris, que se serait-il passé ? Est ce que ça serait lui qui passerait ses mains dans mes cheveux à ma place ? Est ce que ça serait lui qui serait en train de me retirer la chemise que je déboutonne ? Est ce que ça serait sa voix que j’entendrais me murmurer à l’oreille a quel point il me trouve jolie à la place du son de l’eau qui coule ? Je n’en savais rien. Alors que je ne quittais plus des yeux mon reflet, je me rendis compte d’une chose… tout ce qu’il s’était produit, tout ce shmilblick, je n’en ai été que spectatrice. Je n’ai pas eu le courage de m’affirmer face à Vincent, Alyssa, Ibrahim, pas même mes parents. C’est comme ça depuis le début, depuis ma plus tendre enfance, je n’ose pas dire mon avis, je ne sais pas dire non et j’accorde trop d’importance au regard et l’avis des autres. Pourquoi je fuyais les explications d’Ibrahim ? Pourquoi je suis si en colère contre Alyssa alors qu’elle ne souhaite rien d’autre qu’entretenir notre amitié ? Pourquoi Vincent me révulse toujours plus chaque jour ? Pourquoi j’en veux tellement a mon père de ne pas se battre pour ce qu’il veut ? Pourquoi je suis furieuse contre Rafaella alors qu’elle veut simplement être heureuse ? Toutes ces questions pourtant si différentes ont une seule et même réponse. Je suis lâche et j’ai peur de grandir: l’inconnu m’effraie. J’étais dans une pièce noir, telle une prisonnière et alors que mon avenir me forçait par le bras à aller de l’avant, mon passé, mes peurs, mes douleurs et mes émois m’attrapaient par les jambes et, comme une chanson, si douce qu’elle pourrait m’anesthesier, sonnant pourtant faux, à l’oreille me murmure :
– Reste avec nous, Elza, c’est tellement plus agréable de dire que l’enfer c’est les autres !
Alors qu’au fond, la personne que je supporte le moins au monde, c’est moi.
Je m’assois sur la baignoire, passe mes mains le long de mon visage et me met à pleurer de colère et de frustration.
Je me rends bien compte que dans tout ce cirque, celui que j’avais en vérité bien plus peur de perdre, c’était Vincent. Mon meilleur ami, depuis l’enfance, celui qui tout au long de ma vie s’est le plus rapproché d’un frère, pour moi.
***
Après avoir enfilé ma précieuse robe blanche légère, je quitte la salle de bain, pour rejoindre Alyssa et papa, qui font les cons dans la cuisine, non sans avoir enfilé mon masque au préalable.
– Ah t’es là ! dit papa, j’y croyais plus !
Il est en train de faire des crêpes avec Alyssa. Génial, visiblement, il m’a vite remplacée… Quand ils rangent la pâte pour le repos, mon père demande, joyeusement :
– Alors ! C’était comment cette fête ? Vous vous êtes bien amusez ?
– Oui ! dit avec entrain Alyssa, j’ai retrouvé tout le monde, c’était chouette. On a beaucoup bavardé de féminisme, même Maximilien avait l’air impliqué. Je ne pensais pas qu’il serait autant intéressé. Mais le véritable moteur, c’est Hermine. Alors celle-là, elle a de la ressource !
Elle continue de gesticuler en parlant du peu de temps qu’elle avait passé là bas, et je réalise que j’ai vraiment tout louper. Oui, l’amour rend aveugle. Mais moi, j’ai besoin de mes yeux pour avancer dans la vie…
– Et toi Elza ? demande papa, quand elle a finit.
– Comment ? Ah oui. Oh, c’était cool.
Je me serre un verre d’eau, histoire de me laisser le temps d’inventer une histoire pour lui faire croire que ça avait été la grande poilade, cette fête.
– On ne dirait pas. T’es toute palote sans parler du fait que tu n’as pas arrêté de faire la gueule depuis tout à l’heure.
– Elle est crevée, intervient mon amie.
Merci, Alyssa… si j’avais parlé, jamais papa ne m’aurait pas cru.
– Vous savez, elle a dû aller d’ici à la gare puis ensuite m’emmener au village, et en plus, la musique était forte, tout le monde parlait, c’était… fatiguant quoi.
