Hurler, c’était crier au dessus de la douleur. Je me demande bien quel son fait la souffrance, dans les aigus ou dans les graves, en saccadé ou continu. Mais cet homme hurlait, un hurlement animal, il gueulait. Les chiens aboyaient. Je me suis cachée derrière un tronc, pas plus epais que moi, et j’ai attendu. Au début, je me suis dit qu’il finirait par se calmer. J’en ai eu, des crises de nerf, cela arrive. On vomit ce qui ne se digere plus, et puis on passe à autre chose. Lui, ce n’était pas l’indigestion. Si j’étais médecin, j’appellerais ça “explosion de l’âme humaine et retrouvailles animales”. Voilà dans quoi il était. Explosion. J’ai entendu un énorme bruit sourd, sans doute contre du métal, et puis un autre, plus court, avec le bruit de l’air contre le baton. Une fois, deux fois, et puis j’ai fait ma bêtise. Ce n’était pas voulu. Enfin, disons que si, mais pas vraiment. Je n’ai pas agi sans réfléchir, parce que justement, sans pensées, je n’aurais pas fait cela. Son champ n’était pas si large, ou bien j’ai courru vite. Il était dans une cage immense, en hauteur je parle, fermée par une chaîne épaisse. Les chiens ont aboyé encore plus, sans ça il ne m’aurait sans doute pas vu. C’etait bizarre d’être tout d’un coup repérée, d’habitude on me remarque à peine. Là, c’est moi qui aie crié. Je ne devais pas avoir l’air bien forte, en sandalettes dans la terre. Mais je me sentais grande. Je n’entendais pas ma voix tellement les bêtes aboyaient, je sautais en agitant les mains dans tous les sens. Il est d’abord resté silencieux, peut-être qu’il m’écoutais, ou bien il était trop étonné pour parler. Je ne lui en voulais pas à lui. C’était contre le monde entier. Je ne me rappelle plus les paroles exactes. Je sais juste que lui n’a rien dit. Pas un mot. Il avait l’air encore plus malheureux que d’habitude, figé, son baton encore en l’air, son regard si vide. On était vide tous les deux. Lui de réaction, moi de sentiments. J’ai tout sorti d’un coup. Et puis je suis partie. Je promets, même si au jour d’aujourd’hui je n’en suis plus si sûr, que rien n’était voulu. Bien sûr, j’étais en colère. Parce qu’on ne frappe pas un chien ! Et encore moins quand il est le dernier à nous adresser un regard. Mais pour une fois j’ai eu l’envie de le dire haut et fort, qu’on m’entende. Que le serpent sorte de sa pierre, et qu’il se montre. J’aurais pas dû. On ne devrait jamais, de toute façon. Mais je l’ai fait. Maman avait tout entendu, papa aussi. Ils m’attendaient non loin de la porte d’entrée, avec la honte et la stupeur mélangées. Papa ne disait rien, maman déballait. Sauf que elle, elle ne se cache jamais, alors elle avait beau essayer de garder son calme, je me suis faite bien allumée quand même. J’ai fini dans ma chambre, coupée du monde, et cela m’allait très bien.
Étonnamment, je n’en veux pas à cet homme. Peut-être que je devrais, après tout il maltraite. Mais qu’en est-il de lui ? Les coups, il les connaît bien mieux que personne, c’est évident. Dans ses cris résonnent un appel au décours, étrangement formulé, mais il est là. Nous sommes des sourds. Il est invisible. Un parmis tant d’autres. Mais ce jour là, j’ai décidé de lui donner une oreille, pendant que lui m’offrait une voix. Échange sensoriel. Fusionnel.
Ecriture "impressionniste", j’ai pas tout compris mais j’ai aimé.