Tori, une calamité, partie 1.
TORI
— Bienvenue à Ecclésia, Blake !
J’étais dans le bureau de Madalena Turner. À ma plus grande surprise, cette pièce avait été décorée sobrement, sans le luxe que l’on pouvait retrouver dans la plupart des chambres de l’école. Alors que je passai la porte, elle m’attendait derrière son bureau, les mains croisées, ses lèvres, colorées en rouge, révélant un sourire énigmatique. Elle avait de longs cheveux flamboyants et ses yeux étaient aussi bleus que l’océan. Être face à cette femme était intimidant, et encore plus lorsque l’on se rappelait qu’elle avait presque deux cents ans.
— Assis-toi donc !
Je clignai des yeux, avant de me rendre compte que j’étais restée les pieds collés au plancher. Je m’assis alors :
— Bonjour madame Turner.
— Voyons ! Appelle-moi, Madalena. J’ai l’impression d’être une vieille bique.
Elle continuait de me sourire d’une façon dont je n’arrivais pas à saisir et je me demandais même si elle ne le faisait pas exprès pour me mettre à l’aise. Soudainement, elle agita sa main droite dans les airs et une feuille vola comme si elle était portée par le vent, jusqu’à moi.
Cela faisait presque deux jours que j’étais à Ecclésia et je ne m’habituais que maintenant à la magie qui était omniprésente dans ce lieu si fantastique.
— C’est un formulaire de tout ce qu’il y a de plus normal, m’avoua-t-elle lorsque je zieutais sur la feuille de papier. Tu es déjà inscrite depuis pas mal d’année, mais nous aurions besoin de quelques informations pour t’aider dans ton apprentissage.
Je fronçais les sourcils en lisant que je devais cocher mon espèce, sans voir la mienne.
— Il n’y a pas Demesse dans le choix de réponse.
Madalena eu l’air contrariée, mais sans mettre de côté son sourire étrange.
— Coches “Psychic” et rajoute “Démon” dans la marge.
En effet, les Démons n’étaient pas spécifiés, j’étais alors sûr qu’il n’y en avait aucun dans l’établissement.
— Tori, tu dois savoir que ton cas n’est pas ordinaire. Ici, nous offrons à chaque espèce, des cours qui leur sont propres, pour leurs capacités uniques. En l’occurrence, tu devras suivre des cours de Psychisme et de Démonisme qui te sera enseigné par un professeur qui ne fait pas partis d’Ecclésia. Non pas que nous les interdisons, mais ils ont leur propre école, loin d’ici, se reprit-elle probablement en me voyant être sceptique de leur tolérance qui semblait bancale.
Je hochais la tête. Puis attendis qu’elle m’invite à sortir pour ne pas paraître trop impolie, mais soudainement, je me mis à penser à mes parents. Madalena était assez vieille pour les avoir connus lorsqu’ils m’avaient inscrite dans le passé à Ecclésia.
— Excusez-moi, mais je me demandais si… Vous connaissez mes parents ?
Pour la première fois depuis que j’avais passé cette porte, la directrice d’Ecclésia perdit son sourire pour vêtir un air beaucoup plus sérieux.
— Je ne peux pas t’aider. Tes parents ont signé une clause de confidentialité et je n’ai aucune information et aucun droit. Ils ont tout simplement disparu sans explications. Comme la plupart des Démons à cette époque, malheureusement.
Je baissais la tête.
Greg avait alors raison, ils m’avaient abandonnés et avaient tous fait pour ne plus avoir affaire à moi. Comme si je n’étais rien, comme si je n’étais qu’une erreur. Étrangement, ils avaient pris le soin d’assurer ma scolarité et avait payé une somme astronomique pour que je sois inscrite à Ecclésia pour plusieurs années. Néanmoins, je serrais les dents, pour ne pas crier. Je n’avais toujours pas de réponse à mes questions. Quand j’y pense, je n’avais jamais eu besoin d’eux et ce n’est pas aujourd’hui que je quémanderais leur attention. Mes vrais parents m’en donnaient suffisamment. Cependant, il y avait cette tristesse d’être abandonnée qui bouillonnait et se transformait en colère, et plus j’en savais, plus cela attisait ma haine contre eux. Je pensais même que ma volonté de les revoir n’avait que pour but de leur cracher toute ma rage.
— Je comprends ton désarroi Tori, sache qu’Ecclésia est ta maison désormais et c’est pour toi, une opportunité afin de refaire ta vie, comme tu le souhaites.
Je ne savais pas si elle avait voulu simplement être bienveillante à mon égard à ce moment-là, mais je ne dis rien, me contentant de hocher la tête. Je n’avais pas le courage de lui sourire en retour. Elle vit que je ne répondais pas et plissa les lèvres, probablement déçue.
— Bon, je te laisse rejoindre tes amis et te balader comme bon te semble. Ton emploi du temps te sera donné en même temps que tout les premiers années, à la rentrée. Et puis, ne t’en fais pas pour tes pouvoirs s’ils ne se manifestent pas pour l’instant. Ils sont en sommeil, tu ne les as pas utilisé depuis longtemps, mais avec un peu d’entraînement, tu seras parfaite.