Papa nous regarde, je comprends tout de suite qu’il n’a rien avalé de cette excuse mais se contente de hocher la tête.
– C’était des retrouvailles sympas quoi.
– En gros !
Le reste de la soirée se deroule sans problème, on finit par manger les crêpes de mon père et d’Alyssa alors qu’elle parlait de la vie a Grenoble. Mon père était très intéressé par la vie en ville et ne cessait de lancer, à tout bout de champs “tu devrais faire pareil, Elza !”. Alyssa n’a pas mentionné une fois la dispute avec Vincent et je lui en été vachement reconnaissante. Nous sommes tous allés au lit vers minuit, et malgré tout, alors que je n’arrêtais pas de tourner et de me retourner dans mon lit, le sommeil ne venait pas. Bordel de merde… Après avoir enchaîné plusieurs verres d’eau, et plusieurs passage au petit coin, rien n’y fait et je dois reconnaître que je fais une insomnie. De mieux en mieux… quelle veinarde je suis. Alors que j’étais en train de m’apitoyer sur le sort de ma misérable existence, la porte de ma chambre s’ouvre. Je m’empresse de me cacher sous mes draps.
– Pas besoin de faire semblant. Je sais que tu ne dors pas.
Je le savais, je savais que ça viendrait. C’est sa spécialité.
Papa se tient devant l’encadrement de ma porte et s’avance pour s’asseoir sur mon lit.
– Je ne te pose pas une question : tu ne vas pas bien et même si tes mensonges trompent Alyssa et toute ta clique de voyous, ils ne me trompent pas, moi.
– Pa’, ça fait plus d’une heure que j’essaye de dormir. Si je parle, je diminue mes chances de pioncer.
– Arrête, tu sais aussi bien que moi que tu n’en as rien à foutre du sommeil. Maintenant dit ce qu’il se passe. Je te préviens, je suis éleveur d’équidé et moniteur d’équitation, alors quoi que eu tu dise ou fasses, ma décision est irrémédiable.
– Papa, t’as pas envie de savoir, crois moi.
Il ne me quitte plus des yeux, et il semble croire que quelque chose de grave est en train d’arriver. Son regard devient de plus en plus inquiet…
– Si tu as un problème, j’ai aussi un problème.
– Pa c’est juste des histoire avec… avec des garçons, ça va se régler.
Je parle sans réfléchir. Papa m’a un jour juré que si un garçon m’intéresse, il m’enferme. Et si j’intéresse un garçon, il nous enferme tout les deux et fait la peau au mec. Je croyais qu’il allait sortir une pelle et descendre tout les mecs du village, comme le bon père fouettard qu’il est ferait. Mais au lieu de ça, il soupire.
– C’est Rafaella qui s’occupait de ça, n’est ce pas ?
– Oui…
Non, ce n’est pas les garçons qui me tracassent. En vérité, ce sont toutes ces questions existentielles et remise en cause que cette historie a eu pour effet sur moi, qui me tiraillent. Mais ça, je ne peux pas en parler à mon père. Pas parce que ce n’est pas Rafaelle. Simplement parce que même si je me droguais un beau jour ou me faisait engrosser un de ces quatre, sa fibre paternel, ce rôle qui le collera à la peau, à la vie à la mort, l’aveugleurait et je resterais à jamais la petite fille qu’il a vu naître. Et il était inconcevable pour moi d’un jour voir de la déception dans ses yeux. Je crois que je mourrais.
Je ne sais plus comment je suis parvenue à renvoyer mon père se recoucher mais quoi qu’il en soit, il est partie, me laissant poursuivre mon insomnie seule. Alors lasse, j’ai fouillé mes tiroirs pour en sortir Le loup des Steppes, que je n’ai pas vu depuis 2 mois, et je l’ai lu, jusqu’à la dernière page, en une fois.
Ben c’est bien et c’est vraiment tant mieux parce que pas tous ont été comme tes parents
Désolé Maya, j’ai supprimé mon commentaire car j’ai donné des informations trop personnelles à mon sujet. Ne le prends pas pour toi.
Et en quoi je devrai le prendre personnellement ? C’est ton commentaire, pas le mien, tu en fais ce que tu veux