Alors que je regagnais ma chambre, traînant des pieds, je remarquais que les couloirs étaient plutôt calmes. Il était tôt et je décidais de mettre un short de sport et une brassière pour courir au stade, derrière le château. Tout en faisant attention à ne pas réveiller Élise qui dormait encore à poings fermés.
En cette fin de mois d’août, les matinées étaient assez chaudes et alors que je faisais plusieurs tours, je ressentis mon manque flagrant de sport. Je n’avais jamais été une grande sportive, je courrais de temps en temps à Chicago, mais rien d’incroyable. Pourtant, Greg m’avait expliqué qu’Ecclésia dispensait de cours de défense et d’attaque, et je voulais avoir le moins de retard possible. Me sentant déjà assez honteuse d’être la « nouvelle Humaine » de l’école. Aiden m’avait appelé ainsi une fois et ça avait eu le don de m’énerver. À vrai dire, tous chez ce Vampire m’insupportaient. Trop imbu de lui-même, jugeant sans cesse. Et son ami le Psychic n’était pas mieux, ils s’étaient bien trouvés ces deux-là.
Au bout de presque trente minutes de course, je m’étalais sur l’herbe, probablement rouge et totalement transpirante. J’avais oublié à quel point le sport était éreintant.
— T’as une bonne endurance.
Je sursautais et voyais deux yeux noirs apparaître dans mon champ de vision, me privant du soleil matinal. Basil s’était penché vers moi, son petit sourire moqueur scotché sur sa belle gueule.
— Merci, dis-je en me redressant. Je courrais parfois, à Chicago, je crus bon d’ajouter.
Il fit une moue semi-impressionné alors que je m’installais en tailleurs sur l’herbe fraîche. Je remarquais alors qu’il était également habillé pour courir.
— Ça fait longtemps que t’es là ?
Il s’assit à son tour en orientant son visage vers le soleil, il me répondit les yeux mi-clos.
— Depuis que tu cours, j’attendais que tu finisses.
Je me mis à rire doucement.
— Pourquoi ? Le stade n’est pas assez grand pour nous deux ?
Il tourna son visage et m’observa d’une drôle de manière.
— J’aime bien courir seul, c’est pour ça que j’y vais si tôt, mais apparemment, il y a plus matinal que moi dorénavant à Ecclésia.
Je ne répondis rien, il est vrai que je me réveillais tôt. Mon sommeil était trop agité pour que j’y reste une nuit entière. Basil et moi semblions partager ce poids. Cela dit, je ne voulais pas lui paraître comme une quelconque concurrence.
— Je peux te poser une question ? Dit-il soudainement..
J’acquiesçais en silence.
— Pourquoi as-tu accepté de suivre Greg ?
Sa question me prit de cours et je fronçais les sourcils, pas sûr d’en comprendre le sens. N’était-ce pas évident ?
— Parce que c’est incroyable. Les Humains sont si… fades et sans intérêts. Je veux dire, comment ne pas accepter les clés de la porte du Paradis. Regarde autour de toi, la magie coule à flots dans les couloirs de ce château et tu me demandes pourquoi j’aurai pu choisir de rester à Chicago à faire des études de commerce ?
Le Psychic me regardait alors gravement, comme si j’avais parlé dans une langue étrangère. Il balança sa tête en arrière et se mit à pouffer. Encore. Et c’était sacrement désagréable.
— Qu’est-ce qui te fais rire ? M’énervais-je.
— Greg est très fort. Déjà, sache qu’à ta place, je serais resté sagement dans ma petite maison à Chicago pour devenir un gentil petit Humain qui n’embêtera personne. Le monde Surnaturel n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend en Enfer, Tori. Les Surnaturels ne sont pas connus pour leur bienveillance : ils ont tué, décimé des peuples entier, il se rapprocha de moi doucement alors que j’attendais qu’il finisse de parler.
— Et ça m’étonnes que tu ne te sois pas renseignée, tu es moitié Démon, ton esprit réfléchit à cent à l’heure, tu as cette soif d’information qui leur est propre. Comment n’as-tu pas pus voir cette évidence.
Je restais bouche bée face à son audace. Je savais très bien ce qui m’attendait en choisissant de continuer ma vie ici, j’avais fait mes recherches et c’est pas un petit con comme lui qui me fera douter de mes propres choix.
— Quelle évidence ?
— Lorsque l’on te voit, on devine que tu n’es pas faite pour ce monde. Une petite Humaine lâchée dans le monde des grands, se mit-il à rire et ça ne fit que mettre de l’huile sur le feu qui grandissait en moi. L’évidence est que tu n’aurais jamais dû venir, ici.
Alors qu’il s’allumait une cigarette, tout sourire, celle-ci se mit à geler instantanément, le briquet et le bout des doigts de Basil.
— Putain !
Il lâcha le briquet et cracha sa clope alors que je sautais sur mes pieds. Complètement abasourdi par ce qu’il venait de se passer.
— Comment as-tu fait ça ? S’égosilla-t-il plus impressionné qu’en colère.
— Ce n’est pas moi.
— Ce n’est pas moi non plus, Tori.
Nous nous observâmes quelques secondes avant que je décide de m’éloigner de lui. Sans un mot, je tournais les talons sans demander mon reste.
Ah ah, faut pas l’embêter!
Bravo Serena.
La colère la domine..